Malgré les promesses du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, et les sommes investies par Québec, le nombre d’enfants en attente de services à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) demeure à un seuil critique : à la fin de février, pas moins de 3800 enfants attendaient des services de la DPJ.

Cette liste d’attente stagne à des niveaux alarmants depuis plus d’un an. En janvier 2019, le nombre d’enfants en attente dépassait les 3000, situation qui était alors sans précédent et qui avait soulevé « une grande inquiétude » chez le ministre Carmant. 

Ce nombre d’enfants en attente a continué de grimper jusqu’à l’été suivant. En juin, on atteignait un nouveau sommet, avec 3800 enfants en attente d’une évaluation.

Puis, le ministre a investi près de 50 millions. La liste d’attente a commencé à diminuer. En août, on en était à 3300 noms.

Mais le mouvement à la baisse semble avoir été stoppé puisque, sept mois plus tard, le nombre d’enfants en attente d’une évaluation à la DPJ s’élève à… 3400 noms. Si on y ajoute les enfants en attente de services à l’application des mesures – 400 enfants qui patientent –, on en vient à 3800 enfants qui attendent des services de la DPJ.

Le ministre Carmant se dit très au fait de la situation : on l’informe chaque semaine du nombre d’enfants en attente de services. 

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Je l’ai dit plusieurs fois : j’ai la ferme intention d’en finir avec ces listes.

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, dans un courriel envoyé à La Presse

Il rappelle que Québec a investi dans le but de faire diminuer ces listes. « Cependant, je constate que malgré tout, dans six régions, les listes ont augmenté. S’il faut plus d’argent, nous verrons à en trouver, mais ce n’est pas qu’une question monétaire. C’est plus structurel », fait-il valoir. 

Il dit compter sur les recommandations de la commission Laurent pour faire des modifications plus en profondeur sur le mode de fonctionnement de la DPJ.

Des « code 3 » en attente

Concrètement, qu’est-ce que ces listes d’attente signifient ? Un signalement a été fait pour tous ces enfants qui attendent. Le signalement a été retenu, donc jugé crédible. L’étape suivante est celle de l’évaluation-orientation, où l’on détermine si la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis : 3400 enfants attendent qu’on statue ainsi sur leur cas à l’échelle du Québec.

Il faut préciser qu’on répond toujours aux urgences, soit les codes 1 et 2. Ceux qui attendent, ce sont les « code 3 », des situations jugées non urgentes. 

En théorie, les normes ministérielles imposent une action dans un délai de 12 jours. En pratique, selon des chiffres de l’automne dernier, ce délai s’élevait à 29 jours. Il a été impossible de connaître le délai d’attente actuel.

Rappelons que la situation évoquée la semaine dernière dans nos pages, celle des quatre enfants qui vivaient dans un logement insalubre avec 12 chiens, avait été classée comme un code 3. Les intervenants ont mis cinq mois à mener cette évaluation. Le sévère jugement rendu par la magistrate Pascale Berardino dans ce cas a conduit à la tutelle de la DPJ de l’Estrie.

> (Re)lisez notre article « Cinq mois à attendre la DPJ parmi les excréments de chiens »

Puis, une fois qu’on a déterminé que l’enfant est bel et bien en situation de compromission, il faut lui donner des services, que ce soit dans sa famille ou dans son lieu de placement. C’est l’application des mesures, et c’est là que moisissent les dossiers des 400 autres enfants. 

De nombreuses sources nous indiquent que ce chiffre est minimal, puisque dans certaines régions ou certains services, les gestionnaires distribuent automatiquement les cas aux intervenants, quel que soit le nombre de dossiers qu’ils ont déjà en main.

« La liste d’attente, à l’application des mesures, est souvent cachée. Il n’y a pas de liste, mais l’enfant va attendre dans les faits parce qu’il est loin dans les dossiers en cours de l’intervenant », nous dit une source très au fait de ces pratiques de gestion.

La Montérégie, pire région 

La pire région est la Montérégie, où l’on retrouve 658 noms sur la liste d’attente à l’évaluation-orientation et 107 enfants qui attendent à l’application des mesures. L’été dernier, la Montérégie avait 487 noms en attente à l’évaluation.

« Nous avons reçu, au cours des dernières semaines, une entrée massive de signalements. Le nombre de dossiers en attente a donc augmenté significativement dans le dernier mois », fait valoir Hugo Bourgoin, porte-parole du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est. « De nombreuses actions sont prises pour diminuer non seulement le nombre de dossiers en attente, mais aussi le délai de traitement. Actuellement, environ 70 % des dossiers à l’étape évaluation ont moins de 30 jours d’attente. »

En Montérégie comme ailleurs, le personnel manque cruellement, ajoute M. Bourgoin. « Nous avons aussi de la difficulté à combler les absences [absences pour maladie et plusieurs congés de maternité] et pourvoir les postes vacants. Comme partout ailleurs au Québec, nous ne sommes pas épargnés par la pénurie de main-d’œuvre. Ce contexte a un effet sur la mobilisation du personnel et son recrutement. »

En deuxième place de ce palmarès peu glorieux, la DPJ de l’Estrie, mise sous tutelle la semaine dernière par le ministre Carmant. Quelque 437 enfants attendent une évaluation, et 78 patientent pour des services. En troisième place, on arrive à Montréal, où l’on recense 397 noms en attente à l’évaluation et 3 dossiers à l’application des mesures.

Il faut noter que certaines données manquent : la région des Laurentides, qui fait souvent mauvaise figure au chapitre de l’attente, n’a pas divulgué ses données au ministère de la Santé. Les données pour l’Abitibi-Témiscamingue ne sont pas non plus accessibles.