Il avait la queue dégarnie et marchait en boitant. Pendant plusieurs jours, ce coyote malade et téméraire, qui aimait se faire chauffer le pelage en plein jour sur le balcon d’une résidence de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, a fait l’objet de centaines de signalements. 

À elle seule, la bête a généré la « majorité des signalements » dans les quartiers centraux de Montréal en 2019. 

Puis soudainement, plus rien.

En juin, l’indésirable a disparu des écrans radars de la ville. « Il pourrait vraisemblablement être mort des suites de ses blessures (boiterie) et de sa mauvaise condition physique attribuable à la gale sarcoptique », indique un rapport de la Ville de Montréal sur la gestion des coyotes obtenu par La Presse.

Avant de disparaître, l’animal avait été l’objet de beaucoup d’attention de la Ville.

Tout porte à croire qu’il est un des tout premiers à avoir été capturés, en octobre 2018, près du Complexe environnemental Saint-Michel, dans le cadre d’un programme visant à implanter quatre colliers GPS à ces animaux pour mieux comprendre leur comportement.

« Malheureusement, l’animal a réussi à arracher le piège de son ancrage et à s’enfuir. Il n’a pu être recapturé », note le conseiller en aménagement Frédéric Bussière, dans son rapport produit pour le Service des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal. « De plus, ce coyote est probablement atteint de la gale sarcoptique puisque son pelage est dégarni, en particulier au niveau de la queue. Ces deux signes distinctifs permettent d’associer certains signalements à cet individu. »

Ligne Info-coyotes

Pour M. Bussière, le grand nombre de signalements pour ce seul individu démontre l’importance de la ligne Info-coyotes (438 872-COYO), mise sur pied par la Ville de Montréal en collaboration avec le Groupe uni des éducateurs-naturalistes et professionnels en environnement (GUEPE).

Ces observations montrent bien qu’un seul individu devenu très habitué à la présence humaine peut être la source de la majeure partie des observations et aussi la cause de problématiques de coexistence dans un secteur donné.

Le conseiller en aménagement Frédéric Bussière, dans son rapport produit pour le Service des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal

« Il est fondamental de pouvoir comprendre les causes de l’apparition de comportements anormaux et de réaliser des interventions pour en réduire l’impact. La gestion des déchets est certainement un facteur clé », écrit-il.

La carte de ses signalements montre qu’il évoluait sur un territoire de plus de 7 km de large, s’étendant de l’hôpital du Sacré-Cœur, à l’ouest, jusqu’aux Galeries d’Anjou, à l’est.

« La ligne téléphonique permet à la fois d’investiguer les signalements, tout en rassurant les gens en leur fournissant de l’information », précise M. Bussière en entrevue.

L’outil a aussi permis à la Ville d’élaborer une carte de tous les signalements de coyotes, mise à jour deux fois par jour. Le chercheur y note les comportements problématiques.

Ces signalements ont permis à la Ville d’apprendre que le coyote galeux se réfugiait presque tous les jours dans la cour d’un citoyen de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. « C’est un animal qui perdait des poils à cause de la gale sarcoptique et pour qui la régulation thermique était importante. Il allait toujours sur le même balcon de résidence, où il était exposé au soleil et à l’abri du vent », explique M. Bussière.

« Le propriétaire était très, très nerveux. Nous avons agi vite. Nous l’avons rencontré et nous lui avons expliqué comment se comporter en sa présence. » La Ville a aussi fait deux campagnes d’effarouchement pour éloigner l’animal blessé.

« Dans les secteurs où de tels comportements sont observés de façon répétée, il convient d’envisager une campagne de capture afin de retirer le coyote responsable de ces incidents. Étant donné l’inefficacité de la relocalisation, les individus capturés sont normalement euthanasiés », indique le rapport.

Pic de signalement dans l’est de la ville

Le problème s’est résorbé de lui-même et les signalements à la ligne Info-coyotes ont progressivement diminué dans le secteur Ahuntsic, probablement à cause de la mort de l’animal des suites de sa maladie.

