Quatre policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont intimidé en pleine salle d’audience la victime d’agression sexuelle d’un policier, affirme la Couronne. Au moment même où une vague de dénonciations déferle sur le Québec, des supérieurs hiérarchiques appuient publiquement ce « policier exemplaire » pourtant reconnu coupable. Une enquête interne vient d’être lancée par le SPVM.

« C’est une situation très sérieuse. C’est pour ça qu’une enquête a été ouverte dès aujourd’hui par les affaires internes », a assuré en fin de journée l’inspecteur Sébastien de Montigny, après que La Presse a signalé cette affaire au SPVM mercredi.

L’enquête interne porte autant sur les allégations d’intimidation des policiers que sur les lettres d’appui à l’agresseur signées par ses supérieurs, dont un aspirant commandant. Ces lettres sont le « fruit d’une initiative personnelle » et ne sont « en aucun cas » appuyées de façon officielle par le SPVM, maintient l’inspecteur.

L’épisode d’intimidation, survenu l’été dernier pendant le procès de l’agent André Hébert-Ledoux, s’est retrouvé au cœur des audiences sur la peine du policier ce mois-ci au palais de justice de Montréal. L’homme de 33 ans a été reconnu coupable en mars dernier d’avoir agressé sexuellement une amie dans un évènement public, il y a trois ans, alors qu’il était dans un état d’ébriété avancé. Il a fait appel de la décision.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le policier André Hébert-Ledoux au palais de justice de Montréal, le 6 juillet dernier

« Soudainement, il lui agrippe les fesses et lui prend les seins par en arrière en riant. En le repoussant à l’aide de ses deux mains sur son thorax, elle tombe par terre. L’accusé tente de la relever en lui prenant le bras. Elle crie de la lâcher. Puis, il passe sa main dans sa culotte et insère son doigt dans son vagin. Elle le repousse une deuxième fois », a résumé le juge Pierre Bélisle.

Cette agression a « ruiné » la vie de la victime, plongée dans une dépression majeure et en choc post-traumatique. Trois ans plus tard, elle ne peut plus reprendre son ancien poste, qui lui demande de travailler avec des policiers. « C’était mon choix de carrière, c’était ma vie », a-t-elle confié à la cour. Son identité est protégée par une ordonnance.

La victime faisait alors « confiance » aux policiers et prenait toujours leur défense face aux critiques. Or, elle a maintenant « peur » d’être seule avec un policier, surtout depuis le procès. « Avec ce que j’ai vécu ici, de voir des collègues policiers appuyer un policier qui a agressé sexuellement quelqu’un… », a-t-elle lâché.

Une explication « bidon »

Quelques policiers assistaient au procès, le 17 juin 2019, pour supporter leur collègue, ce qui est fréquent lorsqu’un policier fait face à des accusations criminelles. Mais après la suspension pour le dîner, en l’absence du juge, les quatre policiers se sont alors placés tout près de la victime, en pleurs, à l’avant de la salle d’audience. Les versions divergent toutefois sur la motivation des policiers.

Le juge relate brièvement dans sa décision le récit de la policière du SPVM Félicia Adam, qui a témoigné pour la défense s’être « avancée par instinct avec d’autres collègues pour faire écran entre l’accusé et la plaignante qui pleurait ». Une explication « complètement bidon », selon le ministère public.

Aux yeux du procureur de la Couronne, MSacha Blais, la preuve est claire : il y a eu une « forme d’intimidation par l’accusé et par ses collègues policiers » pendant le procès. « Vous avez cette preuve », a-t-il martelé. Cet incident doit être pris en compte dans l’imposition de la peine, a-t-il ajouté. Il réclame ainsi une peine suspendue de 12 mois pour que l’accusé conserve un casier judiciaire.

« L’accusé est à quelques pieds de la victime, en avant des barreaux, alors que la victime pleure au sol. Ça, c’est la preuve. [L’accusé] a beau vous dire qu’il voulait voir son avocate, mais ils étaient rendus quatre policiers [près de la victime] à ce moment-là », a affirmé le procureur, qui souligne l’impunité des policiers.

Si l’accusé était un plombier et qu’il y avait eu quatre plombiers à côté de la victime, probablement qu’ils se seraient tous fait arrêter, mais parce que ce sont des policiers, on dit que c’est différent, que c’est normal qu’ils soient près de la victime.

