LE FAN : Docteur, j’ai besoin d’aide.

LE PSY : Allongez-vous.

LE FAN : J’me comprends pus, docteur.

LE PSY : Que se passe-t-il ?

LE FAN : Le hockey recommence, ce soir.

LE PSY : Oui, et puis ?

LE FAN : Pis moi, j’aime ça, le hockey. J’en mange du hockey.

LE PSY : Vous devez être heureux ?

LE FAN : Je le sais pas, docteur. C’est ça, le problème. On est en août, docteur ! J’ai jamais vécu ça, du hockey en août. Moi, un samedi du mois d’août qui fait beau et chaud, d’habitude, je reste dans ma piscine jusqu’à tard. J’bois du punch pis j’ai du fun. Mais là, à 8 h, va falloir que je rentre dans la maison, regarder la game. Pis je l’sais pas si ça me tente tant que ça. Chus pas normal. Chus comme toute déréglé.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le vrai fan du Canadien de Montréal espère-t-il une victoire de ses préférés ou une défaite, contre les Penguins de Pittsburgh ?

LE PSY : Écoutez-vous. Vous pouvez rester dans votre piscine, si vous préférez…

LE FAN : Non, je peux pas ! Vous comprenez pas, c’est le Canadien qui joue ! C’est mon équipe ! Déjà qui joue à Toronto, devant pas de monde, si en plus, j’suis pas là, les petits gars vont être abandonnés. J’peux pas leur faire ça.

LE PSY : Donc vous allez regarder le match…

LE FAN : J’peux pas faire autrement. Mais j’ai jamais regardé ça, un match du CH que j’suis pas sûr que j’ai le goût de regarder. Me sens lâche.

LE PSY : Mais non, mais non. Je suis certain que lorsque le match va commencer, vous allez être content de le regarder. Vous ne voudrez pas retourner dans votre piscine.

LE FAN : Peut-être…

LE PSY : Surtout si votre Canadien gagne !

LE FAN : Non ! Non ! Dites pas ça ! Dites pas ça ! Ça, c’est mon autre problème.

LE PSY : Quoi ?

LE FAN : J’le sais pas si je veux que le Canadien gagne.

LE PSY : Ah bon ?

LE FAN : Moi, toute ma vie, j’ai voulu que le Canadien gagne. Depuis que je suis petit, je regarde tous les matchs en voulant qui gagne. Je crie ! Je saute dans les airs ! Je chante Na-na-na-goodbye ! Je fais toute dans mon salon pour qui gagne. Que ce soit un match préparatoire ou la Coupe Stanley, moi, c’est Go Habs Go tout le temps. À fond. Mais ce soir, je l’sais pus.

LE PSY : Pourquoi ?

LE FAN : Si le Canadien gagne contre Pittsburgh, y s’en vont dans les vraies séries, pis y ont encore des minuscules chances de gagner la Coupe Stanley. Mais si le Canadien perd contre Pittsburgh, y s’en vont chez eux, pis y ont encore des chances de repêcher Alexis Lafrenière. ALEXIS LAFRENIÈRE ! Le meilleur joueur du prochain repêchage de la LNH. Un p’tit Québécois ! Un gars de chez nous ! Un scoreur ! La prochaine star de la ligue. Le Canadien a pas eu ça depuis Guy Lafleur.

LE PSY : Donc, ce serait préférable que le CH perde ?

LE FAN : Probablement. Mais on peut pas être sûr. Parce qu’ils peuvent perdre et ne pas avoir la chance de repêcher Lafrenière. Tout dépend du tirage au sort. Non seulement on serait pas allés loin, cette année, mais on n’irait pas loin encore un bout. Tandis que s’ils gagnent, on sait jamais, peut-être qu’ils pourraient aller loin, cette année. Chus toute mêlé, docteur. Je pense que je vais pleurer.

LE PSY : Pleurez, pleurez… Ça fait du bien !

LE FAN : Bouhouhouhou ! Je peux pas être content si les Penguins comptent des buts contre mon Carey. Mais si je veux avoir Lafrenière, faut que les Penguins comptent des buts contre mon Carey. Ça va me déchirer le cœur. Pis moi, quand le CH compte des buts, je capote ! Chus heureux ! Mais là, si y compte plus de buts que Pittsburgh, on n’aura pas Lafrenière. Je sais pas comment être, à soir, docteur ! JE SAIS PAS COMMENT ÊTRE, À SOIR, DOCTEUR ! Aidez-moi ! Bouhouhouhou !

LE PSY : Écoutez-vous, écoutez-vous.

LE FAN : Je m’écoute trop, docteur ! Dans ma tête, c’est comme une ligne ouverte non-stop avec Ron Fournier. J’arrête pas de débattre avec moi-même ce qui est le mieux pour le Canadien. Mais j’y arrive pas ! Y a trop d’imprévus ! Pourquoi, docteur, la vie est remplie d’imprévus ? On serait si ben si on savait tout ce qui va nous arriver !

Être sûr, si y perd, que le Canadien repêche Lafrenière, c’est sûr que je voudrais qu’il perde. Pis être sûr que, si y gagne, le Canadien gagne la Coupe Stanley, c’est sûr que je voudrais qu’il gagne.

À soir, est-ce que je veux que le Canadien gagne ou je veux que le Canadien perde ? Je me suis jamais demandé ça en 50 ans. C’est comme si je savais plus si j’suis un gars ou pas. Je remets en doute mon identité partisane. C’est grave. Comment régler ça, docteur ?

LE PSY : Il n’y a qu’une seule solution.

LE FAN : Laquelle, docteur ?

LE PSY : C’est qu’avant chaque match de la série, vous veniez me voir pour en parler. Même que je continuerais nos rendez-vous jusqu’au prochain repêchage, si c’est pas jusqu’à la prochaine Coupe du Canadien.

LE FAN : Ça va être long, docteur.

LE PSY : Ça va être long.