Les plaintes pour vol d’identité provenant du Québec au Centre antifraude du Canada ont augmenté de 84 % en 2019, une hausse spectaculaire et sans précédent. Des victimes reprochent à la police de mener trop peu d’enquêtes et les syndicats policiers disent manquer de ressources. La Sûreté du Québec affirme cependant qu’elle est en train de changer ses stratégies pour débusquer les fraudeurs.

« Les fraudeurs sont morts de rire »

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Les déboires de Patrick Dufresne ont commencé le 24 juin dernier, par un message texte lui annonçant la livraison prochaine du nouveau cellulaire commandé auprès de son fournisseur de services. Le problème, c’est qu’il n’avait pas commandé de téléphone.

L’ambulancier de Chambly avait été victime de vol d’identité.

Des achats sont effectués à partir de ses comptes, une première fois le 24 juin, puis le 31 décembre. M. Dufresne n’a pas eu à payer pour ces achats frauduleux de plus de 5000 $, effectués notamment à partir de son compte PayPal. Mais il a perdu une vingtaine d’heures en démarches de toutes sortes, pour reprendre le contrôle de ses comptes, les sécuriser et changer ses mots de passe.

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Victime d’un vol d’identité, Patrick Dufresne déplore l’inaction de la police.

Il est angoissé en pensant à tout ce que les fraudeurs pourraient faire avec ses renseignements personnels. Mais il est surtout en colère, parce que les fraudeurs ont bel et bien reçu la marchandise commandée, à des adresses dans l’est de Montréal et à Mont-Royal, sans être inquiétés par la police. Même s’il a signalé aux commerçants les achats frauduleux, des marchandises ont quand même été expédiées.

M. Dufresne a aussi porté plainte pour fraude auprès du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), à qui il a fourni les adresses de livraison. Mais il n’a pas eu de confirmation qu’une enquête était menée.

Son impression : « Ils sont débordés, ils mettent ma plainte dans la pile, dit-il. Bien d’autres gens vont se faire frauder avant qu’il y ait une enquête éventuelle. Pour chaque individu, ça ne représente pas de gros montants. Mais en multipliant par des centaines de cas, ça fait des millions de dollars. »

« Les fraudeurs sont morts de rire ! », lance-t-il, cachant mal sa frustration.

Il est tellement contrarié devant l’inaction de la police qu’il a failli se rendre lui-même aux adresses de livraison pour confronter les fraudeurs. « Mais ma femme m’en a dissuadé », dit-il.

« Le crime de l’avenir »

Le nombre de victimes québécoises ayant rapporté un vol d’identité au Centre antifraude du Canada est passé de 1339 en 2018 à 2467 en 2019, une hausse de 84 %.

Cette augmentation exceptionnelle est sans doute attribuable aux fuites de données chez Desjardins et Capital One, évoque Sue Labine, superviseure des opérations au centre d’appels du Centre antifraude. « Il y a une augmentation des escroqueries sollicitant des informations personnelles au lieu d’argent, note-t-elle. Selon certains rapports récents, les victimes de vol d’identité sont parfois extorquées par le fraudeur qui publie en ligne les informations volées. »

La Sûreté du Québec (SQ) et le SPVM enregistrent pour leur part une augmentation des plaintes de 12 % et 18 % respectivement en 2018 et 2019.

Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg, selon Pierre Veilleux, président de l’Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ), le syndicat qui représente les agents de la SQ.

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Pierre Veilleux, président de l’Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ)

Le phénomène a beaucoup plus d’ampleur. Bien des victimes ne portent pas plainte, parce qu’elles sont remboursées par les compagnies de cartes de crédit en cas de fraude.

Pierre Veilleux, président de l’Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ)

Selon certaines études, seulement 10 % des cybercrimes seraient déclarés.

Même après le vol chez Desjardins des données personnelles de 8 millions de consommateurs, les corps policiers ne consacrent pas plus de ressources aux enquêtes sur les fraudes par vol d’identité, qui sont pourtant « en explosion », selon M. Veilleux. « Les fraudes technologiques, c’est le crime de l’avenir ! »

Le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francoeur, s’inquiète aussi du « phénomène le plus important des 50 dernières années », mais déplore les effectifs « infimes » affectés à ces crimes, ainsi que les technologies désuètes avec lesquelles les policiers doivent faire leur travail. « On ne fournit même pas de téléphones intelligents aux policiers. Certains se servaient de leurs propres téléphones, mais ils se sont fait dire de cesser, parce que les appareils pourraient être saisis dans le cadre de procédures judiciaires », révèle-t-il.

