Mardi soir, Donald Trump entrera au Capitole, pour le discours annuel sur l’état de l’Union, torse bombé, rage au cœur, triomphant. Invincible.

Rappelez-vous ses paroles de 2016, quand le journaliste Bob Woodward avait interrogé le candidat Trump.

« Qu’est-ce que c’est, le pouvoir, pour vous ?

— Le vrai pouvoir – je n’ose même pas prononcer le mot –, c’est la peur. »

La peur.

Ce samedi matin, ils ont tous peur. Ils ont tellement eu peur que vendredi, vers 18 h, les sénateurs ont décidé de ne pas entendre la moindre preuve au « procès » en destitution du président. Ni document ni témoin, rien.

Deux petits républicains se sont joints aux 47 démocrates. Même Mitt Romney, ex-candidat à la présidence, rare critique républicain de Trump, a attendu et attendu avant de dire qu’il voulait entendre des témoins.

Presque tous ceux de son entourage qui ont été congédiés par le président, ou qui ont démissionné, se tiennent tranquilles, obéissent aux ordres. Les rares qui osent dénoncer Trump n’entraînent avec eux aucun élu républicain. Comme le général James Mattis, secrétaire à la Défense sous Trump, s’est moqué du président, disant qu’il avait gagné ses galons au champ de bataille, et Trump avec une lettre du médecin. Mais il s’est tenu plutôt tranquille.

Le « brave » John Bolton, ex-conseiller à la sécurité nationale de Trump, s’est arrangé pour faire fuiter ses mémoires… trop tard. C’est un témoin direct de l’abus de pouvoir. Il a fait savoir qu’il viendrait témoigner si le Sénat le convoquait. Mais pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Peureux, comme tous les autres. Facilitateur. Complice.

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Les démocrates ont affronté Trump. Ils l’ont fait accuser après des semaines de débats et de témoignage à la Chambre des représentants. Ils savaient qu’ils perdraient le vote final. Ils espéraient tout de même pouvoir convaincre au moins quatre républicains de faire entendre des témoins. Ils ont échoué.

IMAGE TIRÉE DE SENATE TELEVISION, ASSOCIATED PRESS

Les sénateurs lors du vote, vendredi

Ils pensaient que, même en perdant, ils exposeraient l’immoralité, la malhonnêteté, l’esprit corrompu et la dangerosité de Trump. Mais les Américains ont cessé de s’intéresser à toute cette histoire ukrainienne depuis longtemps.

Oui, bien sûr, les sondages montrent que les deux tiers d’entre eux auraient voulu entendre des témoins. Mais tout ça comptera-t-il le jour du vote ? Sans doute que non.

Alors ce samedi matin, les démocrates aussi ont peur. Il y a des sondages pour montrer une maigre majorité en faveur de la destitution. Il y a des éclaircies ici et là. Mais les fondements du soutien à Trump sont intacts. Le soutien religieux, à qui Trump livre une magistrature de plus en plus conservatrice ; le monde des affaires, bien content des baisses d’impôts et de la déréglementation en environnement ; les nationalistes blancs, à qui il fait des clins d’œil ; les défenseurs de la liberté absolue de posséder une arme ; et tous ceux pour qui il est encore le champion du monde « ordinaire », qui en ont contre une certaine idée de l’élite, des médias, etc.

PHOTO KEREM YUCEL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Joe Biden

Et qui au juste les démocrates vont-ils envoyer au front ? Quand j’écoute leur numéro un, le vieillissant Joe Biden, quand je le vois hésiter, se tromper de mot, je l’imagine devant Trump dans un débat un peu robuste et je m’inquiète pour lui…

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Vendredi soir, les démocrates se scandalisaient de leur défaite. C’est vrai, le Sénat a refusé de même avoir l’air d’un pouvoir indépendant. Depuis le début, avant même le début, le leader républicain Mitch McConnell a annoncé qu’il ne serait pas impartial, car tout cela était un procès « politique ». C’en est un, bien entendu, puisque ce sont des élus qui jugent le président. Mais encore doivent-ils faire un procès…

Les États-Unis viennent aussi de créer un précédent. Leurs institutions viennent de dire qu’un abus de pouvoir grossier n’est pas un motif de destitution.

Retenir une aide militaire de 391 millions, dûment votée par le Congrès pour protéger un pays ami, en échange d’une faveur politique, ça ne suffit pas. En fait, un des avocats du président, le prof de Harvard Alan Dershowitz, qui n’en est pas à un sophisme près, a dit qu’un acte du président pour favoriser sa réélection ne devrait pas entraîner sa destitution dans la mesure où il croit que sa réélection servira l’intérêt général…

On pourrait parler de la perte de confiance envers les États-Unis, de sa perte de prestige depuis le début de cette présidence chaotique. On pourrait ajouter que ce président a affiché comme personne avant lui un extraordinaire mépris pour la vérité, un mépris de toutes les institutions, une hargne envers tous ceux qui le contrarient. Bref, dans ses gestes et dans ses paroles, Trump renie l’essence même des idéaux démocratiques et de la Constitution qu’il est censé protéger. Ça laissera des traces, et pas seulement aux États-Unis.

On pourrait le dire, le répéter.

Mais aujourd’hui, ce qui ressort, c’est sa victoire du moment. C’est le silence de tous ces peureux qui trouvent en privé qu’il va « trop loin », qui murmurent des demi-critiques une fois de temps en temps. Mais qui lui laissent le champ libre.

Ce qui ressort de manière éclatante, c’est le pouvoir de la peur. Ou la peur du pouvoir.