« Ça commence à me faire peur, ce genre de discours. Il y a une forme d’édulcoration d’un certain discours raciste pour le rendre acceptable. »

C’était en avril 2001. Sur le plateau de l’émission Droit de parole à Télé-Québec, on posait cette question : les Québécois sont-ils racistes ?

Dans un extrait de l’émission qui a ressurgi dans les réseaux sociaux récemment, on assiste à une prise de bec entre le sociologue Jean-Claude Icart et un certain Mathieu Bock-Côté, étudiant inconnu à l’époque. Le sociologue parle de la nécessité de corriger la discrimination systémique avec des programmes d’équité en emploi. Il qualifie d’insultant et d’inacceptable le discours de l’étudiant.

L’étudiant réplique que ce qui est insultant, c’est de croire que certaines personnes de minorités ont besoin de ces tremplins pour accéder à l’espace public.

Le ton monte. Jean-Claude Icart fulmine. « Il se trouve qu’ils en ont besoin justement pour corriger la discrimination systémique ! Et quand on parle de discrimination systémique, on parle de critères objectifs pour la plupart qui, même sans intention, même sans l’avoir voulu, ont pour effet d’exclure. »

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C’est l’artiste Aïsha Vertus, 28 ans, qui a sorti cet extrait des boules à mites après avoir entendu François Legault dire que le racisme systémique n’existait pas au Québec.

En 2001, alors qu’elle n’avait que 9 ans, elle était elle-même sur le plateau de l’émission Droit de parole avec sa mère. Lorsqu’Anne-Marie Dussault lui demande si elle a déjà subi du racisme, la fillette fait oui de la tête. Ses yeux se voilent de tristesse en racontant sa première agression raciste dans la cour d’école. « On m’avait dit : “Espèce de négresse…” J’ai pleuré, j’avais de la peine… »

Voir dans le regard de l’enfant toute cette innocence blessée brise le cœur.

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En diffusant l’extrait avec Jean-Claude Icart, Aïsha voulait rappeler à qui en doute encore que le racisme systémique n’est pas un nouveau concept importé des États-Unis après la mort de George Floyd. Ici même au Québec, il y a longtemps que des gens de la trempe de Jean-Claude Icart tentent d’expliquer ce qu’est le racisme systémique pour mieux le combattre.

Ce qui m’a frappée en écoutant cet extrait, c’est à quel point le débat a malheureusement peu progressé depuis 20 ans. En matière de lutte contre le racisme, le premier ministre François Legault dit souhaiter une « évolution tranquille ». En voyant ça, on se dit que c’est déjà pas mal trop tranquille.

Selon Aïsha, c’est signe qu’il faut continuer le combat en accélérant le pas. Pour qu’aucun enfant n’ait à subir le racisme. « J’espère que dans 20 ans, on ne sera pas exactement là où on en était 40 ans plus tôt ! »

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Alors que le gouvernement Legault nous promet à l’automne un plan d’action contre le racisme, le sociologue Jean-Claude Icart, 72 ans, qui se disait déjà inquiet il y a 20 ans, l’est encore davantage.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Jean-Claude Icart, sociologue

Plus ça change, plus c’est pareil ? Non. Plus ça change, pire c’est, constate-t-il. « Ce qui a changé à l’échelle quasiment internationale, c’est la montée de la droite et de l’extrême droite. Quand on entend les discours chez nos voisins immédiats, les discours de l’actuel président et candidat, ça peut faire peur. L’augmentation des cas de violence, ça peut faire peur aussi. Et souvent, ces choses-là se retrouvent ici. »

Le Québec n’est pas à l’abri de ces courants inquiétants. « Ce n’est pas de la même ampleur. Mais quelque part, ça a transpiré ici. »

Cette semaine, le Groupe d’action contre le racisme (GACR) mis sur pied par le gouvernement a été sous le feu de vives critiques. On l’a qualifié de « coquille vide » ou d’« exercice diplomatique ». On a aussi déploré l’absence d’un réel exercice de consultation et le manque de transparence du gouvernement. Des critiques que rejette d’un revers de main le gouvernement. « Le GACR est très actif depuis sa mise sur pied, le mandat confié n’est pas une coquille vide ni un exercice diplomatique. Il découle d’une réelle volonté du gouvernement de la CAQ de s’attaquer de façon concrète et durable au problème de racisme », me dit Marie Barrette, directrice des communications au cabinet du ministre Lionel Carmant, coprésident du comité.

> LISEZ l’article de Radio-Canada sur le GACR

Jean-Claude Icart ne croit pas qu’il soit obligatoire de mener une grande consultation. Toutefois, que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), organisme expert sur la question du racisme, n’ait eu droit, à ce stade-ci, qu’à une rencontre préliminaire au début de l’été n’est pas très bon signe.

Quand la Commission des droits de la personne, lieu de la principale expertise de l’État sur cette question, semble écartée, il faut s’inquiéter.

Jean-Claude Icart, sociologue

Au Groupe d’action contre le racisme, on précise qu’une autre rencontre avec la CDPDJ doit avoir lieu « au cours des prochaines semaines ». Selon Jean-Claude Icart, si on ne veut pas répéter les erreurs du passé, il importe que le gouvernement, s’il est sérieux dans son désir d’agir contre le racisme, donne à la CDPDJ le rôle central qu’elle mérite et s’assure que son plan soit accompagné de mécanismes de suivi adéquats. Sinon, tout plan d’action contre le racisme risque d’être un exercice inutile. Un autre… Car ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement entreprend une telle démarche, rappelle le sociologue.

> (RE)LISEZ le texte « Relever le défi du racisme »

Le grand défaut des plans précédents a été de laisser de côté la dimension structurelle (ou systémique) du problème pour ne se concentrer que sur le racisme individuel. « Or, le racisme, c’est lorsque les préjugés additionnés au pouvoir créent des inégalités. Quand on parle de cette dimension systémique, on parle de choses relativement aveugles et non intentionnelles. »

Jean-Claude Icart n’est pas prêt à faire « une grosse querelle de mots » avec ceux qui sont allergiques au mot « systémique ». Que l’on parle de « racisme structurel », de « racisme systémique » ou de « discrimination systémique », ce qui compte le plus, c’est que l’on tienne compte de cette dimension. « C’est quelque chose qui doit absolument faire partie d’un programme de lutte contre la discrimination. Le racisme, ce n’est pas seulement une affaire de psychologie ou d’éducation. Oui, l’éducation est une bonne chose et il faut le faire. Mais ça ne doit pas s’arrêter là si on veut vraiment aller à la source du problème. »

En regardant l’extrait de Droit de parole, est-il découragé de voir que l’on a si peu avancé en 20 ans ?

« J’ai un ami qui, lorsqu’il participait à ce genre de consultations, déjà dans les années 80, disait : “Je vais enregistrer ce que j’ai à dire. Et chaque fois qu’on m’invite, je vais repasser la même cassette. Parce qu’il semble que les gens ne veulent pas comprendre. Il faut répéter, répéter, répéter.” »

« Ce qui est triste, c’est que parfois, les problèmes peuvent s’aggraver quand on ne s’en occupe pas. Ça peut ressortir de façon plus “violente”, avec plus d’acuité. »

Alors, découragé, non. Mais inquiet, oui. S’il sent une mobilisation sans précédent sur ces questions, il craint le ressac. « En principe, il y a ce qu’il faut pour un changement réel. Est-ce que les gens vont l’accepter ou se ranger du côté de la réaction ? Il faudra voir… Il faut toujours analyser froidement. Mais en même temps, il faut toujours rester optimiste. Sinon, ce serait trop déprimant ! »