Mais le même phénomène est en train de se produire dans l’est de la ville, notamment dans le quartier Faubourg Contrecoeur, voisin de la carrière Lafarge.

Depuis deux semaines, la Ville y constate un pic de signalements. Des dépliants d’information ont été distribués au cours des derniers jours dans les boîtes aux lettres des citoyens. La Ville s’apprête aussi à installer des affiches dans les parcs, comme elle l’a fait dans le secteur Ahuntsic-Cartierville au cours des dernières années.

Mercredi soir, une patrouille de l’organisme GUEPE a également été déployée pour faire de l’effarouchement et répondre aux questions des citoyens.

« Il faut que les gens sachent comment se comporter pour éviter les conflits avec les coyotes. Nous n’insisterons jamais assez : si les gens veulent nous aider, il faut qu’ils les signalent lorsqu’ils en voient un », ajoute M. Bussière.

  • Mercredi soir, les éducatrices naturalistes Jennifer Marchand et Alice Roy-Bolduc, de l’organisme GUEPE, ont été mandatées par la Ville pour aller faire une « patrouille d’effarouchement de coyotes urbains » dans le quartier Faubourg Contrecœur. 

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Mercredi soir, les éducatrices naturalistes Jennifer Marchand et Alice Roy-Bolduc, de l’organisme GUEPE, ont été mandatées par la Ville pour aller faire une « patrouille d’effarouchement de coyotes urbains » dans le quartier Faubourg Contrecœur. 

  • « Nous avons reçu des signalements indiquant que deux ou trois individus viennent de façon récurrente dans le quartier résidentiel », explique Mme Marchand. L’endroit est situé tout près de la carrière Lafarge, dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, où un nombre indéterminé de coyotes ont élu domicile.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    « Nous avons reçu des signalements indiquant que deux ou trois individus viennent de façon récurrente dans le quartier résidentiel », explique Mme Marchand. L’endroit est situé tout près de la carrière Lafarge, dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, où un nombre indéterminé de coyotes ont élu domicile.

  • Munies de sifflets et de crécelles, les éducatrices-naturalistes ont un seul but : être le plus désagréables possible pour les coyotes ! « Le but est de réactiver la peur de l’humain à l’animal. On s’arrange pour montrer un corridor de sortie au coyote pour qu’il retourne dans son milieu naturel et perde l’habitude de s’aventurer dans le quartier », explique Mme Marchand.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Munies de sifflets et de crécelles, les éducatrices-naturalistes ont un seul but : être le plus désagréables possible pour les coyotes ! « Le but est de réactiver la peur de l’humain à l’animal. On s’arrange pour montrer un corridor de sortie au coyote pour qu’il retourne dans son milieu naturel et perde l’habitude de s’aventurer dans le quartier », explique Mme Marchand.

  • La mission d’effarouchement a eu lieu mercredi soir parce que c’est la veille de la collecte des déchets dans ce quartier. « Les coyotes sont des animaux opportunistes. C’est plus facile pour eux de se nourrir dans les poubelles que de chasser », explique Mme Roy-Bolduc. Les deux intervenantes essaient de parler aux citoyens pour les sensibiliser à cette réalité.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    La mission d’effarouchement a eu lieu mercredi soir parce que c’est la veille de la collecte des déchets dans ce quartier. « Les coyotes sont des animaux opportunistes. C’est plus facile pour eux de se nourrir dans les poubelles que de chasser », explique Mme Roy-Bolduc. Les deux intervenantes essaient de parler aux citoyens pour les sensibiliser à cette réalité.

  • Les patrouilleuses de GUEPE ont aussi le mandat d’engager la conversation avec les citoyens, afin de recueillir de l’information, mais aussi d’en transmettre. « Si vous voyez un coyote, sortez en tapant sur une casserole, faites du bruit », insiste Mme Marchand, en s’adressant à un citoyen. « J’ai une belle flûte du Carnaval, ça pourra servir », répond ce dernier. 

