Avant même d’avoir en main les papiers du véhicule, un policier du SPVM a posé huit questions en lien avec l’immigration à un conducteur montréalais noir interpellé pour un feu jaune forcé le mois dernier.

Lorsqu’il s’est fait interpeller pour avoir forcé un feu jaune sur l’avenue Van Horne, à Outremont, le 24 juin dernier, Lamine Nkouendji a été choqué d’entendre le policier commencer par lui poser une volée de questions sur son statut migratoire au Canada.

« Il voulait savoir depuis quand j’étais au Canada, où j’étudiais, en quoi j’étudiais, à quelle session j’avais arrêté mes études… J’avais l’impression d’être à la douane. »

M. Nkouendji, qui a filmé l’interaction avec le policier, devenue virale sur les réseaux sociaux, estime qu’il s’agit là du profilage racial. « Un conducteur blanc n’aurait jamais eu à répondre à une telle série de questions pour un feu jaune. »

Travaillant pour une grande chaîne de location de voitures, M. Nkouendji, originaire du Cameroun, dit se faire interpeller par les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) « trois ou quatre fois par semaine » lorsqu’il conduit une voiture que son employeur lui loue au rabais.

Ils disent que j’ai mal fait mon stop, ou que je n’ai pas mis mon clignotant. Chaque fois, ils me demandent mon statut d’immigration. Quand vous êtes noir et que vous conduisez une voiture neuve, en plus avec une plaque “F” commerciale, les policiers vous interpellent tout le temps. Ça n’arrête jamais.

Lamine Nkouendji

Lonely-Amanda Labourot a vécu une expérience semblable avec les policiers montréalais. Interpellée en 2018 alors qu’elle filmait une arrestation musclée devant le Théâtre du Nouveau Monde, puis accusée d’entrave à un agent de la paix, la Montréalaise a été prise de panique lorsqu’elle a vu le policier du SPVM sortir du véhicule de patrouille où elle était détenue pour appeler sur-le-champ Immigration Canada.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le policier qui a arrêté Lonely-Amanda Labourot en 2018 a appelé Immigration Canada pour l’intimider, selon la jeune femme.

J’entendais la conversation à travers la vitre. Le policier s’est présenté, et il a dit à Immigration Canada qu’il venait de procéder à mon arrestation. Il voulait m’intimider. Ensuite, il m’a dit qu’il avait fait ça pour m’identifier, alors qu’il avait toutes mes cartes d’identité en sa possession. J’ai eu vraiment peur.

Lonely-Amanda Labourot

MFernando Belton, président de la Clinique juridique de Saint-Michel, explique qu’il est « injustifié » pour des policiers municipaux de questionner les gens sur leur statut migratoire lors d’interpellations qui n’ont rien à voir avec l’immigration.

Dans un récent marathon Instagram de 12 heures, la Clinique juridique de Saint-Michel a colligé plus de 50 témoignages de profilage racial menés par les policiers de Laval, Montréal et Longueuil raconté par les personnes noires qui en ont fait l’objet.

La vidéo filmée le 24 juin par M. Nkouendji montre que le policier lui a posé huit questions en lien avec l’immigration avant même d’avoir en main les papiers du véhicule, remarque M. Belton. « Dans mon esprit, c’est la définition même du profilage racial. »

MBelton rappelle aux citoyens qu’ils n’ont pas à parler à un policier qui les interpelle.

« La seule obligation du conducteur est de s’identifier, ou de fournir un échantillon d’haleine dans le cas d’une interpellation pour conduite avec facultés affaiblies. Vous avez le droit au silence. Vous n’avez même pas à dire à qui appartient le véhicule. Ce n’est pas une infraction de conduire un véhicule qui ne vous appartient pas. »

Dans ses interactions avec les agents de la paix, MBelton n’engage lui-même jamais la conversation.

Je remets mes papiers et je referme ma vitre. C’est ce que je conseille à tous mes clients qui sont noirs. Je sais que ça peut frustrer des policiers, mais tous les citoyens ont ce droit constitutionnel.

MFernando Belton, président de la Clinique juridique de Saint-Michel

Un récent jugement a montré que les gens qui croient être victimes de profilage racial ont le droit de protester et de faire valoir leur point de vue auprès du policier. « C’est légal de le faire », dit-il.

« Aucune pertinence »

MStéphane Handfield, spécialiste en droit de l’immigration, note que les questions sur l’immigration ne relèvent pas des compétences des policiers du SPVM, et ne sont « d’aucune pertinence » lors d’une interpellation pour un constat d’infraction au Code de la sécurité routière.

« C’est quoi, l’objectif du policier ? Ça ressemble drôlement à du profilage racial », dit-il.

Quant au cas de Mme Labourot, MHandfield dit qu’il est « inhabituel » pour un policier de contacter Immigration Canada directement au téléphone de l’extérieur de son véhicule de patrouille.

« Si je me fais arrêter, les policiers vont-ils appeler Immigration Canada pour m’identifier ? L’identité de quelqu’un, ce n’est pas avec Immigration Canada que tu vérifies ça », dit-il.

Dans le cas de Lamine Nkouendji, l’interpellation du 24 juin s’est envenimée. Les policiers ont voulu saisir son véhicule pour permis suspendu en raison de contraventions impayées. M. Nkouendji a dit n’avoir reçu aucun avis par la poste au sujet de son permis suspendu et a réclamé des explications. Agité, il a insisté pour prendre ses affaires avant de sortir du véhicule, mais les policiers y sont entrés et lui ont projeté du gaz poivré dans les yeux, avant de l’arrêter pour entrave à un agent de la paix. Il compte poursuivre la Ville de Montréal pour profilage racial et dommages corporels.

Sans se prononcer sur l’utilisation du gaz poivré par les policiers dans ce cas précis, MHandfield note que les policiers ont le devoir de chercher à calmer les esprits.

« On ne parle pas d’un vol ou d’un meurtre, là, on parle d’un feu jaune forcé… Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais que je trouve que la finalité est un peu grosse pour l’infraction. »

« Changement de culture »

Le SPVM n’a pas voulu commenter les cas cités ci-haut. « Nous avons bien reçu votre demande, mais nous ne pouvons toutefois pas commenter de cas particuliers », a répondu le service des communications.

En entrevue avec La Presse mercredi à l’occasion du dévoilement d’une nouvelle politique visant à lutter contre les biais qui entraînent un nombre disproportionné d’interpellations de membres de certaines communautés, notamment les Noirs, par les policiers municipaux, le directeur du SPVM, Sylvain Caron, a reconnu qu’un « changement de culture » devait survenir dans son organisation.

Montréal change, la société change, notre organisation doit changer.

Sylvain Caron, directeur du SPVM

L’automne dernier, un groupe de chercheurs indépendants avaient produit pour le SPVM un rapport qui démontrait que les Noirs avaient quatre fois plus de risques que les Blancs d’être interpellés par la police à Montréal.