Au cœur du blocus de nombreuses routes et voies ferrées au pays, il y a un gazoduc en Colombie-Britannique. Les chefs héréditaires wet’suwet’en, dont Coastal GasLink traverse le territoire, sont contre. Mais cinq des six chefs élus de réserves wet’suwet’en ont signé des ententes avec Coastal GasLink. Ces dissensions sont au cœur de la crise nationale de cet hiver. La Presse s’est entretenue avec deux chefs élus, un pour, une contre.

Le gazoduc aux urnes

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Dan George, chef élu de la réserve de Ts’il Kaz Koh

Dan George est le chef élu de la réserve de Ts’il Kaz Koh, à Burns Lake, depuis six ans. En 2016, il a fait campagne sur le développement économique. « J’ai fait un référendum pour être sûr que la population était derrière l’entente que nous avons signée avec Coastal GasLink, dit le chef George. L’entente a été appuyée à 80 %. Cinq des six réserves wet’suwet’en ont des ententes. Celle qui n’en a pas n’est pas située sur le tracé du gazoduc. Des alliés des chefs héréditaires se sont présentés aux élections des conseils de bande, par exemple Freda Huson à Witset, qui a été battue l’été dernier par la chef Sandra George. » Coastal GasLink est un projet de gazoduc de 670 km amenant du gaz naturel vers un port pour méthaniers. Des ententes ont été signées avec 20 communautés autochtones le long du tracé et les travaux ont commencé en 2016.

Le territoire et non la population

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Cynthia Joseph est la chef élue de la réserve de Hagwilget, la seule qui n’a pas signé d’entente avec Coastal GasLink. Pour elle, les chefs élus n’ont d’autorité que sur le territoire des réserves, alors que les chefs héréditaires sont responsables du reste du territoire traditionnel. « Peu importe que la population élise des chefs en pour ou contre un projet, ce sont les chefs héréditaires qui doivent prendre les décisions au sujet du territoire traditionnel, dit Mme Joseph. Les chefs élus doivent respecter les décisions des chefs héréditaires. » 

Des « pots-de-vin »

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Simogyet Spookw, chef héréditaire gitxsan

Hagwilget est située en dehors du territoire traditionnel wet’suwet’en, reconnu par une décision de la Cour suprême en 1997, au nord, et se trouve plutôt en territoire gitxsan, aussi reconnu en 1997. Cynthia Joseph a tenu à faire l’entrevue avec un chef héréditaire gitxsan, Simogyet Spookw, aussi appelé Norman Stephens. Les deux faisaient partie du groupe de 14 manifestants arrêtés lundi par la GRC alors qu’ils bloquaient une voie ferrée à New Hazelton, à côté de Hagwilget. « Les conseils de bande ne sont pas cités par la décision de 1997 », insiste le chef Spookw. Les Gitxsan n’ont pas eu à négocier avec Coastal GasLink parce que le gazoduc ne passe pas chez eux. Hagwilget ne fait pas partie des territoires soumis à un examen environnemental pour le gazoduc, mais Mme Wilson affirme que sa prédécesseure a refusé deux propositions d’ententes de Coastal GasLink. « Ces ententes sont l’équivalent de pots-de-vin », dit-elle. La firme TC Energy, qui construit le gazoduc, nie avoir proposé des ententes à Hagwilget, indique sa porte-parole, Terry Cunha.

Manque de respect

Dan George est en colère contre les chefs héréditaires. « Ils nous manquent totalement de respect. L’entente avec la province prévoyait un comité de gouvernance mixte, mais il se réunit très rarement et les chefs héréditaires nous traitent comme des moins que rien. C’est toujours nous qui nous rendons à leurs bureaux à Smithers, ils ne viennent jamais nous voir, je ne les ai pas vus aux assemblées de mon conseil de bande depuis 16 ans. Il n’y a aucun système de reddition de comptes. Si en tant que chef de conseil de bande je gère mal l’argent que je reçois, ou si je me comporte mal, je peux être mis sous tutelle. Eux peuvent faire comme ils veulent sans conséquence. »