Les enquêteurs ne sont pas assez nombreux pour traiter tous les cas, et ils n’ont pas les outils technologiques, ni les connaissances nécessaires, pour traquer les cyberfraudeurs, renchérit Michel Carlos, président de la firme Artemis Renseignement, ex-enquêteur et patron aux Crimes économiques de la SQ, et ex-enquêteur à la Banque Nationale.

La SQ réplique

« Le vol d’identité est une priorité pour la Sûreté du Québec, et tous en sont avisés, du patrouilleur jusqu’aux plus hauts niveaux », martèle, en réponse à ces critiques, le capitaine Simon Riverin, chef du service des enquêtes sur le crime économique.

« C’est important que les victimes n’hésitent pas à porter plainte », insiste l’officier. « Même si certaines ont l’impression que ça ne donne rien, que leurs informations ne servent pas, elles servent. »

C’est d’ailleurs le message que la SQ entend répéter à l’occasion du mois de la prévention de la fraude, en mars.

L’accompagnement des victimes mérite peut-être d’être amélioré, pour les tenir au courant du déroulement des enquêtes, ou du moins de leur dénouement, admet-il.

Le capitaine Riverin reconnaît que la SQ a dû « faire du chemin depuis 10 ans » pour s’adapter à ce nouveau type de crime. En réaction à l’augmentation des plaintes, elle a bonifié ses effectifs et, surtout, changé ses méthodes, privilégiant un meilleur partage de l’information pour plus d’efficacité, assure-t-il. Son escouade s’est dotée des derniers outils technologiques pour combattre les cybercriminels sur leur terrain, dit-il, et on offre beaucoup de formation, à tous les niveaux.

Au SPVM, on soutient aussi avoir les effectifs nécessaires pour traiter les plaintes, et on encourage les victimes à porter plainte. « Même si les gens n’ont pas perdu d’argent, des informations peuvent faire progresser des enquêtes en cours », explique le commandant de la section des crimes économiques, Sylvain Dumouchel.

Toutes les plaintes sont prises en considération, assure-t-il, avec une priorité accordée à celles où la preuve est de bonne qualité, celles qui visent des personnes vulnérables, qui posent un risque pour la sécurité du public ou qui risquent de faire des victimes supplémentaires.

Des plaintes au « camion-remorque »

Les institutions financières partagent peu d’informations avec les corps policiers sur les fraudes qui visent leurs clients, déplore aussi le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal. « Souvent, elles préfèrent traiter ça à l’interne, avec leurs services de sécurité, pour tenter de conclure un arrangement à l’amiable avec les suspects », observe Yves Francoeur. 

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Yves Francœur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal

Parce que s’il y a dépôt d’accusations et que le dossier se retrouve en cour, ce n’est pas bon pour leur réputation.

Yves Francœur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal

L’Association des banquiers canadiens a refusé de nous accorder une entrevue.

Si les institutions financières ne rapportent pas tout aux policiers, c’est aussi pour éviter de les submerger, puisqu’ils n’ont pas les ressources pour mener autant d’enquêtes, selon Michel Carlos.

« Il y a des milliers et des milliers de vols d’identité, dit M. Carlos. Si les banques les rapportaient tous, on arriverait au poste de police avec un plein camion-remorque ! »

Peines bonbon

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Michel Carlos, président de la firme Artemis Renseignement

Même quand les enquêteurs réussissent à pincer un fraudeur et à le faire accuser, parfois pour des fraudes de plusieurs milliers de dollars, « la preuve est très difficile à faire et la justice impose des sentences bonbons », se désole Michel Carlos. « Il n’y a pas de dissuasion. C’est clair que le crime paie. » « Dans le cas d’un hold-up, même sans arme, un voleur qui est parti avec 300 $ peut prendre quatre, cinq ans de prison. Mais un fraudeur qui a volé beaucoup plus peut s’en tirer avec quelques semaines seulement, ou des travaux communautaires. »

Anxiété, insomnie et harcèlement

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Ils se sont fait voler leurs renseignements personnels et ont été victimes de fraudes. Ils ont fourni à la police des adresses de livraison utilisées par les malfaiteurs, des plaques d’immatriculation, parfois des numéros de téléphone. Puis… rien. Aucune enquête policière. Les fraudeurs ne sont pas inquiétés.

