(Québec) Satisfaits de pouvoir remettre des constats d’infraction à des récalcitrants aux consignes sanitaires, les policiers municipaux sont toutefois réticents à demander un télémandat pour entrer dans une maison où se tiendrait un rassemblement interdit.

« Actuellement, nous ne voyons pas comment cela est possible », soutient le président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, François Lemay. « Il y a beaucoup de zones d’ombre » dans l’annonce du gouvernement, selon lui.

Mercredi, le premier ministre François Legault a annoncé que les policiers avaient maintenant le pouvoir de remettre sur-le-champ des constats d’infraction imposant des amendes de 1000 $ – plus les frais de 546 $ – aux récalcitrants qui ne respectent pas les consignes sanitaires, comme l’interdiction de faire des rassemblements à la maison.

S’ils soupçonnent que cette consigne est violée mais qu’on refuse de leur ouvrir la porte, ils pourront demander un télémandat à un juge afin d’entrer rapidement dans un domicile ou une cour pour constater la situation et distribuer des « constats portatifs » – donc des amendes – en cas d’infraction.

Pour l’instant, sur le télémandat, on ne voit pas comment on va arriver à ça. Le ministère [de la Sécurité publique] devra nous expliquer comment faire, et la balle est dans son camp.

François Lemay, président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec

« Avec les services de police, ils devront s’assurer que cette possibilité est là et que le système de justice va suivre aussi », poursuit-il.

Inviolabilité du domicile

La Fédération avait réclamé des « outils additionnels » pour faire respecter les consignes sanitaires, en particulier le constat portatif. Quant au télémandat, « on l’avait dit, on ne pensait pas que c’était le moyen », souligne François Lemay. Car « il faut faire vraiment attention pour qu’on ne se retrouve pas dans une situation où la confiance du public pourrait être ébranlée ».

Il explique que l’inviolabilité du domicile est « un droit fondamental » et qu’il serait délicat pour les policiers d’intervenir. « Il faut s’assurer qu’après avoir eu ce type de mandat, on ne se retrouvera pas avec les policiers qui vont être traînés en déontologie un petit peu partout. Le lien de confiance avec la population, c’est quelque chose de tellement important. Il faut s’assurer de préserver ça. »

Néanmoins, François Lemay est satisfait que les policiers puissent distribuer des constats portatifs. Jusqu’ici, et comme le prévoit la procédure habituelle, un policier devait rédiger un rapport d’infraction général. Ce rapport était ensuite transmis au DPCP et pouvait mener à une amende de 1000 $ à 6000 $ – ce qui était loin d’être le cas systématiquement.

« Quand on remettait un constat général, la personne n’avait pas le sentiment de recevoir un constat », alors que le constat portatif « a un effet dissuasif », souligne François Lemay.

Devant des doutes soulevés concernant la possibilité de recourir au télémandat, le gouvernement Legault réplique que cette pratique est possible en vertu d’une modification récente au Code de procédure pénale. Une précision qui n’avait pas été apportée lors de l’annonce mercredi.

Utilisation élargie

L’utilisation du télémandat a été élargie en vertu d’un projet de loi adopté en juin « visant principalement à favoriser l’efficacité de la justice pénale ».

Le Code prévoit depuis, à l’article 141.1, qu’« un juge peut, sur demande à la suite d’une déclaration faite par écrit et sous serment d’un agent de la paix ou d’une personne chargée de l’application d’une loi, décerner un mandat ou un télémandat général l’autorisant à utiliser un dispositif, une technique ou une méthode d’enquête, ou à accomplir tout acte qu’il mentionne, qui constituerait, sans cette autorisation, une fouille, une perquisition ou une saisie abusive à l’égard d’une personne ou d’un bien ».

On y ajoute : « Le juge peut décerner le mandat ou le télémandat général s’il est convaincu :

1° qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à une loi a été ou sera commise et que des renseignements relatifs à l’infraction seront obtenus grâce à l’utilisation du dispositif, de la technique ou de la méthode d’enquête ou à l’accomplissement de l’acte ;

2° que la délivrance de l’autorisation servirait au mieux l’administration de la justice ;

3° qu’il n’y a aucune disposition dans le présent code ou dans une autre loi qui prévoit un mandat, une autorisation ou une ordonnance permettant une telle utilisation ou l’accomplissement d’un tel acte. »

L’article 141.1 précise également qu’« une demande de télémandat peut être faite par téléphone ou à l’aide d’un autre moyen de télécommunication ».

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) confirme que les policiers pourront demander un télémandat pour entrer dans une résidence s’il y a refus de collaborer et s’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’une infraction est commise. « C’est le mandat général prévu à l’article 141.1 qui sera utilisé par les policiers pour gérer cette situation-là », souligne la porte-parole Audrey Roy-Cloutier. Le juge devra évaluer si les conditions sont respectées pour accorder le télémandat.

Or, pour François Lemay, « les fins de cet article n’étaient pas pour ce type d’intervention là ».

C’est un avis que partage l’avocat criminaliste Denis Gallant. L’article 141.1 est « techniquement la seule poignée juridique que le gouvernement a pour permettre aux policiers de rentrer dans une maison d’habitation », « mais je suis loin, très loin d’être convaincu que cette façon d’agir là est légale ». Pour lui, le recours au télémandat général doit s’inscrire à l’intérieur d’une technique d’enquête.

Le Code de procédure pénale balise par ailleurs les mandats permettant d’entrer dans une résidence, explique MGallant. Et ces mandats sont limités à trois fins : pour arrêter un témoin qui fait défaut de se rendre à la cour, pour emprisonner une personne qui ne paie pas ses amendes, ou pour forcer la comparution d’une personne devant le percepteur des amendes afin de conclure une entente de paiement.

« Si les policiers veulent entrer dans une maison et que leur but est d’entrer pour pouvoir identifier les gens et leur remettre un constat d’infraction, moi, Denis Gallant, le DPCP pense peut-être le contraire et ça le regarde, pense que le mandat général, ça ne sert pas à ça. » Cela reviendrait à permettre aux policiers de faire des « guet-apens » selon lui. « C’est faire indirectement ce qu’on ne peut pas faire directement », résume-t-il.

L’avocat criminaliste Jean-Claude Hébert anticipe des contestations : un contrevenant pourrait invoquer le fait que le policier n’avait pas de « motifs raisonnables de croire » qu’une infraction était commise au moment de demander son télémandat, donc avant de pouvoir entrer dans la résidence et remettre un constat. « Ça peut créer un contentieux éventuellement qui va intéresser bien du monde, les juristes en particulier ! », lance-t-il.