La mort de Joyce Echaquan est un « wake-up call », estime le grand chef de la Nation atikamekw, Constant Awashish.

« Je pense que l’abcès est crevé, a-t-il déclaré à La Presse. C’est un « wake-up call » pour tout le monde, les Premières Nations comme les Québécoises et les Québécois. Maintenant, il faut juste s’assurer que le message passe bien. »

M. Awashish réagit avec prudence à cet évènement tragique pour lequel il manque un grand nombre de réponses.

« Ce n’est pas vrai que tous les Québécoises et les Québécois sont racistes. Mais il y a encore du racisme, il faut l’admettre, il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. »

Le grand chef s’interroge toutefois sur les suites que le bureau du coroner et le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière vont donner à cet évènement, et réclame une enquête de la Sûreté du Québec (SQ).

« À la lumière de la vidéo, il pourrait y avoir des éléments criminels là-dedans », dit-il.

PHOTO AUDREY TREMBLAY, ARCHIVES LE NOUVELLISTE

Constant Awashish, grand chef de la Nation atikamekw

Mme Echaquan, une Atikamekw de 37 ans, mère de sept enfants, est morte lundi à l’hôpital de Joliette, où elle avait été admise quelques jours plus tôt pour des douleurs à l’estomac. Une vidéo filmée avec son téléphone et diffusée en direct sur Facebook a permis d’entendre les propos racistes et dégradants tenus par des employés à son égard, peu avant sa mort.

« Urgence d’agir »

François Legault est revenu sur ce drame, mercredi, en ouverture de sa conférence de presse sur le passage de régions en zone rouge. « On va agir pour lutter contre le racisme », a-t-il promis, en faisant allusion au groupe d’action coprésidé par les ministres Nadine Girault et Lionel Carmant. « C’est totalement inacceptable, ce qu’on a vu là. »

Le premier ministre du Québec doit rencontrer Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, vendredi à Montréal.

Plus tôt mercredi, la cheffe de l’opposition, Dominique Anglade, a exigé la démission de la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, en raison de la froideur du communiqué que celle-ci a publié mardi pour marquer l’anniversaire de la commission Viens, sans la moindre allusion à ce drame.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

J’ai pris connaissance du communiqué qui a été publié par la ministre [responsable] des Affaires autochtones et honnêtement, ce communiqué est une véritable insulte.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

La ministre D’Amours a d’ailleurs publié un second communiqué en après-midi pour corriger le tir : « Le Québec entier a été chamboulé par le décès de Mme Joyce Echaquan. Je veux offrir, au nom du gouvernement du Québec, toutes mes condoléances à la famille et à la communauté atikamekw de Manawan. Ce drame survenu à Joliette nous rappelle, une fois de trop, l’urgence d’agir. Nous n’avons jamais eu la prétention de dire que nous arriverions à changer 150 ans d’histoire en 1 an », a-t-elle écrit.

Des ongles sales

Par ailleurs, la direction du CISSS de Lanaudière n’a pas répondu à nos questions sur le sort réservé aux autres employés qui ont prodigué des soins à Mme Echaquan. Une première infirmière a été congédiée mardi, mais selon le grand chef Constant Awashish, « il y aurait trois personnes vraiment impliquées dans l’évènement ».

Il n’en reste pas moins que ce n’est pas la première fois que l’hôpital de Joliette est lié à des enjeux autochtones. Lors de la commission Viens, en 2018, plusieurs membres de la communauté de Manawan ont été entendus, dont l’infirmière Jolianne Ottawa, qui a parlé de plusieurs cas de racisme prévalant dans cet établissement.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO DE LA CERP

Jolianne Ottawa, infirmière atikamekw

À l’été 2003, pendant ses études, une infirmière de l’hôpital de Joliette a dit au groupe d’étudiantes dont elle faisait partie : « Vous ferez attention quand vous prendrez le taux de saturation aux Indiens parce qu’ils ont tous les ongles sales », cite-t-elle, entre autres exemples.

La procureure de la commission Viens, Me Édith-Farah Elassal, a fait état de nombreuses plaintes à l’égard de l’hôpital de Joliette : « On en a reçu beaucoup, beaucoup », a-t-elle dit à une représentante du CISSS de Lanaudière, le 28 septembre 2018. « Avec des incidents à chaque année », observés « dans différents départements ». C’était il y a deux ans.

De son côté, la SQ précise que son rôle, dans ce dossier, n’est pour l’instant qu’un rôle d’appoint. « Présentement, c’est une enquête qui est menée par le coroner et lui nous a demandé l’assistance pour aller rencontrer des gens, a dit la sergente Éloïse Cossette. Quand il y a décès, au départ, c’est toujours une enquête du coroner. Et parfois, on est dans une enquête clairement criminelle. Mais dans le cas de l’hôpital, on est en assistance au coroner. »

Les règles de l’art

MJean-Pierre Ménard, avocat qui a consacré sa vie professionnelle à défendre les droits des patients, explique que le rôle d’un coroner est limité. « Le but de l’enquête du coroner, c’est de connaître les causes et les circonstances du décès. Le coroner n’a pas le pouvoir ni le droit de se prononcer sur les responsabilités criminelles ou civiles de l’intervenant. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

MJean-Pierre Ménard

Il faut distinguer deux choses, ajoute-t-il. Les insultes et les propos racistes, d’une part, et la cause du décès de Mme Echaquan, d’autre part.

Les propos racistes, ce n’est pas acceptable, d’aucune façon. Maintenant, il y a un décès, en plus. Il faut connaître les circonstances du décès pour voir s’il aurait pu être évité ou si le décès était inévitable.

MJean-Pierre Ménard

La famille a trois ans pour poursuivre au civil. « On doit refaire la chaîne des évènements pour établir que le traitement n’était pas conforme aux règles de l’art et que cela a causé son décès, parce que se faire crier par la tête, ça ne fait pas mourir personne. Autrement dit, le fait d’être maltraité, ce n’est pas suffisant pour faire la preuve du décès », détaille Me Ménard, dont la porte est grande ouverte à la famille de Mme Echaquan.

« La pire forme de racisme »

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

La tragédie qui s’est jouée à l’hôpital de Joliette a eu des échos à la Chambre des communes, mercredi. « Tous les Canadiens ont été choqués de voir cette vidéo des derniers moments de Joyce Echaquan. […] Ce qui s’est passé, c’est la pire forme de racisme [alors qu’elle avait] besoin d’aide. C’est un autre exemple de racisme systémique qui est tout simplement inacceptable au Canada. Une enquête rapide est essentielle pour déterminer si Joyce a subi plus que de simples propos racistes », a déclaré Justin Trudeau. Il répondait à une question du chef du NPD, Jagmeet Singh. « Je suis vraiment désolé, Joyce. Les derniers moments de votre vie n’auraient pas dû se terminer ainsi. Le racisme systémique prive les gens de leur dignité et les tue », a-t-il lâché en préambule de son intervention. Le dirigeant bloquiste Yves-François Blanchet a aussi témoigné de son indignation : « Ma réaction de dégoût n’a rien de politique. Ma réaction s’indigne du reflet odieux d’un miroir sur plusieurs d’entre nous et dont nous portons tous la honte. » Les propos des politiciens fédéraux ont été formulés alors que l’on marquait le mercredi 30 septembre la Journée du chandail orange, à la mémoire des victimes des pensionnats autochtones.

— Mélanie Marquis, La Presse