Je devais avoir 12 ans. Je trouvais que ma démarche n’était pas assez masculine. Mes camarades de classe me le rappelaient sans cesse. Je m’étais donc mis en tête de changer cela. Un long travail de recherche de mouvements et d’attitudes a commencé. Pour m’en inspirer, je regardais les hommes autour de moi.

Comment ça marche, un homme ? Comment ça s’assoit ? Comment ça court ? Comment ça danse ? J’ai aussi travaillé les intonations de ma voix. Un homme ne pousse pas de cris. Il doit s’étonner de manière feutrée. Il ne doit pas non plus éclater de rire pour rien. Il ne doit surtout pas gesticuler.

Cet exercice a duré quelques semaines. Et un jour, je me suis tanné d’être une pâle et maladroite imitation de John Wayne. Je me suis tanné car j’avais l’impression de jouer un rôle auquel je ne croyais pas une miette. J’ai décidé de laisser mon corps adopter les gestes et les intonations dont il avait envie, dont il avait besoin.

Tant pis pour mes camarades de classe.

J’ai repensé à cet épisode mardi quand je suis tombé sur le tweet de l’ineffable André Arthur. Sans doute en manque de cette drogue créant la dépendance qu’est le micro de radio (il a été renvoyé de BLVD en janvier 2018 pour avoir tenu des propos jugés homophobes en désignant le quartier gai de Québec du nom de « boulevard sida »), Mononcle Dédé y est allé d’un commentaire absolument renversant.

PHOTO JEAN-MARIE VILLENEUVE, ARCHIVES LE SOLEIL 

André Arthur

« J’écoute à l’occasion la radio de RadCan à Québec. C’est plein d’hommes qui parlent comme des filles. Ton de voix, intonations de petit poignet cassé. Pas question d’orientation sexuelle ; mais un homme c’est un homme, et une fille c’est une fille, du moins au son. »

Je ne sais absolument pas comment doit sonner un homme ou une femme en 2020, mais ce dont je suis sûr, c’est que chez André Arthur, le son est creux, vieux et dépassé.

Ça fait des décennies que des parents travaillent à libérer leurs enfants des carcans du sexisme, à lutter contre l’emprise des stéréotypes de l’enfance et à combattre la sexualisation des vêtements, des jouets et des contes. Et là, le monsieur au nœud papillon y va d’un commentaire aussi navrant.

Ce point de vue d’André Arthur a bien évidemment suscité d’autres commentaires du même acabit. « Une radio de filles sans plus », a écrit Bokayak. « Oui, mais à Montréal il y a Maxime Coutier. Écoutez-le cette semaine, il anime la matinale. Il a des enfants, de lui en plus », a ajouté Trumpfor2020.

Heureusement, plusieurs personnes ont souligné la bêtise de la chose et ont dit à André Arthur, qui a qualifié plus loin ces animateurs et chroniqueurs de « précieuses ridicules », que son commentaire était déplacé, hors de son époque.

Il est vrai que les nouvelles générations d’hommes ont laissé tomber quelques couches de machisme. Ces hommes, hétéros ou gais, ont moins peur de montrer un côté coloré de leur personnalité, d’afficher leur goût pour la mode, de mettre de côté cette forme de masculinité largement shootée à la testostérone et trop longtemps cultivée au Québec.

On voit ces hommes partout. On remarque surtout ceux qui évoluent à la télé ou à la radio. Pour ceux qui ont longtemps associé cette façon d’être à l’homosexualité, ils en perdent parfois leur « gaydar ». 

Combien de fois ai-je pris un hétéro trentenaire pour un gai ces dernières années ? Chaque fois que ça m’est arrivé, j’ai trouvé la situation drôle. Et chaque fois, j’ai remercié le ciel de voir un gars se libérer de la sorte.

Même si un bon bout de chemin a été parcouru, reste qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Des études récentes montrent que malgré la bonne volonté des parents, le sexisme chez les enfants demeure un énorme chantier, particulièrement chez les garçons. En témoignent les travaux de chercheurs qui ont étudié le comportement de garçons d’âge préscolaire pendant qu’ils s’adonnaient à des jeux normalement associés aux filles, comme les cuisinières et les maisons de poupées. On a observé que d’autres garçons venaient les interrompre en les frappant ou en les tournant en ridicule.

Pourquoi une telle réaction ? Parce que les garçons qui intervenaient auprès de leurs camarades sentaient qu’ils étaient attaqués dans leur propre masculinité. Par cette intimidation, ils venaient protéger leur propre identité qu’ils sentaient mise en péril.

Le comportement de ces garçons, c’est exactement ce que fait André Arthur en disant sur les réseaux sociaux que certains animateurs de Radio-Canada parlent comme des filles avec « leurs intonations de poignet cassé ».

La société est en train de créer de nouveaux modèles pour les femmes et les hommes. Ceux-ci sont plus libres. Plus égaux. Moins pognés. Les sexes se débarrassent enfin des images et des rôles qu’on leur enfonce dans le crâne et dans la gorge depuis des siècles.

Alléluia !

Alors de grâce, qu’André Arthur détache son nœud papillon. Et débarque dans le nouveau siècle au plus vite.