Il y a environ deux ans, le propriétaire d’un triplex près de chez moi a demandé à la locataire du deuxième de quitter l’appartement qu’elle occupait depuis plusieurs années. Sylvie bénéficiait d’un prix abordable et y était très heureuse. On lui a expliqué qu’un membre de la famille du propriétaire (sa fille) devait s’y installer.

Quelques semaines après le départ de Sylvie, on a amorcé des travaux de rénovation dans l’appartement. La nouvelle locataire venait y faire un tour de temps à autre. Puis, après avoir occupé les lieux quelques mois, elle m’a annoncé qu’elle quittait l’appartement à cause d’un transfert professionnel à Toronto.

De nouveaux locataires ont emménagé. Je ne leur ai pas demandé à combien s’élevaient maintenant les frais de location et je n’ai pas la preuve formelle qu’il s’agit d’un tour de passe-passe de la part du propriétaire pour augmenter le loyer, mais disons que la chose en a toutes les apparences.

Selon la loi, un propriétaire ne peut évincer un locataire pour de simples travaux. En revanche, il peut expulser un locataire s’il entreprend des travaux de subdivision ou d’agrandissement d’un logement ou s’il veut changer la vocation de l’immeuble, en espace commercial, par exemple.

C’est ce qu’on appelle des « rénovictions » (contraction de rénovation et d’éviction). Cette pratique est devenue chose courante pour les propriétaires de Montréal qui souhaitent augmenter le montant de leurs loyers et, par le fait même, la valeur de leur propriété lors de sa revente.

Un propriétaire peut aussi évincer un locataire s’il décide de reprendre le logement pour l’occuper ou pour y installer un membre de sa famille. C’est ce qu’on appelle une reprise de logement. Le propriétaire dont il est question plus haut a sans doute utilisé ce stratagème, en plus d’effectuer des travaux cosmétiques, pour augmenter le montant du loyer qu’il récolte tous les mois.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

La spéculation immobilière qui se joue actuellement à Montréal entraîne une vague d’évictions déguisées. Face à ce phénomène grandissant, une offensive est en train de s’organiser.

Je me mets à la place des locataires chassés et j’imagine aisément le sentiment d’injustice qu’ils peuvent ressentir. Ils sont de plus en plus nombreux à vivre cela.

Cette vague d’évictions déguisées, on la doit à la spéculation immobilière qui se joue actuellement à Montréal. Face à ce phénomène grandissant, une offensive est en train de s’organiser.

L’automne dernier, Québec solidaire a demandé au gouvernement Legault d’imposer un moratoire pour contrer la tendance. La Ville de Montréal emboîte maintenant le pas. Plusieurs arrondissements (Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, Le Plateau-Mont-Royal, Sud-Ouest, Ville-Marie, Rosemont–La Petite-Patrie, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Verdun) ont mis de l’avant des mesures (ou sont en train de le faire) pour empêcher ces évictions déloyales.

On doit reconnaître que l’équilibre du parc locatif de Montréal est très fragile. On est toujours à un poil d’une crise. En voulant restreindre les manœuvres des propriétaires, les arrondissements veulent protéger cet écosystème.

Mais la méthode préconisée par certains arrondissements pour lutter contre les évictions suscite l’ire de certains propriétaires. « On dit que l’on veut restreindre les travaux de transformation, mais dans les faits, on veut carrément les interdire », dit Hans Brouillette, directeur des affaires publiques à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).

Selon lui, les processus de consultation qui sont menés par les arrondissements sont absolument « inacceptables ». « Encore une fois, c’est une décision politique et on profite d’un momentum pour la faire passer en douce », ajoute-t-il.

Selon la CORPIQ, cette décision aura un impact à long terme sur les propriétaires qui ne sont pas de grands spéculateurs. « Tous les propriétaires de plex seront touchés par cela lorsque viendra le temps de revendre leur propriété », souligne Hans Brouillette.

Le Journal Métro a rapporté mardi le cas d’un couple de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension qui souhaitait convertir son duplex en maison unifamiliale. L’arrivée d’un second enfant fut l’élément déclencheur de ce projet d’avenir qui a été stoppé frette net sec par l’arrondissement.

La bataille pour assurer une plus grande pluralité de logements à Montréal, je la comprends, mais l’initiative des arrondissements n’est qu’un coup d’épée dans l’eau, à mon avis.

Cela n’améliorera pas véritablement la situation du logement à Montréal et mettra simplement des bâtons dans les roues des propriétaires qui veulent créer des milieux de vie plus intéressants, notamment pour les familles.

D’abord, il devrait y avoir une concertation pour l’ensemble des arrondissements. Les mesures adoptées (ou en voie de l’être) diffèrent d’un secteur à un autre. On devrait aussi faire la distinction entre les spéculateurs qui possèdent plusieurs propriétés et les propriétaires d’un seul immeuble. Ne mettons pas dans le même panier les investisseurs étrangers qui font de la revente rapide et les propriétaires qui occupent leur immeuble.

Et aussi, misons sur le fameux plan des 12 000 logements sociaux et abordables de la mairesse. Cette promesse phare de Projet Montréal lors des élections de 2017 devra être livrée à terme et auréolée de succès en 2021. L’administration Plante-Dorais n’a pas le choix.

Le flou qui entoure les mesures adoptées par certains arrondissements est le nerf de la guerre dans cette affaire. Marie-Cécile Bodéüs, avocate spécialisée en droit de la copropriété, est de cet avis. « La Ville a certains pouvoirs, mais pas tous les pouvoirs. Elle est en train de s’emparer de celui de la Régie du logement du Québec. »

Un groupe de propriétaires a créé la Coalition pour la qualité des logements à Montréal. Celle-ci veut porter l’affaire devant les tribunaux. Elle a lancé une collecte de fonds afin de payer les frais juridiques.

Les rénovictions sont inacceptables. Il y a des fautifs qu’il faut repérer. Mais ce n’est pas une raison de punir tout le monde en même temps.