Imaginez la scène. Vous êtes en visioconférence avec une trentaine de collègues sur Zoom, l’outil technologique phare de la COVID-19. Le patron parle. Ses propos ennuient. Des participants sont occupés à regarder le décor des autres. Certains tapent sur leur clavier, vaquant à d’autres tâches. D’autres, pas encore douchés, n’ont même pas pris la peine de mettre leur caméra en marche, offrant d’eux-mêmes l’apparence d’un carré noir.

Tout à coup, sur les tableaux PowerPoint du directeur apparaissent des messages choquants qui n’ont rien à voir avec les objectifs financiers de l’entreprise. Que se passe-t-il ?

Le phénomène du Zoombombing (ou raid sur Zoom) a connu un essor sans précédent ces dernières semaines. De simple passe-temps pour adolescents désœuvrés et confinés, il est devenu un moyen redoutable pour ceux qui veulent exprimer leurs idées racistes, misogynes ou homophobes.

Ces gestes inquiètent les autorités au point que le FBI a lancé plusieurs enquêtes. La plus récente concerne un cas survenu le 5 juin dernier lors d’une réunion entre des employés de l’Université Saint-Bonaventure, un établissement situé à Allegany, dans l’État de New York.

Ceux qui participaient à la réunion ont eu la mauvaise surprise de voir apparaître à l’écran des images de croix gammée, de même que des messages racistes. Le FBI a identifié trois adresses IP qui pourraient permettre de retrouver les auteurs de ce geste.

Les cibles préférées de ces terroristes du numérique sont les cérémonies de commémoration de l’Holocauste, de même que les réunions rassemblant des personnes asiatiques ou appartenant à des groupes religieux. Les Alcooliques anonymes, les membres de la communauté LGBT ou les défenseurs de l’allaitement naturel sont également visés.

PHOTO OLIVIER DOULIERY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le phénomène du Zoombombing (ou raid sur Zoom) a connu un essor sans précédent ces dernières semaines. De simple passe-temps pour adolescents désœuvrés et confinés, il est devenu un moyen redoutable pour ceux qui veulent exprimer leurs idées racistes, misogynes ou homophobes.

On peut voir des montages de ces moments parfois troublants sur YouTube. Présentées sous le titre de « Funniest Zoombombing », ces vidéos montrent des scènes aussi grotesques que celle d’un jeune homme filmé aux toilettes alors qu’il est en train de déféquer.

Mais encore plus répugnantes sont les images d’enfants agressés sexuellement que certains font apparaître lors d’opérations d’intrusion. Le 27 mai dernier, le FBI a affirmé avoir reçu 240 plaintes de citoyens qui avaient brutalement été confrontés à d’effroyables images contre leur gré.

Comment les auteurs de ces opérations peuvent-ils s’infiltrer dans des réunions qui sont, très souvent, protégées par un mot de passe ? En utilisant des « botnets », ces réseaux de « bots » (robots) qui permettent de prendre le contrôle d’ordinateurs ou d’adresses IP. Cette information est parfois transmise sur les médias sociaux. Ce partage de renseignements peut notamment être identifié grâce aux mots clés « zoompranks » ou « OnlineClassRaid ».

Mais pas besoin d’être un espion aguerri pour sévir sur Zoom. Il suffit parfois de s’en remettre au bon vieux clavardage. C’est ce qui est arrivé à K’Andre Miller, nouvel espoir des Rangers de New York, lors d’une rencontre virtuelle avec des partisans. Comme la discussion a été polluée d’insultes à caractère raciste, la rencontre a été immédiatement stoppée.

Même devant tant de désolation, je ne fais pas partie de ceux qui jettent la première pierre aux technologies que nous avons l’intelligence, et parfois la bêtise, d’inventer. Bien sûr, on doit mettre en place des moyens de protection et des mécanismes pour empêcher les dérives. Bien sûr, le système judiciaire doit permettre d’intervenir auprès de ceux qui commettent des gestes répréhensibles.

Mais il faut plus que jamais savoir démêler le pire et le meilleur des nouvelles technologies. Les images atroces de la mort de George Floyd ont embrasé les États-Unis et de nombreuses villes dans le monde parce qu’elles ont été relayées par les réseaux sociaux. C’est grâce à eux que cette scène morbide a pu secouer la planète entière. Si elle s’était déroulée il y a quelques années, elle serait sans doute demeurée secrète.

Autant je suis accablé et révolté de constater que la haine et la stigmatisation de certains groupes ont si bien su intégrer les technologies – le Zoombombing en est un bon exemple –, autant je persiste à croire qu’il faut travailler sur l’humain, pas sur le logiciel.

À l’instar d’autres géants des technologies, le patron d’Apple, Tim Cook, a annoncé cette semaine un fonds de 100 millions US pour lutter contre le racisme. Bien sûr, ces mégaentreprises ont une image à défendre et des produits à vendre – ces mêmes produits qui servent à propager le racisme, l’homophobie ou la misogynie.

À quoi devraient servir les 100 millions d’Apple ? À soutenir l’éducation, les organisations de la société civile et les entreprises détenues par des personnes noires. Tim Cook n’a pas dit qu’il allait s’attaquer aux technologies. Il a dit qu’il allait travailler à améliorer les conditions des victimes de cette stigmatisation et abattre les « barrières systémiques » régnantes.

Le Zoombombing, comme tous les autres moyens d’intimidation ou d’insulte, est une plaie. C’est malheureux qu’il ait pris racine alors que nous étions dans une situation de grande vulnérabilité. Mais le Zoombombing n’est qu’un canal de plus qui s’ajoute à l’arsenal dont nous disposons pour assouvir nos penchants malveillants.

Ce n’est pas en bannissant de Twitter les présidents abrutis qu’on va régler les choses. Ce n’est pas en retirant le film Autant en emporte le vent de HBO qu’on va changer les mentalités. Ce n’est pas en mettant en prison les terroristes qui sévissent sur Zoom qu’on va rétablir les injustices. Mais bien en travaillant sur une machine infiniment plus intelligente. Et plus difficile à déprogrammer.