(Montréal) Québec veut réduire la proportion de fumeurs de près de la moitié d’ici cinq ans.

Délaissant momentanément le dossier de la pandémie, le directeur national de la santé publique, le docteur Horacio Arruda, a présenté vendredi à Montréal la « Stratégie pour un Québec sans tabac 2025 ».

Le taux de tabagisme québécois, qui atteignait tout près de 30 % au début des années 2000, a chuté au fil des ans autour de 18 %, mais stagne à ce niveau depuis quelques années déjà. L’objectif de la stratégie est de ramener ce taux à 10 %.

Le nombre de fumeurs est estimé à 1,3 million au Québec.

Horacio Arruda n’a pas hésité à utiliser une image que les Québécois ont apprivoisée au cours des trois derniers mois.

« La courbe est rendue à un plateau. Il faut la refaire descendre. L’autre, il fallait l’aplatir, celle-là il faut la faire descendre. On a cinq ans devant nous pour passer de 18 à 10 % », a-t-il martelé, faisant valoir que 2025 « c’est demain ». Il a rappelé que le tabagisme continue de provoquer quelque 13 000 décès annuellement dans la province.

Tabagisme et COVID-19

Selon lui, cette situation risque d’être aggravée par la pandémie puisque les fumeurs présentent des risques plus élevés de maladies pulmonaires, cardiaques et de cancer, ce qui augmente le risque de symptômes plus sévères chez les personnes infectées. Il a du même souffle balayé du revers de la main une étude publiée il y a quelques semaines faisant état de taux d’infection à la COVID-19 moins élevé chez les fumeurs, soulignant qu’il s’agissait d’une seule étude qui n’avait pas été validée par les pairs et qui n’avait pas donné grand-chose d’autre que des manchettes ronflantes dont plusieurs fumeurs se sont servis pour justifier leur habitude.

« C’est sûr que quand on sort ça comme grand titre, c’est une très bonne raison (pour fumer) », a lancé le coloré médecin.

La stratégie gouvernementale porte sur quatre axes, soit la dénormalisation du tabagisme, la prévention de l’usage du tabac et du vapotage chez les jeunes, l’abandon du tabagisme et la protection contre l’exposition à la fumée secondaire et tertiaire des produits du tabac.

« Fumer c’est pas cool »

Dénormaliser le tabagisme signifie pour Horacio Arruda « qu’on veut que de moins en moins le tabac ce soit acceptable dans la population. Il faut respecter les gens qui fument, il ne faut pas les discriminer, mais il faut que notre jeunesse particulièrement se dise que fumer c’est pas cool ».

Parmi les mesures envisagées, Québec se propose d’augmenter le prix du tabac par les taxes et autres, tout en maintenant les efforts de lutte contre la contrebande, réduire l’accessibilité des produits du tabac et créer un système de permis tarifés de vente de produits du tabac et de vapotage.

Bien que le tabagisme ait aussi beaucoup diminué chez les jeunes, le vapotage, lui, connaît une montée en force chez les plus jeunes qui inquiète les autorités de santé publique. Les mesures de ce côté se concentrent beaucoup sur des campagnes de sensibilisation à tous les niveaux d’éducation.

Pour ce qui est de l’abandon, la santé publique mise beaucoup sur des efforts du réseau de la santé et de professionnels, les services d’aide et de soutien à distance et l’accessibilité aux aides pharmacologiques.

Impact de la légalisation du cannabis

La stratégie prévoit aussi une surveillance étroite de la consommation de cannabis afin de déterminer si la légalisation de ce produit a une incidence sur les taux de tabagisme.

« On veut s’assurer que le fait de légaliser n’augmente pas le nombre de fumeurs de cannabis, mais n’augmente pas non plus la proportion de tabagisme de façon générale », a fait valoir la directrice de la santé publique de la Montérégie, Julie Loslier, qui accompagnait le directeur national à la conférence de presse.

En marge de cette offensive, on entend porter une attention particulière aux inégalités sociales de santé qui affectent certains groupes de la population chez qui le taux de tabagisme est plus élevé, notamment les personnes à faible revenu, les jeunes adultes, les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et les membres des communautés des Premières Nations et Inuits.

« Il faut adapter nos interventions pour aller les rejoindre, les supporter, mais pas les culpabiliser, (il ne) faut pas discriminer. Être dépendant de la nicotine, ce n’est pas facile », a fait valoir le docteur Arruda.

Le lobby antitabac se réjouit ; l’industrie du vapotage moins

Sans surprise, les réactions des groupes luttant contre le tabagisme sont très favorables au plan d’action. La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac a dit accueillir « avec grand enthousiasme […] l’ouverture du gouvernement Legault à une éventuelle politique de prix sur les produits du tabac — en plus de hausses potentielles de la taxe-tabac et les initiatives pour dénormaliser le vapotage chez les jeunes ».

Dans son communiqué, la Coalition dit toutefois espérer que les budgets suivront la volonté affirmée, faisant valoir que le budget consacré par Québec pour lutter contre le tabagisme « n’a pas augmenté depuis 18 ans, même pas pour tenir compte de l’inflation », et que l’enveloppe budgétaire, qui stagne à environ 20 millions depuis 2002, n’a jamais été ajustée pour tenir compte « des nouveaux défis considérables associés au phénomène du vapotage ».

À l’opposé, l’Association des représentants de l’industrie du vapotage (ARIV) se dit « très déçue » de ne pas avoir été consultée et réclame d’être entendue en commission parlementaire avant qu’une réglementation ne soit adoptée. Dans un communiqué diffusé avant même que ne soit terminée la conférence de presse, l’Association a déploré la mise en place « de nouvelles restrictions » alors que le gouvernement fédéral est toujours en train de se pencher sur la question.

L’industrie répète depuis des années déjà qu’elle appuie la volonté de restreindre l’accès au vapotage chez les jeunes, bien qu’elle se livre à un marketing jeunesse dans les pays qui ne l’interdisent pas, mais elle insiste surtout sur l’apport du vapotage comme outil de cessation tabagique, un apport qui est largement reconnu dans le milieu de la santé.

Le directeur de l’Association, Daniel Marien, estime par ailleurs que « cet enjeu n’est pas une priorité en temps de pandémie » et que l’objectif de l’industrie « demeure d’offrir une solution de rechange aux fumeurs ».