Les victimes de vol d’identité ne perdent pas d’argent, puisque les institutions financières absorbent généralement la perte financière. Mais elles souffrent d’anxiété et d’insomnie, et perdent bien des heures en démarches pour rectifier les faits. Certaines sont harcelées par des agences de recouvrement ou doivent se défendre contre des procédures judiciaires.

Voici quelques cas, parmi une douzaine recensés par La Presse, qui donnent une idée des méthodes des fraudeurs, et des embêtements qu’ils provoquent. Interrogés sur ces cas, les corps policiers concernés ont répondu qu’ils ne pouvaient commenter des dossiers d’enquête.

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Mathieu Legault

« SIM swap » pour 2000 $ d’achats

Mathieu Legault, un résidant de Rosemont, a été victime de fraude par « SIM swap » : son numéro de téléphone a été transféré auprès d’un autre fournisseur, à son insu, ce qui a permis à l’arnaqueur de prendre le contrôle de son compte PayPal et de ses courriels, puis de faire des achats en son nom. Le problème, c’est le manque de vérifications de la part des fournisseurs de services lors d’une demande de transfert de ligne, selon lui. « Maintenant, je dois donner un NIP pour m’identifier auprès de mon fournisseur, mais j’aurais aimé avoir ça avant », dit-il. Pour les achats réalisés avec son compte PayPal, les adresses de livraison étaient à Anjou et à Pointe-aux-Trembles. Il les a fournies à la police dans sa plainte. Réponse du SPVM : « Impossible d’accumuler les preuves nécessaires pour porter des accusations ». « Tout ça a l’air d’une facilité déconcertante pour les fraudeurs, dénonce M. Legault. Je suis flabergasté de voir que c’est si facile de transférer mon numéro, que j’ai depuis 10 ans. Je n’ai pas perdu d’argent, mais j’ai perdu énormément de temps. »

Courrier détourné pendant trois mois

Dans le cas de Maxime Bégin, un enseignant d’Ottawa, les malfaiteurs sont allés jusqu’à faire rediriger son courrier, en faisant une demande frauduleuse à Postes Canada. Des cartes de crédit commandées avec ses renseignements personnels, chez Canadian Tire et Walmart, ont été envoyées à une adresse du quartier Côte-des-Neiges, à Montréal, avec tout son courrier, pendant trois mois. Ses plaintes à la police d’Ottawa sont restées sans suites. « Je trouve ça hallucinant. Comme le courrier a été redirigé, c’est super facile pour la police d’avoir l’adresse, fait remarquer M. Bégin. Mais tout le monde s’en sort sans conséquence. Alors que moi, j’ai dû passer une soixantaine d’heures au téléphone pour tout régler, c’est très frustrant. » Quand il a pris contact avec Canadian Tire, l’entreprise aurait même proposé de fournir à la police les bandes vidéo montrant le fraudeur qui paie des achats en magasin avec la carte de crédit. Mais les enquêteurs ne se sont pas prévalus de cette offre, selon M. Bégin.

Usurpation d’adresse et vols de colis

Le fraudeur ayant usurpé l’identité de Patrick Dufresne pour faire des achats à partir de son compte PayPal a demandé que ses commandes soient livrées à une adresse de Mont-Royal. À cette adresse, un homme affirmait n’être au courant de rien. « Je trouve ça inquiétant et très bizarre. Je n’ai pas reçu de colis et je ne fais pas d’achats par internet », a-t-il réagi quand La Presse lui a dit que des achats frauduleux avaient été commandés avec son adresse. Selon un expert en sécurité, qui a requis l’anonymat, une façon classique de procéder pour les fraudeurs est de venir subtiliser le colis devant la porte. « Parfois, ils subtilisent les cartons laissés par les livreurs et, avec de fausses pièces d’identité, réclament le colis à la centrale du service de messagerie, indique l’expert. Il arrive aussi que des facteurs se fassent voler les clés leur permettant d’ouvrir les boîtes aux lettres des immeubles de logements. »

À la poursuite du fraudeur

En décembre, alors qu’il travaille de chez lui, Édouard* aperçoit un homme qui fouille dans sa boîte aux lettres. Le temps qu’il ouvre la porte, il voit un homme partir dans une voiture grise. Suspicieux, il vérifie son dossier de crédit auprès d’Equifax : deux cartes de crédit ont été demandées à son nom auprès des banques HSBC et Rogers, dont l’une affiche un solde impayé de 5000 $. Il apprend que les fraudeurs connaissent ses anciennes adresses, le nom de jeune fille de sa mère, les noms de sa conjointe et de ses enfants, les écoles où il a étudié, ses employeurs, etc. « Où ont-ils obtenu toutes ces informations ? », se demande-t-il, troublé.