Sacha Blais, procureur de la Couronne

Selon l’avocate de la défense, MAriane Bergeron St-Onge, la victime s’est mise à pleurer seulement lorsque MBlais s’est interposé en parlant fort. « Ça surprend peut-être, des policiers qui se placent en écran comme ça. C’est à ce moment que Madame s’est mise à pleurer très fort et pleurer au sol. Je comprends que c’est une situation particulière, mais je ne pense pas que c’est un dossier où il y a de l’intimidation dans la salle de cour », a martelé la criminaliste.

« Mettons que ça n’a pas été brillant de leur part d’agir de la sorte », a alors commenté le juge Pierre Bélisle.

Le comportement de ces policiers révolte Gabrielle Caron, intervenante sociale à l’organisme Trêve pour Elles, un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Montréal.

« Je trouve ça complètement aberrant ! C’est très choquant, ça vient vraiment nous faire réagir. D’où l’importance d’apporter des changements concrets pour redonner confiance dans le système. Ça renforce la croyance qu’il existe une culture du silence au sein de la police. Je trouve ça très, très choquant », a-t-elle insisté en entrevue.

L’inspecteur de Montigny encourage les victimes à porter plainte dans les postes de quartier. « Le SPVM va continuer de tout mettre en œuvre pour offrir son soutien aux victimes d’agression sexuelle, surtout dans le contexte actuel. […] On a vraiment remis de l’avant les enquêtes en matière d’agression sexuelle. On est le seul corps de police avec une équipe dédiée aux crimes sexuels », a fait valoir le porte-parole du SPVM.

Un policier « exemplaire »

Le policier André Hébert-Ledoux, suspendu depuis le verdict de culpabilité, conserve d’importants appuis au sein du SPVM. Ses supérieurs hiérarchiques, les sergents superviseurs Hamelin et Pendleton, le sergent Jacques Deschamps et l’aspirant commandant Stéphane Dufour ont signé des lettres « très positives » à son endroit, selon la défense.

« Ils mentionnent qu’ils n’auraient aucun problème à réintégrer dans leur équipe M. Hébert-Ledoux, qu’il fait preuve d’assiduité dans son travail, de ponctualité et qu’il est un policier exemplaire dans le cadre de ses fonctions », a plaidé MBergeron St-Onge.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Ariane Bergeron St-Onge, avocate de la défense

Ses évaluations de rendement montrent également qu’il est un policier « tout à fait exemplaire qui fait preuve de beaucoup de compétence dans son travail », soutient-elle. De plus, son crime n’a pas été commis dans le cadre de ses fonctions et son risque de récidive est « extrêmement faible », ajoute-t-elle.

Compte tenu des « nombreux » facteurs atténuants, la défense demande de lui imposer une absolution conditionnelle et une probation d’un an. Une absolution permet à un délinquant d’éviter de conserver un casier judiciaire. Une telle peine l’aiderait certainement à conserver son emploi, sans que ce soit automatique.

Selon la défense, une absolution n’est pas contraire à l’intérêt public et n’est pas susceptible d’amoindrir la confiance du public dans l’administration de la justice, un des critères clés dans la loi.

Le procureur de la Couronne insiste pour sa part sur les conséquences « majeures » du crime sur la victime, l’intimidation en salle de cour et l’importance de dénoncer le « fléau » des agressions sexuelles. « Il faut que les gens comprennent que ça ne se fait pas. Ce n’est pas parce qu’on prend de l’alcool qu’on peut poser ce genre de gestes-là », a plaidé MBlais.

« Je pense que la société doit s’attendre à ce qu’un policier respecte la loi dans sa vie personnelle. Il a beau être le meilleur policier au monde, si dans sa vie personnelle, il ne respecte pas les lois… […] De penser qu’un policier ne respecte pas les lois, ça peut être choquant », a plaidé MBlais.

Pour Gabrielle Caron, une telle affaire envoie malheureusement aux victimes le message que ça ne « sert à rien » de porter plainte, alors que les dénonciations publiques se multiplient sur les réseaux sociaux. Elle assure toutefois que les intervenantes sont prêtes à écouter et à guider les victimes. L'organisme Trêve pour Elles n'offre temporairement pas les services d'accompagnement judiciaire en raison de la pandémie, mais réfère les victimes aux Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC).

La cause revient au mois d’août pour la suite de la demande en dédommagement de la victime, qui réclame 100 000 $ en perte de revenus à son agresseur.

Ligne ressource sans frais pour victimes d’agression sexuelle (24/7) : 1888 933-9007 ou 514 933-9007

Ligne téléphonique sans frais du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour renseigner les personnes victimes de violences sexuelles qui envisagent de déposer une plainte auprès des policiers : 1877 547-DPCP (3727) du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 12 h et de 13 h à 16 h 30