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Les patrouilleuses de GUEPE ont aussi le mandat d’engager la conversation avec les citoyens, afin de recueillir de l’information, mais aussi d’en transmettre. « Si vous voyez un coyote, sortez en tapant sur une casserole, faites du bruit », insiste Mme Marchand, en s’adressant à un citoyen. « J’ai une belle flûte du Carnaval, ça pourra servir », répond ce dernier. 

  • La présence de coyotes dans la carrière ne date pas d’hier, et ne pose normalement pas problème. La période des amours, qui s’étale de janvier à février, rend cependant les animaux plus téméraires. 

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    La présence de coyotes dans la carrière ne date pas d’hier, et ne pose normalement pas problème. La période des amours, qui s’étale de janvier à février, rend cependant les animaux plus téméraires. 

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Un tour de l’île qui intrigue les chercheurs

Pendant des mois, la Ville de Montréal a suivi à distance le comportement du seul coyote auquel ses biologistes ont réussi, à ce jour, à poser un collier GPS. Pendant sept mois, l’animal est resté bien tranquille sur son territoire de 7,5 km2, en zone industrielle, autour de la carrière Lafarge… Jusqu’au 10 janvier dernier.

Ce jour-là, le mâle, un adulte en bonne santé, est carrément sorti de sa zone de confort. Il a entamé une grande virée de 65 km à travers Montréal – poussant même au-delà de l’île jusqu’à Vaudreuil-Dorion. Le Service des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal tente de comprendre comment, et pourquoi, le canidé a parcouru autant de chemin en seulement 10 jours.

Il y avait en masse de nourriture pour lui à la carrière Lafarge. Pourquoi il est parti ? C’est un mâle adulte en santé, et c’est le temps de la reproduction. C’est peut-être une explication. »,

Le biologiste Émile Samson, de la firme GPF Gestion de la faune, qui a un contrat de pistage avec la municipalité

La grande virée du coyote, détaillée dans un rapport sur la gestion des coyotes obtenu par La Presse, montre que l’animal a quitté son territoire habituel le 10 janvier vers l’est, et s’est rendu jusqu’à l’île Bourdon, à Repentigny, au confluent de la rivière des Prairies et du fleuve Saint-Laurent.

De là, il est reparti vers l’ouest. Il a été localisé à huit occasions dans une cour arrière d’une résidence de Saint-Léonard, ce qui suggère qu’il a possiblement trouvé une source de nourriture. Il a aussi passé quelque temps dans un minuscule boisé en bordure de l’échangeur Anjou.

Il a rapidement repris son chemin et a « fréquenté le Jardin botanique de Montréal pour rejoindre ensuite Vaudreuil-Dorion (45 km de distance à vol d’oiseau) le 20 janvier, en passant par l’aéroport Montréal-Trudeau et le Technoparc de St-Laurent. Il a parcouru la distance entre le golf Dorval et Vaudreuil-Dorion en moins de 6 heures », lit-on dans le rapport.

« Malheureusement, le coyote suivi par télémétrie a pour l’instant quitté le territoire de Montréal. Néanmoins, nous continuerons de suivre ses déplacements jusqu’à ce que le collier se détache suite à l’activation du dispositif automatique prévu à cet effet (au bout de deux ans). »

Mieux prévenir

Pour la Ville, ces données sont précieuses. « Ça tend à confirmer que les coyotes aiment se tenir dans les grands parcs, qu’ils se déplacent le long des voies ferrées et des autoroutes et qu’ils ont tendance à fuir les humains », analyse la mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, Émilie Thuillier, responsable du dossier des coyotes pour la Ville de Montréal.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Lors d’une sortie en compagnie de La Presse la semaine dernière, les traces laissées dans la neige près d’une voie ferrée de l’arrondissement d’Ahuntsic laissaient peu de doutes dans l’esprit du biologiste.

