Selon François Legault, Justin Trudeau « insulte les Québécois ». Selon le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, « il est immoral que le gouvernement canadien s’ingère dans une contestation d’une loi adoptée par les élus de l’Assemblée nationale. Ils ont trouvé une façon d’y arriver ».

Pourtant, ni Justin Trudeau ni son gouvernement n’ont fait quoi que ce soit dans le dossier.

Un organisme totalement indépendant, non gouvernemental, qui gère un budget sous le chapeau de l’Université d’Ottawa, a accepté une demande modeste de financement de la Commission scolaire English-Montréal.

J’ai écrit ici que, d’après moi, l’attaque constitutionnelle contre la loi 21 a peu de chances de succès, et devrait échouer pour une raison très simple : le gouvernement de la CAQ a utilisé la disposition de dérogation pour soustraire la Loi sur la laïcité de l’État à l’application des chartes des droits. Et en effet, jusqu’ici, tant en Cour supérieure qu’en Cour d’appel, les contestataires ont essuyé un refus au stade de la demande de suspension d’application de la loi. Reste le débat sur le fond, qui aura lieu cet automne.

Mais il ne s’agit même pas de ça. Il s’agit du fonctionnement d’un organisme qui verse des budgets à l’occasion pour défendre des causes constitutionnelles.

On comprend le jeu politique du gouvernement Legault comme celui du Bloc : faire porter le blâme au gouvernement fédéral pour le financement d’une attaque contre une loi de l’Assemblée nationale. C’est aussi un avertissement, au cas où le Procureur général du Canada interviendrait dans le dossier – ce qui est son droit, mais qui n’est pas arrivé encore.

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En ce moment, ce sont des parties privées qui contestent la loi. Une loi adoptée par une forte majorité à Québec et appuyée encore plus fortement par la population du Québec. Elle exprime « la volonté de la nation québécoise », s’est indigné le premier ministre Legault.

Fort bien, mais par définition, les minorités défendent des idées très souvent… minoritaires.

Quand le gouvernement de l’Ontario a fermé l’hôpital francophone Montfort à Ottawa, ce même programme de contestation judiciaire a fourni du financement. Les tribunaux ont annulé la fermeture, estimant qu’elle était illégale.

La fermeture, pourtant, était une décision d’un gouvernement légitimement élu à la tête de l’Ontario, et la fermeture n’inquiétait nullement la majorité de la population ontarienne.

Aurait-on vu le premier ministre Harris s’indigner de voir que « l’argent des Ontariens sert à contester leurs propres lois » ?

Ça rappelle les hauts cris de politiciens de l’Ouest quand le Bloc québécois est arrivé à Ottawa, en 1993, qui dénonçaient le financement du mouvement souverainiste « avec notre argent ».

Ce programme, avec un budget modeste de 5 millions par année, sert exactement à ça : financer les contestations des lois pour des groupes minoritaires.

Des homosexuels ont obtenu des fonds pour tenter d’obtenir des traitements égaux pour les conjoints en matière de pensions ; des handicapés ont poursuivi VIA Rail pour obtenir un meilleur accès ; des personnes âgées ont obtenu une extension de l’assurance-emploi ; des autochtones ont aussi obtenu le droit de vote hors réserve. Voilà le genre de causes pour lesquelles le comité versera 100 000 $ ou 200 000 $, disons.

Maints recours échouent, la question n’est pas là. La question, c’est de donner un meilleur accès à la justice en matière de droits fondamentaux.

Le gouvernement n’a donc justement pas d’affaire à se mêler du choix des dossiers, puisqu’il sera toujours en conflit d’intérêts. C’est pourquoi le programme est administré par un comité d’experts de l’Université d’Ottawa. Ce serait un scandale si Justin Trudeau s’en mêlait, dans un sens ou dans un autre. 

Et comme ce comité a financé nombre de recours surtout contre des politiques, des organismes ou des lois fédérales, il est totalement absurde d’affirmer que cette subvention de 125 000 $ est un geste « du gouvernement fédéral ».

Hier, devant l’émoi généralisé, la commission scolaire a renoncé aux 125 000 $ autorisés.

Après tout, l’un des critères pour obtenir de l’aide est le peu de moyens financiers. On s’étonne qu’un organisme ayant dégagé des surplus de 3 millions entre dans cette catégorie et, en ce sens, le Bloc a un argument valide. Mais, encore une fois, c’est un comité indépendant qui accorde ou pas ces sommes et qui applique les critères.

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Il y a évidemment un jeu politique ici et beaucoup de théâtre. Aucun gouvernement n’aime voir ses législations contestées, critiquées, attaquées devant les tribunaux. Mais il faudrait arrêter de s’évanouir chaque fois qu’une contestation judiciaire est inscrite. 

La démocratie ne se résume pas à une majorité à l’Assemblée nationale et aux sondages favorables. Ça ne sacralise pas une loi. Des groupes, des individus ont le droit et la légitimité de protester par tous les moyens légaux. 

La discussion peut continuer après l’entrée en vigueur d’une loi, j’espère ? Me semble qu’avec les bretelles et la ceinture des dispositions de dérogation aux garanties constitutionnelles, le gouvernement devrait dormir tranquille, la loi survivra, y’a pas de quoi « capoter », mesdames et messieurs…

L’autre chose agaçante, c’est la suggestion de M. Legault : oui, ce comité est indépendant, mais Justin Trudeau devrait l’encadrer…

Ce serait donc agréable si on pouvait « encadrer » tous les organismes indépendants quand ils rendent des décisions désagréables ! Aussi bien abolir le programme, comme les conservateurs l’ont fait, en disant au fond : que seuls les grandes sociétés, comme les entreprises de tabac, ou les gens fortunés aient accès aux contestations judiciaires. C’est une option ! Mais en attendant, indépendant, ça veut dire exactement ça : on n’y touche pas.

Les allusions aux juges « nommés et payés par Ottawa » faites par Yves-François Blanchet n’étaient pas plus heureuses. Je rappelle que tous les juges ayant rejeté la contestation de la loi 21 étaient « nommés et payés par Ottawa »… et indépendants. 

C’est une pente glissante que de commencer à attaquer de manière totalement gratuite et injustifiée l’indépendance judiciaire.