Un jury complètement corrompu a acquitté Bob Bigras dans son procès de 2012. Huit ans plus tard, les jurés qui ont fait dérailler l’opération Julep tombent comme des mouches. Ils étaient encore liés les uns aux autres, de manière tordue. Quel rôle le commandant du poste 35 joue-t-il dans cette funeste pièce de théâtre ?

« Baptême », lança pour lui-même Baptiste Bombardier, lorsque le médecin des urgences du CHUM — où il était étonnamment l’un des rares patients de la vaste salle d’attente — l’avisa que les crachats sanguins qui avaient maculé son masque de protection s’apparentaient visiblement à de l’hémoptysie, une condition annonciatrice d’une possible embolie pulmonaire, d’une tuberculose ou plus simplement d’un cancer du poumon.

« Crisse, ajouta-il, intérieurement, c’est pas le moment de tomber malade. L’enquête avance, c’est le bordel, j’ai pas de temps à perdre à commencer à consulter. Mais, au moins, c’est pas la COVID », se rassura-t-il.

Pas surprenant qu’un homme de près de 70 ans — affublé d’un prénom comme le sien — utilise depuis son plus jeune âge « baptême » comme juron de prédilection. Mais le temps n’était pas à la sémantique ni au diagnostic de ses déjections pulmonaires, Baptiste Bombardier voulait surtout mettre urgemment un terme à l’épidémie de décès qui frappait de façon systématique les membres du jury du procès de Big Bigras.

Malgré la récente décision de René Dupont de collaborer avec la police, celui qui était jusque-là considéré comme le principal architecte de son propre meurtre continuait de hanter l’enquêteur Bombardier.

René Dupont n’était pas chez lui le soir où il a été tué de deux balles à la tête, c’est son sosie qui a écopé à sa place. Cette substitution de coïncidence avait tous les airs d’une machination orchestrée par Dupont pour qu’on le laisse en paix. Mais pourquoi trois autres membres du jury du procès Bigras ont-ils été liquidés par la suite ?

Et pourquoi Bigras lui-même, qui avait des raisons d’être à l’origine de cette vendetta à l’endroit de jurés qui l’avaient gracié huit ans plus tôt, venait-il lui aussi d’être sauvagement assassiné à 4000 kilomètres de Montréal, tout près du lieu où le juré Jean-Marc Chicoine avait subi le même sort quelques jours au préalable ?

« Qui call les shots ? », se demanda tout haut Baptise Bombardier en quittant les urgences du CHUM et en ôtant prestement son masque de protection en s’assoyant au volant de sa voiture, un masque qui, heureusement, n’affichait aucune souillure d’hémoglobine.

Il était trop tard pour appeler sa collègue Angele Jones, mais il la texta pour la rassurer sur son état de santé : il n’avait pas la COVID-19 et ils se verraient le lendemain matin au poste 35.

Quatre des huit membres du jury du procès de l’affaire Julep, en incluant le faux René Dupont, avaient été retrouvés morts. Ils avaient acquitté Bob Big Bigras des accusations qui auraient dû le condamner à passer le reste de ses jours en prison.

Pour Bombardier, les faits étaient clairs : le jury avait été acheté par Bigras et les huit membres qui continuaient à se fréquenter par l’entremise de Zoom depuis huit ans avaient été les complices de son improbable acquittement.

Est-ce qu’ils avaient subitement décidé de recommencer à presser le citron et à exiger que Bigras les rétribue de nouveau pour les services inestimables qu’ils lui avaient rendus ?

Est-ce que l’un ou des jurés auraient confessé ressentir une culpabilité envahissante pour leur compromission passée, déclenchant ainsi les règlements de compte systématiques des derniers jours ?

Bombardier fut pris d’une toux soudaine qu’il tenta d’amoindrir du mieux qu’il put en réprimant sa respiration. Il fit basculer le rétroviseur pour s’examiner et constater avec satisfaction qu’aucune trace de sang ne venait maquiller ses lèvres. « J’ai pas la COVID », se consola-t-il de nouveau.

Poursuivant sa route et sa réflexion, l’enquêteur soupesa les deux dernières hypothèses qu’il venait de formuler. La tentative d’extorsion ne tenait pas la route. Louise Dumas-Beaudoin et René Dupont gagnaient maintenant très bien leur vie et ils n’avaient pas besoin d’en remettre. La piste des remords simultanés de plusieurs jurés semblait tout aussi improbable.

Non, il y avait quelqu’un d’autre au sein du groupe des huit jurés ou au-dessus de celui-ci qui « callait les shots » et qui avait décidé de faire le ménage pour regagner une paix d’esprit qui avait été subitement menacée. En utilisant l’assassinat violent ou le suicide assisté.

Il fallait maintenant remonter à l’époque du procès de l’affaire Julep et reconsidérer tous les éléments qui avaient permis d’innocenter Big Bigras. Il fallait creuser dans le passé des quatre membres du jury de la cellule Zoom toujours en vie et s’atteler à découvrir quels étaient les motifs réels qui les poussaient à poursuivre leur curieuse fréquentation.

Il fallait aussi revenir sur la participation présumée du commandant Mario Malatesta à la corruption de certains membres du jury, selon les confessions obtenues de René Dupont lors de son interrogatoire. Il restait bien des fils à attacher et Bombardier n’allait pas interrompre son enquête pour investiguer plus à fond les raisons de son hémoptysie.

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