Le Québec a connu son mois de juillet le plus chaud depuis 100 ans. Normalement abondantes à l’automne, les fraises du Québec se font de plus en plus rares dans les étals, victimes des nombreuses vagues de chaleur de l’été. Alors que la saison de la mise en conserve bat son plein, les détaillants ont dû se tourner vers la fraise américaine pour répondre à la demande, une cohabitation inhabituelle sur les tablettes à cette époque de l’année.

« Des rendements faibles comme ça, moi, je n’ai jamais vraiment vu ça. »

Avec seulement 105 travailleurs agricoles étrangers sur les 125 qui viennent généralement lui prêter main-forte, Louis Gosselin pensait manquer de bras au moment de récolter ses fraises d’automne. À sa grande surprise, ce n’est pas la crise sanitaire, mais plutôt dame Nature qui donne du fil à retordre à cet agriculteur de l’île d’Orléans.

Contrairement à d’autres productions maraîchères, aucun fruit n’a été abandonné au champ faute de main-d’œuvre en raison de la pandémie, car il y en a tout simplement moins à récolter.

« Normalement, de la fin août jusqu’au 15 septembre, on récolte à peu près 100 boîtes à l’acre chaque fois qu’on passe dans le champ, soit tous les deux jours. Là, on est plus autour de 50 à 60 boîtes et dans les derniers jours, ç’a encore empiré », a expliqué l’homme à la tête d’une ferme familiale de septième génération, la ferme François Gosselin.

C’est pour ça qu’il en manque partout dans les épiceries. On essaye de répartir les fruits qu’on a à tous nos clients, c’est ce que chaque producteur essaye de faire, mais dans la grande chaîne de l’alimentation, c’est sûr qu’il en manque.

Louis Gosselin, de la ferme François Gosselin

Un mois de juillet très chaud

Les fraises adorent les températures fraîches. Pour qu’un plant soit le plus productif, le mercure doit afficher entre 22 et 24 degrés Celsius le jour et être sous la barre des 15 degrés la nuit. La chaleur extrême stresse les plants.

Selon Environnement Canada, la grande région de Montréal a connu 14 jours avec des températures maximales dépassant les 30 degrés en juillet, alors que la normale est plutôt d’environ 4 jours. La moyenne par été : 9 jours.

La température moyenne pour le mois de juillet a été de 24,3 °C. « Peut-être que 24,3, ça ne semble pas impressionnant, mais 24,3, c’est la température moyenne maximale et minimale, donc c’est chaud. L’écart à la normale est de 3,1 degrés : 3 degrés au-dessus de la normale, c’est significatif », explique Jean-Philippe Bégin, météorologue de sensibilisation aux alertes d’Environnement et Changement climatique Canada.

Il faut remonter à juillet 1921 pour recenser une moyenne mensuelle plus chaude, dit-il.

« Pour la région de Montréal, c’est le deuxième mois de juillet le plus chaud depuis qu’on enregistre des données [depuis 1971] », souligne-t-il.

Plus chères

Le producteur Guy Pouliot, de la ferme Onésime Pouliot, a aussi noté une baisse de rendement dans sa récolte de fraises d’automne, qui s’étire généralement jusqu’au 15 octobre. Il est cependant encore trop tôt pour quantifier cette baisse, dit-il.

Quand il y a une canicule, quatre semaines plus tard, nos rendements sont affectés à la baisse.

Guy Pouliot, de la ferme Onésime Pouliot

« Normalement, à ce temps-ci de l’année, il n’y a pas de fraises américaines sur les tablettes. Les producteurs québécois ont suffisamment de fraises pour fournir les chaînes, et ce, même, s’ils sont en spécial agressif. Mais cette année 2020 a fait en sorte que dame Nature n’a pas voulu qu’on ait de volumes suffisamment pour le faire », explique celui qui est également deuxième vice-président des Fraîches du Québec, la marque utilisée par la majorité des producteurs de fraises et de framboises du Québec.

En raison de la rareté, il explique que la fraise d’automne se vend beaucoup plus cher qu’à l’habitude. « Habituellement, je vends une boîte 25 $ ; là, je la vends 30 $, c’est 5 $ de plus. Mais il y a 10 paniers dans la boîte, donc, en réalité, le panier a augmenté de 50 cents. Ce n’est pas la fin du monde. »

Le Québec produit 1,5 % des fraises en Amérique du Nord, alors que la Californie en produit 85 %.

« Si eux tournent à droite ou à gauche, ça influence le reste du Canada et des États-Unis. La Californie a aussi eu des problèmes cette année. C’est ça qui fait que les prix ont monté. ».

Moins de fraises de partout

Lorsque les récoltes sont à leur sommet à l’automne, les prix ont tendance à plonger, explique la directrice générale de l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec, Jennifer Crawford. Or, cette année, l’« effet rareté » a fait en sorte que les prix sont restés stables.

Elle ajoute que les fraises des États-Unis font généralement leur apparition sur nos tablettes vers la fin du mois de septembre ou au début du mois d’octobre. Or, elles étaient en vente dès la mi-août.

« Normalement, au mois de septembre, il y a souvent un peu de fraises américaines sur les étals de nos supermarchés, mais ce sont les fraises du Québec qui sont encore en vedette. Cette année est bien différente », explique-t-elle.

« Avec les conditions difficiles en Californie, on observe moins de volumes d’importations de fraises et framboises américaines depuis les deux dernières semaines. Tel que mentionné, les récoltes de fraises québécoises sont modérées actuellement [à cause des] multiples canicules cet été qui ont affecté les plants ainsi que les gels hâtifs récents. Donc, nous nous retrouvons avec moins de fraises québécoises et moins de fraises américaines. »