Des voix s’élèvent pour réclamer au Québec une politique nationale de lutte contre le racisme, alors que la mort tragique de George Floyd aux États-Unis, tué par un policier blanc lors d’une violente arrestation, ramène les problématiques du racisme et du profilage racial au premier plan dans la province.

Le premier ministre du Québec, François Legault, a affirmé lundi qu’il comprenait le sentiment de révolte des gens qui ont vu la vidéo « choquante [et] révoltante » de la mort de M. Floyd.

« Ça montre qu’on a encore du travail à faire pour lutter contre le racisme. Ce n’est pas le genre de société que l’on veut au Québec », a-t-il dit en point de presse.

L’automne dernier, un rapport commandé par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) rapportait entre autres que les Noirs étaient cinq fois plus susceptibles d’être interpellés par un policier que les Blancs, dans la métropole.

François Legault a promis lundi que la modernisation de la Loi sur la police, alors que cinq experts ont été mandatés par Québec afin de mener des consultations et faire des recommandations, s’attaquerait à l’enjeu du profilage racial.

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François Legault, premier ministre du Québec, en conférence de presse, lundi

Je ne pense pas que notre problème est aussi grave que chez les Américains. Mais en même temps, on ne peut pas dire qu’on n’a pas de problème. […] On a encore du travail à faire.

 Le premier ministre François Legault

« La très grande majorité de nos policiers travaillent bien, sont bien intentionnés. [On ne veut pas] discréditer leur travail. Mais oui, il y a des incidents, il existe du profilage et il faut faire en sorte de lutter contre ça », a pour sa part affirmé la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.

Mettre fin au profilage

Dans ce contexte, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) réclame à nouveau une politique nationale de lutte contre le racisme. Elle souhaite aussi que l’on mette fin aux interpellations aléatoires qui sont faites par les policiers au Québec.

« Ça ne prévient pas la criminalité, ça n’assure pas la paix sociale, au contraire. Il faut trouver des façons de faire plus pratiques et intelligentes », a dit à La Presse le président de la Commission, Philippe-André Tessier.

Ces interpellations visent trop souvent des Noirs et d’autres minorités visibles, a-t-il rappelé. Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, d’origine haïtienne, peut en témoigner.

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Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Je ne connais pas de personnes de la communauté noire qui n’ont pas au moins une fois été interpellées sans raison par la police. C’est quelque chose de commun. Mes parents m’avaient parlé de ça, j’ai parlé de ça à mes enfants. Tout le monde de la communauté explique à ses enfants la relation qu’ils doivent avoir avec la sécurité publique.

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Le ministre caquiste croit qu’il faudra d’abord « enclencher une discussion » sérieuse sur le sujet afin de poursuivre la lutte contre le racisme dans la province. Pour l’instant, observe-t-il, « il y a une certaine gêne » dans la société à aborder cet enjeu complexe.

« La première chose qu’il faut faire collectivement, c’est de nommer [les épisodes de racisme que l’on vit] », a affirmé à La Presse le président du Parti québécois, Dieudonné Ella Oyono.

« Parfois, on a l’impression que [les témoignages] de certaines personnes sont des anecdotes. Mais on a vu les rapports qui sont sortis. […] Le racisme [et le profilage racial], ça existe au Québec », a poursuivi l’Africain d’origine qui a choisi il y a plusieurs années le Québec pour y travailler, faire sa vie et fonder sa famille.

« Un État comme le Québec, qui est une société ouverte, ne peut faire l’abstraction d’une réelle politique de lutte contre le racisme et la discrimination […]. Ce serait un message clair à la société que le racisme est inacceptable », a pour sa part affirmé Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Anglade réclame un plan de match

Dominique Anglade, la première femme à devenir cheffe du Parti libéral du Québec, mais aussi la première Noire à la tête d’un parti politique représenté à l’Assemblée nationale, juge que le temps est arrivé de faire un « plan de match » contre le racisme.

« On peut parler en vœux pieux, ou on peut se dire qu’on va se doter de moyens pour y arriver et que chaque personne va pouvoir contribuer au meilleur de son potentiel », a-t-elle dit à La Presse.

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Dominique Anglade, cheffe du PLQ

Nommons les choses, nommons les comportements, nommons ce qui arrive et de manière constructive. Sans accuser personne, sans rendre les gens coupables. Si tu te sens coupable, la conversation vient de se terminer.

Dominique Anglade, cheffe du PLQ

La cheffe de Québec solidaire, Manon Massé, réclame également une telle politique nationale. Elle croit aussi qu’il faut reconnaître que « le racisme systémique existe au Québec », ce qui ne veut pas dire que les Québécois sont systématiquement racistes.

Le chef par intérim du Parti québécois, Pascal Bérubé, ne la suit pas sur ce point et refuse de parler de qualifier de systémique le racisme tel que vécu au Québec, un terme selon lui très chargé. Mais « il faut comme société qu’il y ait un coût important à payer quand on fait preuve de racisme, que ce soit par une dénonciation publique ou par des sanctions », a-t-il précisé.