Des séries télé comme Unité 9 et Orange Is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans cette série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

Au tout début de ma peine, j’ai reçu une carte postale humoristique d’une amie quelque peu féministe. Je vous donne la description qu’on m’en a faite puisque je n’ai jamais pu y jeter un œil. La carte représentait un dessin de cinq femmes assises sur une plage, les seins dénudés, disparates dans leur forme. Ce qui m’aurait plu, c’est certain, puisque j’estime que la beauté se conçoit dans la différence.

Néanmoins, cette carte postale, qui n’avait rien d’immoral ou de licencieux, a été retournée à l’expéditrice sans que je puisse m’y opposer. On m’a expliqué que le Service correctionnel du Canada (SCC) ne permettait aucune « obscénité » au pénitencier. 

Comme si les seins ne faisaient pas partie de notre propre nature. J’ai accepté l’explication inepte comme étant normale. C’est souvent le propre des femmes d’éviter les drames. Du moins, en ce temps-là, car aujourd’hui, nous connaissons un revirement de situation. Plusieurs jeunes femmes s’opposent avec véhémence à tout ce qu’elles croient injuste. Cependant, leur manque d’expérience dans la revendication ne fait qu’éclat de verre sur le plancher. Rien ne se passe.

Pourtant, elles ont raison : en général, les règlements du SCC, soi-disant là pour nous responsabiliser dans notre rôle de femme, sont souvent condescendants et paternalistes. Les images du corps féminin, en tout ou en partie, sont mises au ban.

Autant pour la littérature érotique. Quelques exemplaires ont réussi à se faufiler sous certaines directions, mais sont interdits sous la direction de ceux qui ne jurent que par leur monde aseptisé que je qualifie de « monde de Calinours et de licornes ». Le livre d’Erica Leonard James, 50 nuances de Grey, que nous avions obtenu sous une première direction, a été confisqué sous la direction suivante, qui le jugeait obscène. Nous avons dû attendre que le film né de ce roman passe à la télévision pour savoir de quoi il en retournait.

Pendant ces temps de purification, on avait interdit aussi les romans de Patrick Senécal à cause de la violence de ses écrits. Comme si nous ne pouvions pas voir toute la violence, réelle, celle-ci, à la télévision : des tireurs fous qui s’attaquent aux foules, des extrémistes qui font exploser des bombes un peu partout dans le monde ou emboutissent une foule avec leur véhicule, qu’ils choisissent le plus dommageable possible. Et que dire des hommes qui font de leur force physique une arme de prédilection pour leur désir de contrôle ?

Sans la censure du SCC, nous sommes capables de faire la différence entre la violence fictive d’un roman et la violence réelle de notre monde.

Deux poids, deux mesures

Quand nous abordons ce sujet avec les membres du personnel ou de la direction, nous faisons vite face à l’excuse de la santé mentale. Il est vrai que bien des femmes en prison sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. Mais la question n’existe-t-elle pas aussi du côté des hommes ?

Pourtant, eux ne sont pas traités comme des êtres asexués puisqu’ils peuvent acheter des magazines de style Playboy directement à la cantine de leur pénitencier. C’est deux poids, deux mesures. Nous, le genre à poitrine développée, n’avons pas le droit de voir des seins sur papier tandis que le genre à poitrine plate a le droit d’en reluquer dans un magazine.

Peut-être que les détenues n’ont pas su aborder le sujet de façon adéquate ? Peut-être aurions-nous dû demander à voir des photos de la partie manquante de notre anatomie ?

À moins que le SCC ne suive les traces de l’idéologie machiste qui perdure dans notre société. Une philosophie qui nous campe dans les rôles de madone, de mère ou de putain. Désolée de décevoir les phallocrates de ce monde, mais ceci ne correspond pas à la réalité.

Nous n’avons pas besoin d’être protégées du matériel à caractère sexuel ou de la violence. Pour la plupart d’entre nous, c’est du déjà-vu. Ce dont nous avons besoin, c’est de comprendre la différence entre conflit légitime et acceptable et violence physique et mentale, entre sexualité saine et épanouie et sexualité aliénée et obsessive. Nous ne sommes pas d’éternelles enfants et n’avons ni besoin ni désir d’être traitées comme telles.

En réalité, ce qui a manqué aux femmes incarcérées, c’est de vivre des relations saines durant leur vie. Quand on les questionne sur leurs choix de partenaire, elles disent préférer les « mauvais garçons ». Pour la plupart, elles croient que les « gentils » sont ennuyants. Il faut donc leur permettre de voir que la société n’est pas composée que de brutes ignares et de misogynes. Il y a une multitude d’hommes dignes de ce nom qui savent aimer, protéger, et qui connaissent la valeur du respect mutuel. On peut avoir tout autant de plaisir avec eux… sans les larmes.

Et cela vaut aussi pour celles qui préfèrent les filles.

* Nom fictif pour protéger l’identité de la personne.

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