(Montréal) Le traditionnel jour du déménagement a toujours pris place dans un certain chaos, tandis que des milliers de Québécois plient simultanément bagage et s’installent dans leur nouveau logement. Mais cette année, la recherche d’un nouvel appartement est plus difficile que jamais, selon des groupes de défense des locataires, car la COVID-19 exacerbe la crise du logement provoquée par un faible taux d’inoccupation, des loyers en hausse et une vague de locataires éjectés par des propriétaires désireux de reprendre leur logement et faire un profit.

Quelque 1200 ménages se sont tournés vers des organismes partout à travers la province pour obtenir de l’aide dans leur quête d’un nouvel endroit où vivre, soit deux fois plus que l’année dernière, souligne Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU, un groupe de défense du droit au logement.

De ce nombre, au moins 322 ménages n’avaient pas encore signé de nouveau bail à la veille du 1er juillet.

En entrevue téléphonique avec La Presse canadienne, Véronique Laflamme a exposé que la pandémie a non seulement causé d’importantes pertes d’emplois, mais elle a aussi entraîné son lot de difficultés pour ceux qui peinaient déjà à boucler la fin du mois, comme les locataires qui bénéficient de l’aide sociale ou qui occupent des emplois à faible revenu.

Le virus a également compliqué les visites d’appartements, en particulier à Montréal, la région la plus durement touchée par le virus, où les appartements abordables se font rares et où le taux d’inoccupation se chiffre désormais à 1,5 % — son niveau le plus bas en 15 ans.

Une récente enquête du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec a révélé que les prix affichés en ligne pour des logements offerts en location s’établissent en moyenne à 1044 $ par mois, soit environ 30 % de plus que ce que paient actuellement les locataires, selon les chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement.

À Montréal, ce chiffre était 43 % plus élevé.

C’est à contrecœur que près de la moitié des ménages ayant appelé à l’aide quittaient leur appartement, selon Véronique Laflamme, qui observe un nombre croissant de personnes délogées pour des « rénovictions ». Cette pratique consiste à réaliser des rénovations majeures pour ensuite gonfler les loyers.

Robert Beaudry, le conseiller responsable de l’habitation à la Ville de Montréal, expose que la métropole traverse actuellement une crise du logement causée par un taux d’inoccupation inférieur à 1 % dans de nombreux quartiers.

Les autorités municipales travaillent de concert avec des organismes locaux pour venir en aide aux ménages qui ne trouvent pas un nouveau toit, en leur louant dans certains cas des unités d’entreposage et des chambres d’hôtel, rapporte-t-il.

La Ville de Montréal s’attaque également aux « rénovictions » en resserrant les règles pour les propriétaires qui souhaitent subdiviser ou agrandir leurs logements dans des quartiers centraux.

Si la Ville fait ce qui est en son pouvoir, de nombreuses responsabilités, dont la construction de logements subventionnés, relèvent toutefois de la province, note Robert Beaudry.

En réponse à la pandémie, le gouvernement du Québec est intervenu en offrant un supplément au loyer d’urgence pour les personnes à risque de se retrouver à la rue, des prêts sans intérêt pouvant couvrir jusqu’à deux mois de loyer et un certain soutien aux municipalités.

Mais les répercussions économiques de la COVID-19 s’inscriront dans la durée, prévient Véronique Laflamme, ce qui signifie que plusieurs locataires se retrouveront dans une situation difficile une fois l’aide gouvernementale d’urgence épuisée, tandis que les audiences d’éviction reprendront dès la semaine prochaine à la Régie du logement.

Des locataires inquiets

Fraîchement arrivée dans son nouveau chez soi, Sheila Dassin dirige les déménageurs ployant sous le poids de ses meubles.

« Madame, le petit sofa, ça va où ? En haut ? », s’enquiert l’un des déménageurs, masque sur le visage. « Le sofa-lit ? Dans la petite chambre », indique Mme Dassin, l’index tendu vers un escalier, debout près des cartons étiquetés « cuisine » et « déco fragile », dans cette maison située dans la banlieue de Montréal.

« J’étais inquiète : les gens vont toucher vos choses, et puis avec la crise qui est à l’extérieur maintenant, on a peur que les gens, les étrangers rentrent chez nous », explique cette designer de mode de 46 ans, qui se disait stressée par cette journée.

Le Québec recense plus de la moitié des quelque 104 000 cas de coronavirus enregistrés au Canada depuis le début de la pandémie et près des deux tiers des 8600 décès.

À Montréal, de 80 000 à 100 000 ménages changent d’adresse autour de cette date, selon des chiffres de la ville. D’autres, de plus en plus nombreux, craignent de se retrouver à la rue, en raison de cette période de crise sanitaire et de pénurie de logements.

« C’est des dépenses supplémentaires qui s’ajoutent pour des ménages qui ont déjà de la misère à joindre les deux bouts », déplore Mme Laflamme.

— Avec Anne-Sophie Thill, Agence France-Presse