Selon lui, les fraudeurs fouillent son courrier pour mettre la main sur les cartes commandées. Le lendemain, il reste à la maison pour surveiller sa boîte aux lettres. « Je me suis équipé d’une masse et de duct tape, pour ma protection personnelle, mais aussi dans le but de faire des dommages à son véhicule », explique Édouard.

Le voleur de courrier se présente à nouveau. Édouard part à ses trousses, et filme la poursuite, alors que l’homme s’enfuit à pied dans une ruelle et qu’il perd sa trace. Quand les policiers arrivent, 1 h 30 min plus tard, le voleur s’est évanoui dans la nature. Édouard assure avoir reconnu son véhicule et avoir noté sa plaque d’immatriculation. Mais les policiers lui disent qu’ils ne peuvent rien faire avec ces informations.

Édouard affirme avoir passé 40 heures en démarches de toutes sortes pour sécuriser ses comptes, faire effacer les dettes frauduleuses et rétablir son identité. Les fraudeurs ont-ils obtenu ses informations personnelles à cause de l’affaire Desjardins ? Difficile à dire. Mais l’institution financière s’est engagée à le dédommager pour les heures perdues, grâce à son programme Protection Desjardins, offert à l’ensemble des membres depuis que la coopérative a annoncé qu’elle a été victime d’une fuite massive de données personnelles.

Quand nous lui avons parlé, en janvier, Édouard était occupé à faire installer des caméras de surveillance sur sa maison, craignant pour la sécurité de sa famille. Il s’inquiète aussi de savoir que sa cote de crédit a plongé, ce qui pourrait lui nuire lors du renouvellement de son prêt hypothécaire, dans quelques semaines.

* Prénom d’emprunt, utilisé pour préserver l’anonymat de la victime

« Confrontée » par l’agence de recouvrement 

Cindy Bouchard a appris qu’elle était victime de vol d’identité lorsqu’elle a reçu une lettre d’une agence de recouvrement lui réclamant 6000 $ pour une dette impayée sur une carte de crédit Capital One, qu’elle n’avait jamais demandée. Cette carte de crédit, et deux autres obtenues auprès de Tangerine et Rogers, ont été envoyées à une adresse montréalaise, dans la même rue où le courrier de Maxime Bégin a été détourné. Or, Mme Bouchard habite Alma, au Lac-Saint-Jean. Les fraudeurs connaissaient son numéro d’assurance sociale et sa date de naissance, a-t-elle appris auprès d’Equifax. Elle a porté plainte à la Sûreté du Québec en avril dernier, mais n’a eu aucune nouvelle depuis. « Ce que je trouve le plus difficile, c’est le manque d’accompagnement, dit Cindy Bouchard. On est seul pour faire toutes les démarches, pour contacter toutes les entreprises et tenter de leur prouver qu’on n’a pas ouvert ces comptes. On est confrontés par les créanciers, même si on est une victime. C’est très stressant et dérangeant, ça nous trotte dans la tête tout le temps. »

Les policiers s’unissent

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Les escrocs spécialisés en vol d’identité se soucient peu des frontières et des différentes autorités. Pour les freiner, les forces de l’ordre doivent donc faire tomber les barrières qui les séparent et partager les informations, pour faire des liens entre les fraudes et débusquer les réseaux. 

C’est ce que tente de faire la Sûreté du Québec, avec une sorte de « super centrale » de renseignement : un « Bureau de coordination » qui exerce une vigie provinciale et qui a été « boosté » depuis septembre dernier « avec plus de robustesse et d’effectifs », explique le capitaine Simon Riverin.

