Ils étaient si sales que leurs enseignants devaient parfois les laver à la lingette — les jours où ils se présentaient à l’école. Quatre enfants de Granby sévèrement négligés ont dû attendre cinq mois que la DPJ évalue leur dossier, alors qu’ils vivaient dans un logement insalubre, à l’électricité coupée et souillé par les excréments de 12 chiens.

Une juge vient de blâmer les services sociaux pour leur lenteur à prendre en charge la fratrie, qui devait dormir entassée sur des « matelas sales et sans draps ».

En plus des problèmes d’hygiène et de fréquentation scolaire, les enfants manquaient de nourriture et de soins médicaux. Ils étaient âgés de 5 à 11 ans au moment des faits.

« Les droits des enfants ont été lésés » par la DPJ, a écrit la juge Pascale Berardino dans une décision rendue publique mardi, mais datée de décembre dernier. « Le tribunal est rarement confronté à une situation de négligence aussi importante et ce à tous les niveaux. »

Le signalement initial a été effectué le 4 février 2019, le dossier a été assigné à une intervenante le 4 juillet 2019 et l’évaluation a été complétée le 13 août 2019. Le dossier permet donc d’ouvrir une fenêtre sur les retards chroniques qui gangrenaient la DPJ de l’Estrie au moment même où ses intervenants échappaient Alicia, la fillette de Granby dont la mort allait émouvoir la province. Elle est morte fin avril.

Les enfants négligés ont été placés en famille d’accueil en vertu de la décision de la juge Berardino, elle aussi impliquée dans le dossier d’Alicia.

Électricité coupée

C’était la cinquième fois que la DPJ se penchait sur la situation de cette fratrie, dont seule la mère était présente au quotidien. Des signalements précédents n’avaient pas été retenus ou avaient fait l’objet d’interventions sans retrait des enfants de l’appartement.

Mais l’état de l’appartement semble avoir empiré l’année dernière, selon une visite des pompiers sur place. Le risque d’incendie était devenu important depuis que l’électricité avait été coupée et que la mère avait fait descendre une rallonge de l’appartement situé au-dessus du sien, habité par son père.

Trois « gros chiens » et neuf chiots vivent dans l’appartement « et leurs excréments se retrouvent un peu partout dans le logement, y compris sur les matelas », écrit la juge. Les enfants dégageaient parfois une odeur d’« urine » et d’« excréments ».

Les quatre enfants souffraient de retards de développement.

L’avocat nommé pour défendre leurs intérêts devant le tribunal a été choqué par ce dossier.

« Je ne comprenais pas le délai alors qu’il y avait tellement de besoins de ces enfants-là qui n’étaient pas comblés. On avait des pages et des pages de manquements à l’école, de rendez-vous de santé manqués », a affirmé Me Robert Poitras en entrevue téléphonique. Il reproche leur inaction aux services sociaux. « Quant à moi, ils l’ont échappé, a dit Me Poitras. Ils l’ont échappé complètement. »

Une des jeunes filles était tellement anxieuse, elle n’avait rien à manger, alors elle allait à la cafétéria deux, trois fois par avant-midi voir si quelqu’un lui avait apporté un lunch ou de l’argent pour manger.

Me Robert Poitras

Me Audrey Genest, qui représentait la mère dans ce dossier, a commencé à pratiquer le droit il y a quelques mois à peine à Granby. Déjà, elle a constaté « quelques » cas de délais importants dans ces dossiers. Dans un cas de négligence, « comme on tarde à mettre quelqu’un au dossier, ça fait en sorte que les enfants restent dans un milieu inadéquat ou qui ne peut pas devenir adéquat », a-t-elle dit.

« Ils vont bien »

Les services sociaux de l’Estrie ont accepté de réagir aux reproches de la juge Berardino quant au délai de cinq mois entre la réception du signalement et sa transmission à une intervenante.

« Au moment où l’on se parle, tous les enfants sont en famille d’accueil, ils vont bien, les suivis médicaux sont à jour et tous les besoins spécifiques de ces enfants-là sont [comblés] », a affirmé la porte-parole du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie (CIUSSS), Annie-Andrée Émond.

Cinq mois, « c’est un délai qui est trop long et c’est justement l’un des grands enjeux de notre plan d’action, c’est ce qu’on tente de réduire comme temps d’intervention », a-t-elle ajouté. 

Je vous rassure cependant, tous les cas qui sont considérés comme prioritaires — où l’intégrité est menacée — sont [traités] dans les 24 à 48 heures selon la situation.

Annie-Andrée Émond, porte-parole du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie

Une partie au moins du délai concernant l’évaluation de ce dossier est justement due au fait que les allégations de négligence ne sont pas traitées avec la même urgence que les cas de violence physique ou sexuelle.

« Malheureusement, ça arrive souvent. Mais aussi long que celui-là ? Non. […] Les dossiers qui ne sont pas prioritaires, ça peut prendre plusieurs mois », a réagi Me Poitras, l’avocat des enfants. « Quand il y a de la négligence à ce point-là, ça devrait être coté assez haut et faire l’objet d’une rencontre beaucoup plus rapidement. Qu’est-ce qui est arrivé dans ce cas-là ? Je ne sais pas. »

La commission Laurent sur l’avenir de la DPJ reprendra ses audiences à la mi-mars à Québec, avant de se déplacer à Gatineau, Saguenay, Rimouski et Montréal.