Samedi dernier, j’ai souhaité vous raconter l’histoire de Quaden, ce jeune Australien âgé de 9 ans filmé par sa mère à la sortie de l’école alors qu’il venait, une fois de plus, d’être victime de harcèlement de la part de certains camarades.

Quaden Bayles souffre d’achondroplasie, une maladie génétique à l’origine d’une forme courante de nanisme. Selon sa mère, Yarraka Bayles, le garçon subit jour après jour les railleries d’autres enfants dans la cour d’école. Il y a quelques jours, alors qu’elle est venue cueillir son enfant, Mme Bayles aurait été témoin d’un de ces épisodes de harcèlement.

Dans la voiture, elle braqué son téléphone sur son fils et a capté des images aux limites du supportable. Elle y a ajouté son désespoir à elle. La vidéo a été publiée le 18 février sur Facebook. En quelques heures, elle a fait le tour de la planète. À ce jour, elle a été vue par des dizaines de millions de personnes partout dans le monde.

Ce qu’on y voit et entend arrache le cœur. Pendant que Yarraka Bayles décrit les sentiments qu’elle éprouve à voir son fils dans cet état, celui-ci demande qu’on lui donne un couteau afin qu’il puisse se tuer.

« Donne-moi un couteau, je veux me suicider… Je veux que quelqu’un me tue », implore le garçon en pleurs. « Je veux que les gens sachent, les parents, les éducateurs, les professeurs, que ce sont les effets du harcèlement », ajoute sa mère.

Aux limites du supportable que je vous dis.

Pendant que des dizaines de grands médias (The Guardian, Le Figaro, CNN, RTL Info, ABC News, etc.) publiaient cette histoire, le comédien Brad Williams, qui souffre également de nanisme, lançait la page GoFundMe afin d’offrir un voyage à Disneyland à Quaden et à sa famille. Près de 450 000 $ CAN ont été amassés en quelques heures.

Les joueurs de l’équipe australienne de rugby Indigenous All-Stars ont envoyé un message d’encouragement et ont promis d’inviter Quaden à un match. Samedi soir, les joueurs ont tenu leur promesse. Le garçon a fait une entrée triomphale dans le Cbus Super Stadium de Robina, dans Queensland.

L’acteur Hugh Jackman a fait parvenir un message à Quaden. « Tu es plus fort que tu ne le crois. Peu importe ce qui arrive, je suis ton ami », lui a dit la star de X-Men dans une vidéo publiée sur son compte Twitter.

Vendredi, j’ai donc écrit une chronique sur ce sujet. Après avoir parlé à Jasmin Roy, de la Fondation Jasmin-Roy/Sophie Desmarais, et à Claire Beaumont, titulaire de la Chaire sur le bien-être à l’école et la prévention de la violence de l’Université Laval, j’ai remis mon texte au pupitre en fin d’après-midi. C’est à ce moment que quelques médias ont commencé à mettre en doute des éléments de cette histoire. Rongé par l’incertitude, j’ai appelé notre chef de pupitre pour lui demander de ne pas publier ma chronique.

Le cri du cœur de Quaden Bayles (en anglais)

À l’origine de cette vague soupçonneuse se trouvent quelques internautes et adeptes des réseaux sociaux qui, découvrant une photo de Quaden à une fête d’anniversaire où apparaissait le chiffre 18, ont fait courir la rumeur que le garçon avait 18 ans, et non pas 9.

Au cours du week-end, une amie de la famille Bayles a confirmé l’âge du garçon qui a bel et bien 9 ans, selon elle. Des images d’une émission de télévision datant de 2015 où Yarraka Bayles étaie venue dénoncer les moqueries dont son fils était déjà victime montrent clairement que l’enfant avait alors 4 ans.

Certains ont souligné que Quaden fait partie d’une agence qui embauche de jeunes comédiens et des influenceurs. Il n’en fallait pas plus pour lancer la rumeur que ce que l’on voit dans la vidéo est un numéro d’acteur. Si c’est le cas, Quaden devrait immédiatement faire carrière à Hollywood.

D’autres ont ensuite écrit que la mère avait orchestré cette mise en scène afin d’obtenir de l’argent. Je précise que ce n’est pas Yarraka Bayles qui a lancé la campagne de financement, mais bien l’acteur Brad Williams. Celui-ci a d’ailleurs affirmé qu’à part le voyage à Disneyland, l’argent servira à financer divers programmes luttant contre l’intimidation à l’école.

Pour bien illustrer leur idée que Quaden et sa mère veulent profiter de façon éhontée de la générosité du public, des gens ont relayé, toujours sur les réseaux sociaux, une photo (truquée ?) du garçon tenant une liasse de billets entre les mains.

Six jours après la révolte et l’émotion suscités par cette vidéo, nous voilà bloqués dans l’antichambre de l’incertitude.

En quelques gazouillis, une poignée de gens ont mis un frein au vaste mouvement d’empathie qui s’était engagé et à la vaste réflexion sur l’intimidation qui avait été lancée.

Et pour réussir cela, ces « enquêteurs » ont eu recours… à l’intimidation. Des messages publiés sur Twitter au sujet de Quaden et de sa mère sont d’une rare méchanceté. Il est tout de même renversant qu’une vidéo visant à dénoncer le harcèlement suscite une vague… de harcèlement, d’insultes et de haine.

Et si cette histoire était fausse ? Et si c’était une arnaque ? C’est ce que je me demande depuis vendredi. Peu importe si cette affaire est vraie, le mal est fait. Le doute est semé. Pour chaque intervention que fera la mère de Quaden, il y aura une théorie bidon qui émanera du jury populaire qui règne sur les réseaux sociaux.

Mais au-delà de ce dérapage, je me suis beaucoup interrogé sur le geste de la mère. Avait-elle le droit de voler ce moment d’intimité et de vulnérabilité à son enfant ? Plusieurs pensent que non. Je crois plutôt qu’elle a eu mille fois raison de faire cela. Ce geste est celui d’une mère complètement démunie, à bout de ressources, écœurée de voir l’estime de son enfant mourir à petit feu.

C’est son instinct de mère, celui qui pousse à protéger son enfant, qui l’a forcée à agir ainsi. Si cette vidéo a brutalement exposé la détresse de son fils au monde entier, elle a en même temps installé des remparts autour de lui.

Avec ses revirements de situation, ses doutes poussant comme des champignons, ses émotions surmédiatisées et ses outils de communication, l’histoire de Quaden est symptomatique de notre époque.

Elle nous dit que la vérité devient une chose rare. Très rare.