Ce bureau a pour mission la mise en commun des informations de divers corps policiers. Il compte dorénavant 15 personnes, trois fois plus qu’il y a un an : des agents de renseignement, des analystes, des préenquêteurs, qui font le premier défrichage avant de transmettre un dossier aux enquêteurs, et des coordonnateurs en région qui s’occupent de la récupération des biens acquis grâce au crime.

« Avec une meilleure force de frappe et de meilleurs partenariats, on peut traiter plus de dossiers », souligne le capitaine Riverin.

Pour améliorer davantage les communications, un nouveau comité, mis en place au début de février, regroupe tous les corps policiers, tous les gestionnaires de fraude, avec une dizaine de ministères et d’organismes gouvernementaux, pour partager des informations, de la formation, des renseignements sur les nouvelles technologies et discuter des meilleures pratiques.

Prochaine étape : intégrer les institutions financières dans ces discussions.

Actuellement, aucune loi n’empêche le partage d’informations entre les banques et la police, contrairement à ce que certains croient, souligne le lieutenant Carl Bélisle, responsable de la division des enquêtes sur la criminalité financière organisée à la SQ.

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Carl Bélisle, lieutenant responsable de la division des enquêtes sur la criminalité financière organisée à la SQ

Il y a peut-être une culture en place qui fait qu’on a tendance à vouloir régler ça à l’interne, dans les institutions financières. Ce qu’il manque en ce moment, c’est la formation et l’information pour que le secteur privé collabore mieux.

Carl Bélisle, lieutenant responsable de la division des enquêtes sur la criminalité financière organisée à la SQ

Il y a 10 ans, un projet d’unité mixte visant à contrer le vol d’identité, avec des enquêteurs de la police et des institutions financières, avait été discuté, puis abandonné. Selon un chercheur en criminologie, qui a consacré sa thèse de doctorat au sujet, les banques souhaitent maintenant des modifications législatives pour permettre un meilleur partage d’informations entre le privé et la police afin d’améliorer la lutte contre les fraudes et les autres cyberattaques.

> Lisez l’article de Daniel Renaud sur le sujet

Que faire si ça vous arrive ?

Reprenez le contrôle de vos comptes

Si l’usurpateur de votre identité est passé par votre fournisseur de télécommunications pour prendre le contrôle de vos courriels ou d’un compte d’achats en ligne, récupérez l’accès à vos comptes, changez vos mots de passe et contactez votre fournisseur pour l’informer de la fraude.

Portez plainte à la police

Contactez le poste de votre secteur et demandez un numéro de rapport. Les banques et les créanciers ont parfois besoin de preuves pour confirmer qu’un crime a été commis afin d’effacer les dettes créées par le voleur d’identité.

Contactez les deux agences d’évaluation du crédit du Canada, Equifax et TransUnion

Consultez votre rapport de crédit pour vérifier si des demandes d’emprunts ou de cartes de crédit ont été faites à votre nom. Demandez aussi qu’elles inscrivent un avis de fraude à votre dossier de crédit, pour obliger tout futur prêteur à communiquer avec vous avant de vous accorder du crédit.

Déclarez le vol d’identité auprès des institutions financières où des demandes de crédit frauduleuses ont été faites

Elles pourront fermer les comptes ouverts à votre nom et pourraient vous proposer de changer de carte de débit ou de crédit, si nécessaire. Normalement, vous ne devriez pas avoir à rembourser des dettes contractées frauduleusement.

Rapportez l’évènement au Centre antifraude du Canada 

Le CAFC ne mène pas d’enquête, mais amasse de l’information et des renseignements sur les fraudes par marketing de masse, les arnaques pour vous soutirer de l’argent, les malversations sur l’internet, les vols d’identité et d’autres escroqueries.

Contactez Service Canada

Si vous soupçonnez que quelqu’un utilise votre numéro d’assurance sociale (NAS), allez dans un bureau de Service Canada avec les documents qui prouvent cette utilisation frauduleuse ou abusive. Apportez également une pièce d’identité originale (votre certificat de naissance ou votre document de citoyenneté).

Sources : Gendarmerie royale du Canada (GRC)

> Consultez le site de la GRC

> Consultez le site de la Commission d’accès à l’information

Loin du fraudeur occasionnel

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Quand les policiers du SPVM sont entrés chez Prodigue Antoine pour une perquisition, le 19 décembre 2018 dans le Quartier latin à Montréal, une sonnerie a retenti, provenant de l’intérieur du réservoir d’eau chaude.

