Des séries télé comme Unité 9 et Orange is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans cette série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

Il y a quelques mois, une de mes compagnes du cours de bureautique s’est donné la mort. Sans que j’aie développé une profonde amitié avec elle, son suicide m’a beaucoup ébranlée. Je sais que plusieurs femmes incarcérées ont vécu ce drame, mais pour moi, c’était une première. Pendant plus d’un mois, j’ai été mon propre inquisiteur. Je m’en voulais de ne pas avoir su détecter les signes avant-coureurs de la décision qu’elle avait prise de mettre fin à sa souffrance.

Surtout que le suicide n’est pas un sujet traité à la légère dans les pénitenciers fédéraux. Déjà, aux premières heures de notre arrivée en établissement, nous sommes questionnées à ce propos avant d’être renseignées sur la marche à suivre si une telle éventualité se présente.

Qui plus est, j’ai suivi la formation de « Paires aidantes », un cours qui enseigne l’écoute active, la reconnaissance des signes de détresse chez les autres et le discernement du besoin de la consultante afin de l’orienter vers une personne plus compétente au besoin. Ces paires aidantes, triées sur le volet, suivent un code d’honneur tout aussi indispensable : le secret absolu. Il n’y a que la sécurité des unes et des autres qui peut rompre ce pacte de silence et la cliente est avisée sur-le-champ de la rupture de l’engagement.

Il est déplorable que les détenues ne se servent pas assez de ce service, car quelle que soit la durée de la peine, nous avons tous besoin, un jour ou l’autre, d’une oreille compatissante ou de conseils avisés.

Tout aussi triste pour moi que de m’être arrêtée sur si peu de réflexions. Mais le destin n’avait pas dit son dernier mot.

Un matin, assise dans la salle d’attente du service médical, j’ai entrevu l’autre côté du miroir. En effet, il m’aurait été difficile de ne pas remarquer qu’une jeune agente, d’un naturel joyeux et expansif, portait le deuil sous ses yeux rougis. Par intérêt pour elle, je l’ai questionnée et j’ai appris que deux agents du service correctionnel (ASC), dont l’un était un ami, venaient de mettre fin à leurs jours. Devant mon air ahuri, elle a ajouté que ce genre de tragédie était fréquent parmi les ASC… « presque autant que chez les policiers ».

Pour ne mettre personne mal à l’aise parmi les membres du personnel, j’ai interrogé une source extérieure qui a déjà œuvré dans ce domaine. Les faits m’ont été confirmés. De plus, on m’a dit que « certaines années, il y a plus de suicides chez les agents correctionnels que chez les détenus ! ».

Un sujet qui mérite d’être approfondi

Tout d’abord, je me suis tournée vers le service de recherche de La Presse, mais aucune statistique n’était disponible au Service correctionnel du Canada. Il m’a donc fallu redemander de l’aide auprès d’une amie (que je ne remercierai jamais assez), de faire des recherches sur internet pour moi. Ce que j’ai découvert m’a ouvert les yeux.

D’après les données les plus récentes publiées par le ministère de la Sécurité publique du Canada, entre 2006 et 2016, 553 détenus fédéraux et 372 détenus provinciaux ont trépassé durant leur peine.

De ces morts, 15,7 % au fédéral et 21,5 % au provincial sont dues au suicide. Des taux nettement plus élevés que le taux de la population canadienne, qui est de 11,5 pour 100 000 en 2009, tandis que dans les pénitenciers fédéraux le taux de suicide des détenus est de 59 pour 100 000 et que dans les prisons provinciales le taux se situe à 33 pour 100 000 habitants.

On comprend à ces chiffres pourquoi le SCC a mis en branle toute une série d’approches des prisonniers. Mais qu’en est-il des agents correctionnels ? En outre, peut-on trouver une corrélation entre leur travail et le suicide ?

De l’autre côté du miroir

Dans les pénitenciers provinciaux, le taux d’absentéisme au travail des ASC augmente particulièrement et la détresse psychologique en est la première cause.

Voici ce qu’en disent les intéressés : « On décroche des pendus, on ne sait jamais à quelle heure finit notre journée, on ne se sent pas valorisé dans notre métier, on reçoit fréquemment des menaces, on doit composer 240 jours par an dans la réalité du crime organisé ou avec des détenus qui ont des problèmes de santé mentale et une surpopulation chronique. »

C’est loin d’être une situation idéale.

Un constat de l’Institut national de santé publique du Québec déclare que les travailleurs exposés à des risques psychosociaux ont deux fois plus de risques de détresse psychologique, que dans ce cas, les absences au travail sont deux fois plus coûteuses que celles pour une maladie physique, qu’il y a de 1,5 à 4 fois plus de risques de troubles musculosquelettiques et de 2 à 2,5 fois plus de risques de mortalité cardiovasculaire.

Je présume que les problèmes sont équivalents dans les prisons fédérales où le métier d’ASC est une source importante de stress. Tout d’abord, la charge de travail est majeure, puis il y a l’absence de latitude décisionnelle additionnée à l’ambiguïté et le conflit vis-à-vis de leur rôle face aux prisonniers, tant à cause de nouvelles directives que du régime en place, sans oublier les tâches routinières qui usent le moral.

Cependant, il y a plus encore : « La violence interpersonnelle entre les membres du personnel, la détresse psychologique au travail et l’épuisement professionnel sont d’autres problématiques prévalant au sein de ce milieu. » (Bourbonnais et coll., 2008)

Facile d’entrevoir une certaine corrélation.

Alors, je lève mon chapeau à ces travailleurs trop souvent mésestimés… même si je fais partie des individus se trouvant à l’autre bout du spectre carcéral.

Erratum

Dans toutes mes chroniques, j’essaie de vous informer sur la vie en prison avec le plus d’exactitude possible malgré le peu d’accès à l’information à ma disposition. Toutefois, des renseignements m’ont échappé lors de la rédaction de mon dernier article (« Cacher ce sein », 1er mars) et je m’en excuse humblement.

Contrairement à ce que j’écrivais, le matériel expressif à contenu sexuellement explicite comme les magazines pornos n’est permis qu’avec l’autorisation de l’équipe de gestion de cas et n’est pas distribué par l’intermédiaire de la cantine dans les prisons pour hommes (comme pour femmes).

De plus, hommes et femmes ne sont pas traités différemment. La Directive du commissaire 764 – Accès au matériel expressif – est valide pour les deux genres. Les directeurs d’établissement, en collaboration avec les équipes de gestion de cas, peuvent interdire tout matériel jugé dégradant ou inapproprié qui pourrait nuire à la sécurité de l’établissement ou qui va à l’encontre du plan d’intervention d’un détenu.

* Il s’agit d’un nom fictif pour protéger la détenue.