L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), responsable de la planification des transports collectifs dans la grande région de Montréal, a publié mardi les résultats d’une vaste enquête sur les déplacements sans les présenter au préalable aux sociétés de transport de la région, et sans même attendre qu’elles aient eu le temps d’en valider les conclusions.

Dans une lettre commune adressée mardi après-midi au président de l’ARTM, Pierre Shedleur, les présidents des quatre sociétés de transport collectif de la région de Montréal dénoncent l’attitude « déplacée », « inadmissible et inexcusable » de l’Autorité à l’occasion de la publication de l’enquête origine-destination (OD) de 2018, mardi matin.

L’enquête OD est une vaste étude menée tous les cinq ans auprès de dizaines de milliers de résidants de la grande région de Montréal afin de dresser un portrait aussi juste que possible de leurs habitudes de déplacement quotidiennes et du ou des modes de transport qu’ils utilisent (auto, vélo, métro, etc.). 

Ces données permettent de planifier à moyen et à long terme le développement des réseaux de transport collectif qui réalisent chaque matin, de 5 h à 9 h, près d’un demi-million de déplacements dans l’ensemble de la région de Montréal.

La publication des résultats de la nouvelle enquête, tous les cinq ans, faisait jadis office de grand-messe des transports collectifs métropolitains. Mardi matin, elle s’est déroulée en l’absence des présidents de la STM, Philippe Schnobb, de la STL, Éric Morasse, du RTL, Jonathan Tabarah, et de la présidente du réseau exo, Josée Bérubé. Ils n’avaient pas été invités.

Les directeurs généraux des quatre sociétés ont quant à eux décidé de concert de ne pas se présenter à l’événement, parce que l’ARTM ne leur a permis l’accès aux données de l’enquête que quelques heures avant leur présentation.

Des écarts

Selon les faits saillants rendus publics mardi par l’ARTM, l’utilisation des transports collectifs a connu, entre 2013 et 2018, sa progression la plus anémique depuis 20 ans, et ce, tant à Montréal qu’à Laval ou dans les couronnes de banlieue, au sud et au nord de la métropole.

Au cours de cette période, conclut l’enquête OD, la fréquentation des transports collectifs a augmenté globalement de 4 % dans l’ensemble du territoire, alors que les déplacements en automobile ont légèrement diminué, de 1 %, en périodes de pointe du matin.

Dans leur lettre commune, les dirigeants des sociétés de transport affirment que les résultats d’achalandage présentés par l’ARTM, mardi matin, montrent un écart avec les statistiques d’achalandage annuelles des quatre transporteurs publics, entre 2013 et 2018, que les experts des sociétés de transport ne peuvent expliquer, dans l’état actuel des choses, parce qu’ils n’ont pas eu accès aux données.

C’est le cas notamment du directeur général de la STL, Guy Picard, qui a refusé de commenter les résultats de l’enquête qui montre une croissance zéro de l’utilisation des transports collectifs par les habitants de l’île Jésus, en contradiction complète avec les données internes de la STL.

« Je ne vais pas commenter les résultats de l’enquête, parce qu’ils apparaissent trop… contre-intuitifs. Notre achalandage a augmenté de près de 4 % au cours de cette période. Ça nous étonne, et je ne peux pas concevoir que l’ARTM ait rendu publics des chiffres comme ceux-là sans même qu’on nous les explique. »

« On met beaucoup d’efforts à la STL pour améliorer nos services, poursuit-il. La Ville de Laval investit beaucoup d’argent dans le transport collectif. On voit une hausse d’achalandage dans nos autobus, mais là, le message qui va arriver dans la tête des gens, c’est : “Ça donne quoi de faire ça, l’achalandage augmente même pas.” C’est pas le message qu’on veut envoyer. »

Une fausse diminution de la circulation

Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal et titulaire de la chaire Mobilité, spécialisée dans la recherche sur les transports, n’a pas pris de détour, mardi, pour commenter l’affirmation voulant que la circulation automobile ait diminué de 1 % en pointe du matin dans la région de Montréal.

C’est faux. Quand on tient compte du territoire complet de l’étude, ce n’est pas une diminution de 1 % de la circulation automobile qu’on observe, mais une hausse de 8 % des déplacements en automobile en périodes de pointe du matin.

Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal et titulaire de la chaire Mobilité, spécialisée dans la recherche sur les transports

« Il y a une sorte de distorsion dans les chiffres qui vient du fait que d’une enquête à l’autre, on établit des tendances en suivant l’évolution des données sur un “territoire comparable”, qui ne correspond plus, aujourd’hui, à celui de l’étude », affirme-t-elle.

Le territoire comparable des enquêtes OD correspond historiquement à celui des 82 municipalités qui composent la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Or, en raison du développement résidentiel qui explose dans les municipalités situées hors de ce territoire, l’enquête OD prend aujourd’hui en compte les déplacements provenant de 75 autres municipalités hors CMM, qui totalisent 325 000 habitants qui vivent loin au sud et au nord de la métropole, mais qui utilisent quand même les réseaux de transport métropolitains.

Ainsi, en 2013, on enregistrait un total de 1 436 000 déplacements en automobile pendant la période de pointe du matin dans la grande région de Montréal. À territoire comparable, cinq ans plus tard, on relevait un total de 1 421 000 déplacements automobiles, soit 15 000 de moins, une faible diminution de 1 %.

Toutefois, en tenant compte de l’ensemble des déplacements automobiles, dont ceux en provenance des territoires ajoutés à l’enquête OD, c’est plutôt un total de 1 550 000 déplacements qui ont été réalisés en automobile en 2018, soit une hausse de 114 000, ou 8 %, par rapport aux données de 2013.

« En limitant l’analyse au territoire comparable, on se trouve à faire complètement abstraction d’un développement résidentiel où on a principalement attiré des ménages qui possèdent plusieurs automobiles, et qui n’utilisent pas les transports collectifs, parce qu’il n’y en a pas. C’est un des enjeux les plus importants auxquels on devra s’attaquer, si on veut un jour réduire la congestion de nos réseaux routiers », assure Mme Morency.