En l’ouvrant, les policiers ont trouvé plusieurs téléphones cellulaires et un cahier à spirale contenant les informations personnelles de centaines de personnes : adresse, numéro d’assurance sociale, nom du conjoint et des enfants, nom de l’employeur, adresse courriel, date de naissance, numéro de compte bancaire, question de sécurité du compte, date d’ouverture, solde du compte, limite de la marge de crédit, etc.

Une mine d’or pour arnaqueurs.

En usurpant différentes identités, M. Antoine aurait fraudé plusieurs institutions financières pour au moins 2 millions, dont 500 000 $ en un seul mois, à l’été 2018, a-t-on pu apprendre lors de son enquête sur remise en liberté, le 29 janvier 2019.

« Prodigue Antoine est loin d’être un fraudeur occasionnel, on s’approche plutôt du fraudeur professionnel », a souligné le juge Yves Paradis, qui a alors refusé de le remettre en liberté en attendant son procès.

Tellement professionnel que dès le lendemain de la perquisition, l’homme de 49 ans était à nouveau au téléphone pour tenter de frauder des institutions financières.

Malgré les trouvailles des enquêteurs dans son chauffe-eau, Prodigue Antoine avait été remis en liberté aussitôt après avoir été arrêté. Mais quand une autre institution financière a fait une nouvelle plainte à son sujet à la police, il a été arrêté à nouveau, le 22 janvier 2019, et emprisonné.

Il est détenu depuis, et son procès doit débuter le 6 mai 2020.

Prodigue Antoine a plaidé non coupable aux accusations. Son avocat, Richard Tawil – qui s’est depuis retiré de la cause –, a notamment fait valoir que les policiers n’avaient pas obtenu de mandat pour fouiller les appareils cellulaires de son client.

« Faut être sérieux, là ! »

Le procureur de la Couronne, Nicolas Ammerlaan, avait d’abord indiqué, lors de l’enquête sur remise en liberté, qu’il ferait entendre seulement deux témoins, pendant trois heures, à l’enquête préliminaire d’Antoine.

« Non, non, non ! Pas pour une fraude de cette ampleur, avec la preuve que vous avez, et les saisies qui ont été faites ! Faut être sérieux, là ! », a réagi le juge Paradis, qui a monté le ton pour faire comprendre la gravité de cette affaire.

« C’est vous qui menez le dossier, vous allez devoir vivre avec les conséquences de vos décisions », a lancé le magistrat à MAmmerlaan.

Finalement, Prodigue Antoine n’aura pas droit à l’étape de l’enquête préliminaire, en raison de modifications à la loi. Six jours ont été réservés pour son procès.

« Étant donné la preuve, on peut conclure que la probabilité de condamnation est forte. Considérant l’ampleur du stratagème et ses antécédents judiciaires, M. Antoine risque une sérieuse peine d’emprisonnement », a souligné le juge Paradis, en ordonnant qu’il demeure détenu.

De 500 $ à 1000 $ par appel

Parmi les preuves présentées par la Couronne figure le témoignage du directeur de la Banque TD, qui a porté le dossier à l’attention de la police. Il a convoqué Prodigue Antoine à son bureau après avoir constaté un dépôt irrégulier de 50 000 $ dans son compte personnel.

Une somme étonnante pour un homme qui affirme exercer le métier de polisseur de poignées de porte dans une usine montréalaise.

Au cours de la rencontre, qui a été enregistrée, l’accusé a admis recevoir de 500 $ à 1000 $ pour chaque appel qu’il fait à une banque.

Me Nicolas Ammerlaan, procureur de la Couronne

Prodigue Antoine est connu pour ses appels frauduleux, réalisés sous de fausses identités, dans plusieurs institutions financières, qui détiennent des enregistrements de sa voix pour les comparer aux nouveaux appels qu’ils reçoivent.

Son modus operandi : il appelle dans une banque en se faisant passer pour un client qui a perdu sa carte bancaire et qui veut en obtenir une nouvelle. Il la fait livrer dans une succursale bancaire.

« Un complice, appelé “runner”, ou coursier, se présente alors dans la succursale avec de fausses pièces d’identité pour prendre possession de la carte. Il change le NIP, puis vide le compte », a expliqué le procureur de la Couronne.