Baptiste Bombardier n’y croyait pas tout à fait : son propre boss, le commandant du poste 35, corrompu par Bob Bigras. Depuis quand ? Cette affaire devient de plus en plus tordue au fur et à mesure que les masques tombent. Un mystère demeure entier : pourquoi des jurés du procès de Bigras ont-ils gardé contact des années après l’acquittement ?

Roger Campeau referma sa tablette, la posa sur la table à café et s’étira sur le divan.

Il soupira. Le confinement commençait à peser lourd. Très lourd.

« Crisse que c’est plate… »

Le juré numéro 7, âgé de 69 ans, vivait seul. Il ne sortait qu’une fois ou deux par semaine pour faire ses courses. Le IGA et le Pharmaprix du Village étaient les seuls lieux qu’il visitait. Équipé de son couvre-visage, il faisait ses achats au pas de course.

Pour le reste, son temps était partagé entre les nombreuses heures qu’il consacrait aux vidéos glanées sur YouTube et à la lecture de sites de nouvelles. Il le faisait quand il arrivait à se concentrer…

Depuis la fameuse réunion, la dernière, avec ses amis jurés, Roger Campeau avait du mal à faire le vide. L’interrogatoire qui avait suivi l’avait traumatisé. Il repensait sans cesse aux questions qu’on lui avait posées, aux réponses qu’il avait fournies.

Roger Campeau avait peur. Peur que l’étau se resserre sur lui, peur que l’on découvre qu’il s’était parjuré et qu’il était un sale corrompu… Peur qu’on lui prenne les 25 000 $ qu’on lui avait offerts en échange de sa putasserie.

Ancien serveur de bars, Roger Campeau n’avait jamais eu beaucoup d’argent. Des petits salaires qu’il avait touchés pendant les 40 ans où il avait travaillé dans les dernières tavernes de la Main, il ne lui restait plus grand-chose.

Les maigres rentes du gouvernement lui permettaient de vivre dans un appartement minuscule de la rue Logan à deux pas de celui où avait vécu les célèbres Lavigueur.

« Moi, je ne ferais pas comme eux si je gagnais le gros lot. Crisse que non… Je ne demande pas grand-chose… Juste un p’tit million, ça serait assez. »

Celui qui avait grandi et passé toute sa vie dans le quartier du Centre-Sud n’avait pas été difficile à convaincre. 25 000 $… Pensez donc, il n’avait jamais eu une telle somme de sa vie.

Le téléphone sonna.

« Roger Campeau ? Baptiste Bombardier, enquêteur dans le dossier René Dupont.

Le cœur de Roger Campeau se mit à battre très fort.

– On aimerait vous revoir, dit Bombardier. Seriez-vous libre maintenant pour une rencontre ?

– Ça ne pourrait pas attendre à demain ? demanda Campeau.

– Pas vraiment, ajouta Bombardier sur un ton ferme. On vous attend. Même endroit que la dernière fois. »

« Fuck ! Fuck ! Fuck ! Qu’est-ce qu’ils me veulent ? Qu’est-ce que je vais leur dire ? Et je ne peux pas parler aux autres… Comment je vais arranger ça ? »

Roger Campeau tournait en rond dans la seule pièce de son appartement, celle qui lui servait à la fois de cuisine, de salon et de chambre à coucher.

« OK, calme-toi, Campeau. Respire par le nez… Laisse venir les questions… Tu ne sais rien… Tu n’as rien fait… Tu as bien agi… »

Roger Campeau retira son t-shirt, passa un coup de déodorant sous ses aisselles et enfila une chemise propre. Il alla vers une armoire et prit un flacon de brandy. Il s’envoya une bonne rasade.

Il prit ses clés, son jacket et ouvrit la porte. Une silhouette lui fit face.

– Crisse ! Qu’est-ce que tu fais là, toi ? demanda Campeau. Tu m’as fait peur ! »

Roger Campeau sentit le froid de la pointe d’un révolver sur son front. Puis, en un millionième de seconde, son cerveau éclata. En un millionième de seconde, Roger Campeau quitta sa vie, cette vie qui ne l’avait jamais gâté.

Le corps de Roger Campeau s’affaissa sur le sol. Le sang se mit à couler sur le palier de l’escalier.

Roger Campeau avait eu une chienne de vie. Il connaissait une chienne de fin.

En face de l’appartement de Roger Campeau, des enfants jouaient. Ils s’amusaient avec des craies sur le trottoir. Un homme passa et marcha sur leur dessin.

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