Un an après la tragédie de Granby, près de la moitié des intervenants de la Direction de la protection de la jeunesse de l’Estrie estiment que leurs conditions de travail se sont détériorées, à tel point que le tiers d’entre eux songent à quitter le secteur des services sociaux.

Un sondage réalisé au cours des dernières semaines par l’Alliance du personnel professionnel et technique (APTS) auprès de 96 des 560 intervenants que compte le syndicat en Estrie, donc 17 % des membres, montre des résultats pour le moins inquiétants. La Presse a obtenu copie de la totalité des données du sondage.

Près de la moitié des répondants (46 %) estiment que leurs conditions de travail se sont détériorées dans la dernière année. Quelque 42 % des répondants croient qu’elles sont restées à peu près semblables et un maigre 10 % trouve qu’elles se sont améliorées.

Résultat : près du tiers des intervenants songent à quitter le secteur des services sociaux. Quelque 28 % des répondants ont répondu par l’affirmative lorsqu’on leur demande s’ils songent à quitter la DPJ pour un autre secteur d’activité, 40 % se disent en réflexion et 31 % n’y songent pas.

Pourtant, la grande majorité de ces intervenants travaillent depuis plusieurs années pour la DPJ : 61 % d’entre eux y sont depuis plus de cinq ans. Le quart y ont oeuvré entre un et cinq ans, et 14 % depuis moins de cinq ans.

Pour le délégué régional de l’APTS, Danny Roulx, ces résultats représentent un véritable cri d’alarme. « La direction a mis beaucoup d’efforts pour améliorer les processus cliniques, plutôt que d’améliorer les conditions de travail. Mais ça n’est pas magique : si tu n’as pas le personnel pour mettre tout cela en place, c’est raté », dit-il. L’exode des intervenants est déjà commencé, souligne-t-il. Pas moins de 80 intervenants ont postulé ailleurs dans le réseau lors de la dernière vague d’affichage.

Et le portait est particulièrement sombre dans certains secteurs d’activité. Les trois quarts des répondants qui œuvrent à l’évaluation-orientation disent que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis un an, tout comme les éducateurs qui œuvrent dans le centre de réadaptation de Val-des-Lacs.

À l’application des mesures, le tiers des intervenants estiment que leurs conditions de travail sont moins bonnes qu’il y a un an. On a également demandé à ces intervenants combien de dossiers en moyenne on leur demande de gérer. La réponse : entre 16 et 23 dossiers, pour une moyenne de 19.

Pour Danny Roulx, ce chiffre est beaucoup trop élevé. « Le seul filet de sécurité, actuellement, c’est le temps supplémentaire que les intervenants acceptent de faire. Si les intervenants ne font pas de temps supplémentaire, la DPJ est dans la merde, à l’échelle du Québec, dit-il. Et quand les intervenants disent qu’ils en ont trop, on leur répond qu’ils gèrent mal leur temps. »

Nous avons demandé au CIUSSS de l'Estrie de réagir à ces résultats. C'est plutôt le cabinet du ministre Lionel Carmant qui nous a répondu par voie de courriel. « Je viens de prendre connaissance de ton texte sur le sondage de l’APTS concernant les conditions de travail à la DPJ de l’Estrie, indique Marie Barrette, directrice des communications. J’aimerais y apporter quelques nuances. D’une part, ce sondage a été fait avec un échantillon très restreint et ne reflète pas, selon nous, la réalité observée sur le terrain.»

Mme Barrette ajoute que plusieurs changements ont pris place à la DPJ de l'Estrie depuis un an, dont l'embauche de nouveau personnel. Le nombre d'intervenants, souligne-t-elle, est passé de 150 à 220 en une année, une augmentation de 30%. On a également révisé les tâches des intervenants, pour les soulager de tâches administratives, et on les a dotés de nouveau matériel pour faciliter leur travail.

Selon Mme Barrette, ces mesures ont donné des résultats, notamment la réduction de la liste d’attente à la réception et au traitement des signalements, qui ne compte actuellement que 53 dossiers en attente, comparativement à 896 dossiers en mai 2019. Et ce, malgré une hausse de près de 20% des signalements en 2019-2020. Cela dit, depuis le confinement, le nombre de signalements a diminué de près de 30%, précise Danny Roulx.

Et malgré tous ces efforts, la liste d'attente à l'évaluation et orientation demeure élevée, ajoute le délégué syndical. Il y a deux semaines, quelque 650 enfants y étaient en attente. « C'est énorme », dit-il. Le CIUSSS de l'Estrie a d'ailleurs lancé un appel cette semaine à tous les travailleurs sociaux, criminologues, sexologues et agents de relations humaines pour « prêter main-forte » à la DPJ de l'Estrie, dans le but de diminuer les enfants en attente à l'évaluation et orientation.