« Ça nous aide à mieux comprendre et à cibler des comportements problématiques. Grâce aux données, nous savons par exemple qu’il faut cibler davantage le secteur de la carrière Lafarge. On va aller dans Anjou et dans Hochelaga-Maisonneuve faire des interventions », explique Mme Thuillier. Une équipe de l’OBNL GUEPE (Groupe uni des éducateurs-naturalistes et professionnels en environnement), spécialisée dans les services éducatifs en science de l’environnement, pourrait par exemple être déployée dans les écoles du secteur pour faire de la prévention auprès des enfants.

« Nous sommes au balbutiement de notre collecte d’information, mais déjà, ça nous confirme que notre approche est la bonne », croit Mme Thuillier.

Il faut apprendre à coexister avec les coyotes. Les abattre ne serait pas une solution.

Émilie Thuillier, responsable du dossier des coyotes pour la Ville de Montréal

« On le voit bien avec le parcours du coyote à qui on a implanté un collier GPS, poursuit-elle. S’il a été capable de quitter Montréal en 12 heures, c’est sûr que d’autres seraient capables d’entrer sur l’île aussi rapidement. Si on les tue tous, ils vont revenir dans le temps de le dire. »

Plus de colliers

GPF Gestion de la faune a aussi eu le mandat d’installer d’autres colliers à des coyotes pour récolter encore plus de données sur leur comportement. « Ce n’est pas une tâche facile », précise cependant le biologiste Émile Samson. L’équipe de pisteurs-trappeurs doit le faire dans des endroits sécuritaires, loin des parcs, où le risque de piéger accidentellement un chat ou un chien domestique serait trop élevé. 

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Équipé de raquettes et d’un GPS, le biologiste Émile Samson profite de chaque bordée de neige pour aller vérifier les traces fraîches laissées dans la neige par les animaux, particulièrement là où des citoyens ont fait des signalements à la ligne Info-coyotes (438 872-COYO).

Équipé de raquettes et d’un GPS, le biologiste profite de chaque bordée de neige pour aller vérifier les traces fraîches laissées dans la neige par les animaux, particulièrement là où des citoyens ont fait des signalements à la ligne Info-coyotes (438 872-COYO).

Lors d’une sortie en compagnie de La Presse la semaine dernière, les traces laissées dans la neige près d’une voie ferrée de l’arrondissement d’Ahuntsic laissaient peu de doutes dans l’esprit du biologiste. « Un renard laisserait des traces plus petites. Un chien aurait tendance à zigzaguer autour de traces de pas de son maître », a expliqué M. Samson.

Une selle laissée par l’animal a confirmé le verdict. L’endroit étant peu fréquenté par les humains, le biologiste a décidé d’installer une caméra équipée d’un détecteur de mouvements. Son équipe dispose d’une vingtaine de caméras semblables, qui aideront à confirmer les hypothèses des chercheurs et à mieux comprendre leurs comportements.

La grande virée d’un coyote mâle

Capturé en juin 2019 à Anjou et muni d’un collier GPS

Le collier transmet 4 positions par jour.

Du 10 juin 2019 au 6 janvier 2020 : territoire de 7,5 km2 autour de la carrière Lafarge

10 janvier : quitte son territoire et se rend à l’île Bourdon, à Repentigny

11 au 13 janvier : secteur de Boscoville, Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles

13 au 15 janvier : localisé huit fois dans une cour d’une résidence de Saint-Léonard

16 et 17 janvier : échangeur Anjou (intersection de la 40 et de la 25)

18-19 janvier 2020 : Jardin botanique

19-20 janvier : Aéroport Pierre-Elliott-Trudeau et Technoparc

À partir du 20 janvier : Vaudreuil-Dorion (il a parcouru la distance entre le golf Dorval et Vaudreuil-Dorion en moins de six heures)