J’ai vraiment cru que c’était un gag. D’abord, il faut dire que celui qui a relayé la chose sur ma page Facebook est un auteur provenant du monde de l’humour. Et puis, il y a le concept, le look…

Pensez-y, des brouettes pour aider les Montréalais à transporter leurs achats entre le magasin et leur voiture. Y’a de quoi rendre perplexe n’importe qui. Cette idée est pourtant vraie. Elle est de la SDC de l’avenue du Mont-Royal, le regroupement des commerçants de cette artère dont un bon tronçon est offert entièrement aux piétons et aux cyclistes depuis des mois.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

La SDC de l’avenue du Mont-Royal a eu l'idée de mettre des brouettes à la disposition des clients pour les aider à transporter leurs achats entre le magasin et leur voiture.

Quatre brouettes sont mises à la disposition des clients pour le moment. Le concept est le suivant : tu fais tes achats, tu laisses une carte d’identité à un employé du commerce, tu transportes ton épicerie ou tes quatre sacs de terre à jardin jusqu’à ta voiture garée huit rues plus loin, tu déposes les articles dans ton véhicule, tu retournes au commerce rapporter la brouette et tu reprends ta voiture.

L’avantage avec ces brouettes, c’est que tu n’as pas à aller au gym plus tard dans la journée.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK L’AVENUE DU MONT-ROYAL

Pour le moment, quatre brouettes sont mises à la disposition des clients de l’avenue du Mont-Royal.

Passons vite sur le look de ces brouettes qui, tout comme le mobilier urbain patenté que l’on retrouve cet été à Montréal, est largement inspiré de l’univers des garderies. Ce n’est pas parce que tu peins une brouette ou des 2 X 4 en bleu pâle que tu fais oublier leur véritable nature.

Bref, comme beaucoup de citoyens mercredi, j’étais découragé de voir cela. Même les commentaires dithyrambiques de Marie Plourde n’arrivaient pas à me convaincre. La conseillère à l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal a même rebaptisé ces objets des « éco brouettes ».

Des brouettes pour transporter nos emplettes ? À ce compte-là, ramenons les chaises à porteurs du temps de Louis XIV ! Déjà qu’on a l’impression d’être dans un carrosse lorsqu’on roule dans les rues de Montréal…

Ce n’est qu’une brouette, me direz-vous. C’est vrai. Mais cette initiative de certains commerçants de l’avenue du Mont-Royal démontre qu’il y a une déconnexion entre la vocation de certains secteurs de la ville et les réels besoins des citoyens. Au risque de me répéter, on a fermé de bonnes rues, mais on en a fermé de mauvaises.

Je veux bien fermer les yeux sur le « laboratoire » qui s’opère en cet été de pandémie. Ce n’est pas le bon moment pour tirer de véritables conclusions (même si pour l’administration Plante, c’est un excellent moment pour agir et foncer).

Mais si on poursuit l’expérience l’année prochaine, arrangeons-nous pour faire des choix judicieux. Je l’ai déjà écrit et je le redis, je fermerais à la circulation le Vieux-Montréal au grand complet, de Saint-Antoine à de la Commune, de Berri à McGill. Là, les terrasses dont on aime profiter auraient de la gueule et du charme.

Pour le reste, ciblons, faisons des choix éclairés selon la densité, le nombre de bars et de restaurants. Pas besoin de fermer une même artère sur des kilomètres et des kilomètres. Mais bon, cela nous permet de dire aux journalistes étrangers que nous sommes l’une des villes nord-américaines qui ferment le plus de rues.

Avant que vous m’écriviez pour me dire que je suis trop dur avec les pauvres commerçants ou me traiter, comme l’a fait l’autre jour cette enseignante du CSSDM, de « vieux monsieur blanc pas content », j’aimerais quand même effleurer la terrible crise que connaissent actuellement les commerçants.

Je comprends totalement leur désarroi, leurs inquiétudes, leur panique. Cette crise est reliée à une foule de choses qui vont déboucher sur une vaste transformation du paysage commercial des villes. Ce renouvellement va durer plusieurs années.

Avec des taxes et des loyers exorbitants que seules les grandes chaînes peuvent s’offrir, comment les commerces de proximité qui ne sont reliés à aucune grande enseigne peuvent-ils survivre ?

J’étais fou comme un balai de voir que le magnifique bâtiment commercial situé au coin des rues Rachel et Saint-Denis allait enfin revivre. J’ai imaginé des dizaines de fois un resto bourré d’ambiance avec des DJ en soirée. Finalement, on a appris que le nouvel occupant serait la SAQ. Qui, à part la SAQ, peut s’offrir cet immense lieu ?

L’automne dernier, La Presse a publié un grand dossier sur l’avenir des commerces à New York, Londres et Montréal. À la lecture des témoignages, on réalisait que tout le monde vit exactement la même chose. On encaisse les contrecoups du commerce en ligne et l’invasion des mégacentres commerciaux tous de la même façon.

George Capsis, propriétaire du WestView News, hebdomadaire qui s’intéresse à la vie du West Village, disait à Richard Hétu : « J’ai vu Bleecker Street passer des charrettes à bras, la forme la plus primitive du commerce au détail, aux magasins de luxe vides. »

On devrait dire à M. Capsis qu’à Montréal, on est sur le point de revenir aux charrettes à bras…

Nous allons bientôt vivre dans des villes animées uniquement par de grandes enseignes commerciales étrangères, des Starbucks, des boutiques de vapotage et des banques (qui n’ont même plus les moyens de faire vivre leurs anciens bâtiments du début du XXe siècle).

Au fond, je comprends les SDC de se débattre et de mettre de l’avant toutes sortes d’idées pour donner du courage et de l’espoir à leurs membres. Certaines ont refusé que la Ville leur impose son approche et son « laboratoire » estival ou ont reculé après un certain temps. Mais certaines ont dit oui et ont accepté de vivre cette expérience. C’est tout à leur honneur.

Les commerces de proximité vivent une période extrêmement difficile. Elle sera longue et passera par une redéfinition profonde du caractère de ces commerces, par l’acceptation d’une nouvelle vocation des artères commerciales (préparez-vous à voir de plus en plus de bureaux d’entreprises dans les vitrines d’anciens magasins).

Il faut aussi apprendre à relier les bons moyens de locomotion aux bons secteurs commerciaux.

On va y arriver. Une brouette à la fois.