Même en temps de pandémie ou de récession, jeter du lait ou euthanasier des animaux à la ferme devrait être illégal, estime environ la moitié des Canadiens. C’est ce que démontre un sondage rendu public, ce matin, par le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie.

Poussins euthanasiés, millions de litres de lait jetés, porcheries qui débordent : la pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Le coup de sonde mené par la firme Caddle entre le 11 et le 13 mai auprès de 1567 répondants a tenté de déterminer si, aux yeux des Canadiens, le gaspillage alimentaire à la ferme est acceptable « pour sauvegarder l’agriculture ».

Environ 54 % des répondants estiment que les producteurs de porcs ou de poulet ne devraient « jamais » tuer un animal en santé à la ferme. Ils considèrent même que ce geste devrait être illégal.

Les Canadiens sont légèrement moins nombreux, soit 48,3 %, à penser qu’il devrait aussi être contre la loi de jeter du lait, peu importe le contexte.

« Ce qu’on propose dans le rapport, c’est que l’on devrait créer des incitatifs pour faire de la recherche et développement afin de trouver de nouveaux débouchés pour la transformation de ces denrées », a expliqué Sylvain Charlebois, directeur général du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, en entrevue avec La Presse.

« Il ne faut pas blâmer qui que ce soit, c’est un problème de système. C’est important de reconnaître qu’il faut travailler là-dessus. Je pense que les Canadiens voient cela comme un problème moral », a-t-il ajouté.

Fait intéressant, c’est au Québec où l’on retrouve la plus grande proportion de consommateurs qui estime que jeter les trois types de denrées devrait être illégal. Les taux sont respectivement de 57,0 % pour les poulets, de 56,9 % pour les porcs et de 54,1 % pour le lait.

Poussins tués

Quelques jours avant la tenue de ce sondage, La Presse révélait que plus de 200 000 poussins ont dû être euthanasiés dans les couvoirs du Québec, tandis qu’environ 2 millions d’œufs en incubation destinés à devenir des poulets à chair ont été détruits. Il s’agit de la conséquence malheureuse d’une baisse sans précédent des quotas de poulet au Canada décrétée en raison de la fermeture des restaurants et des arènes sportives.

Environ 23 % des répondants pensent que les producteurs de poulet peuvent euthanasier leurs animaux « dans des circonstances exceptionnelles telles qu’une pandémie », tandis que 9,4 % pensent qu’il est acceptable de le faire « dans des circonstances difficiles telles qu’une récession ». Le reste, soit 12,8 %, considère que les producteurs peuvent le faire « chaque fois que nécessaire ».

Lait jeté, porcheries qui débordent

Partout en Amérique du Nord, des abattoirs sont aux prises avec des éclosions majeures de COVID-19. Au sud de la frontière, les médias américains rapportent que des porcs ont dû être euthanasiés en masse.

Selon le Conseil canadien du porc, des animaux ont aussi dû être éliminés et jetés dans les provinces de l’Est. Pour l’instant, les Éleveurs de porcs du Québec rapportent qu’il n’y a pas eu d’animaux sacrifiés de la sorte ici.

Par contre, près de 87 000 bêtes de trop s’entassaient dans les porcheries en date de la semaine dernière.

La fermeture de l’usine dabattage de porc dOlymel à Yamachiche durant deux semaines en raison d’une éclosion de coronavirus y est pour beaucoup. Tout comme la mise en place de mesures de distanciation de sociale afin de protéger les travailleurs dans l’ensemble des usines de transformation de viande de la province.

Les Éleveurs de porcs du Québec craignent aussi d’être obligés davoir recours à des euthanasies dites « humanitaires », car à partir d’un certain poids, les cochons sont trop gros pour entrer dans la machinerie des abattoirs.

Seulement 23,7 % des Canadiens estiment qu’il serait justifié d’euthanasier des porcs en raison de la pandémie. En contexte de récession, 10,2 % pensent qu’il serait correct de le faire et 12,6 % croient que les producteurs peuvent le faire chaque fois que nécessaire.

Les Canadiens sont légèrement plus nombreux à penser qu’il est acceptable de jeter du lait en temps de pandémie (25,7 %) ou de récession (10,7 %).

En raison de la fermeture des écoles et des restaurants, la demande pour le lait a grandement baissé au Canada. Résultat : des millions de litres ont dû être jetés.

Avec ce qu’il se passe en ce moment, l’agriculture sert sur un plateau d’argent des études de cas pour les véganes.

Sylvain Charlebois, directeur général du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie

Ottawa tente de remédier au gaspillage à la ferme

Le 6 mai dernier, le gouvernement Trudeau a annoncé une aide de 50 millions afin de mettre sur pieds un programme d’achat de surplus d’aliments pour éviter que des producteurs se débarrassent de leurs produits.

Concrètement, Ottawa rachètera les surplus alimentaires de certains producteurs pour les remettre à des banques alimentaires. Justin Trudeau voulait ainsi éviter à tout prix le « gaspillage » sur les fermes au même moment où l’insécurité alimentaire augmente au pays.

Selon M.  Charlebois, il s’agit d’une solution « créative », mais difficile à mettre en place.

Méthodologie

Au total, 1567 Canadiens ont été interrogés du 11 au 13 mai 2020 lors d’une enquête nationale menée par Caddle. L’échantillon présente une marge d’erreur de +/-3,1 points de pourcentage 19 fois sur 20. Le financement de cette enquête a été fourni par Caddle et l’Université Dalhousie.