Mme Joseph trouve que ce sont les chefs élus qui manquent de respect envers les chefs héréditaires. « Chez nous, les chefs élus et héréditaires travaillent ensemble », dit le chef Spookw. Pourquoi les chefs héréditaires wet’suwet’en ne s’organisent-ils pas pour faire élire des conseils de bande opposés à Coastal GasLink ? « Les chefs élus doivent réaliser que leur honneur leur dicte d’obéir aux chefs héréditaires, répond le chef Spookw. Vous faites erreur en me posant des questions sur les élections. Ce qui est important, c’est de parler du contrôle du territoire traditionnel par les chefs héréditaires. Écrire des articles sur une supposée division à l’intérieur d’un peuple autochtone ne sert à rien. »

Services à la famille

En 2018, la Colombie-Britannique a conclu une entente avec les chefs héréditaires wet’suwet’en pour leur déléguer les services de protection de l’enfance. Selon le chef Dan George, les chefs héréditaires utilisent plutôt ces fonds pour leurs activités politiques nationales, comme la contestation en cours de la construction du gazoduc, et les voyages des chefs héréditaires, comme celui de cette semaine chez les Mohawks. « Je n’ai jamais vu un dollar dépensé dans ma réserve », dit-il. Cynthia Joseph considère que discuter de ce type d’ententes est une manière d’éviter de parler de la question principale de la souveraineté wet’suwet’en sur le territoire et de l’autorité des chefs héréditaires. « On offre des miettes à des gens qui vivent dans la pauvreté. »

Le chef Spookw n’avait jamais entendu parler de cette entente sur la protection de l’enfance, mais de toute façon, il est opposé à ce que les chefs héréditaires se mêlent directement de services à la population. « Nous n’avons aucun désir de fournir les services que rendent les conseils de bande, la voirie, l’assistance sociale », dit-il en riant, quand La Presse lui a demandé s’il ne serait pas plus simple d’éliminer la fonction de chef élu.

Pas vraiment héréditaires

Les chefs héréditaires sont choisis par les aînés des différents clans d’une Première Nation. Il ne s’agit pas toutefois de transmission familiale. La décision de la Cour suprême en 1997 reconnaissait aussi la légitimité des chefs héréditaires. Avant le contact avec les Européens, une bonne partie des peuples autochtones avaient un système de gouvernement héréditaire. À partir des années 20, le gouvernement fédéral a remplacé les systèmes traditionnels de gouvernement autochtone par l’élection régulière de conseils de bandes, mais dans plusieurs communautés, les systèmes héréditaires se sont maintenus. Chez les Mohawks, le système de gouvernance héréditaire est souvent désigné par l’institution appelée « Maison longue ».

Discussions « positives » avec la ministre Bennett

PHOTO JONATHAN HAYWARD, LA PRESSE CANADIENNE

La ministre fédérale des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, et le ministre des Relations avec les Autochtones de la Colombie-Britannique, Scott Fraser

Les discussions se sont poursuivies, vendredi, entre les chefs héréditaires des Wet’suwet’en et les ministres fédérale Carolyn Bennett et provincial Scott Fraser. Aucune information n’avait été dévoilée publiquement sur les rencontres au moment d’écrire ces lignes. « Les discussions sont positives », s’est contenté de dire au téléphone l’attaché de presse de la ministre des Relations Couronne-Autochtones. Mme Bennett et son homologue de la Colombie-Britannique ont entamé les discussions jeudi en fin de journée dans les bureaux des Wet’suwet’en, à Smithers. Les chefs héréditaires ont qualifié les rencontres de « première étape », soulignant le refus du premier ministre Justin Trudeau et de son homologue provincial, John Horgan, de venir discuter du projet de gazoduc. Mme Bennett a semblé laisser la porte ouverte, vendredi, à une éventuelle rencontre impliquant les deux premiers ministres. « Nous devons travailler fort. Nous aimerions qu’une réunion avec les premiers ministres soit une bonne réunion, et nous devons encore travailler », a-t-elle déclaré vendredi avant d’entrer dans les bureaux des Wet’suwet’en.

— Avec Janie Gosselin, La Presse, et La Presse canadienne