Le garagiste Athanasios Azeloglou travaille dans un no man’s land en plein cœur de l’île de Montréal.

Ses voisins sont partis les uns après les autres. Au bout du chemin Royden, où il rafistole des bagnoles depuis 26 ans, les pelles mécaniques sont à l’œuvre.

Plus loin, les autoroutes 15 et 40 se croisent dans un embrouillamini de béton.

Je trouve le garagiste penché sous un capot. Il relève la tête, essuie ses mains pleines de cambouis. « Tout le monde est parti, lâche-t-il. Je suis le dernier. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Athanasios Azeloglou

Ce n’est qu’une question de temps avant qu’une boule de démolition ne s’attaque au vieux garage de M. Azeloglou. Exproprié par la Ville de Mont-Royal pour faire place au mégaprojet Royalmount, on lui a donné jusqu’à la fin de février pour plier bagage.

Il refuse de partir. Obstinément.

On lui reproche de bloquer la route du progrès. De causer des problèmes. 

Mais ce sont eux qui me causent des problèmes, à moi ! J’ai 62 ans. Cet endroit m’appartient. Je l’ai acheté en 1993 pour avoir une paix d’esprit. Là, tout d’un coup, un type dit qu’il peut faire tout ce qu’il veut.

Athanasios Azeloglou

Le garagiste se bat, seul, contre un projet immobilier de 2 milliards. Un mégacomplexe consacré au magasinage et au divertissement, qui « incarne le génie montréalais », selon le promoteur, Carbonleo.

Autant dire que pour M. Azeloglou, la bataille est perdue d’avance. Déjà, chemin Royden, une pancarte annonce des espaces à louer au sein du futur complexe. Le rouleau compresseur est en marche.

On n’arrête pas le progrès.

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Ça ressemble à l’histoire de David contre Goliath, mais en réalité, M. Azeloglou n’est pas seul dans son combat contre Royalmount. Loin de là.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le garage d’Athanasios Azeloglou

Claude Marcotte, patron de Carbonleo, peut bien affirmer que Royalmount a atteint une « acceptabilité sociale exceptionnelle », un tas de gens s’opposent à ce projet.

Les automobilistes, parce qu’ils se retrouveront coincés dans un secteur déjà paralysé par la congestion routière. Qui a envie de passer 20 minutes de plus dans les entrailles grisâtres de l’autoroute Décarie ? Personne.

Les écologistes, parce que toute cette circulation – on parle de dizaines de milliers de véhicules supplémentaires à l’intersection des autoroutes 15 et 40 – rejettera quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

Les commerçants, parce que l’ouverture de centaines de boutiques et restaurants risque de tuer des petits commerces – et pas seulement celui de M. Azeloglou. Même les boutiques du centre-ville sont menacées par l’arrivée d’un centre commercial aussi éléphantesque dans un marché saturé.

Le Quartier des spectacles, parce que la création de deux nouvelles salles à Royalmount lui fera inévitablement concurrence, alors même que les ventes de billets stagnent et que l’on vient d’investir 200 millions d’argent public dans l’espoir de raviver le centre-ville.

Les urbanistes, parce qu’ils y voient un projet sans âme et sans vision. Un calque d’un modèle américain en éclosion, qui équivaut à « privatiser l’ensemble d’un secteur au profit d’un promoteur », écrivaient des opposants dans La Presse, en décembre. Un lieu artificiel qui attirera encore un autre Gap, encore un autre Victoria’s Secret.

> Lisez la lettre des opposants au projet

Carbonleo dévoilera bientôt la « version 2.0 » de Royalmount. « C’est un projet qui va permettre à Montréal de rayonner à l’échelle internationale », assure Claude Marcotte, qui promet de créer « un écoquartier assez exceptionnel ».

Rien ne garantit pourtant que cet « écoquartier » comportera des logements, une école et une bibliothèque, comme le faisait miroiter le promoteur il y a à peine quelques mois. « C’est entre les mains de la Ville de Mont-Royal. C’est à eux de décider s’il va y avoir du logement ou non. »

Le maire de la Ville de Mont-Royal, Philippe Roy, affirme ne pas avoir tranché la question.

Pour le moment, donc, ce mégaprojet censé incarner le génie montréalais n’est, pour l’essentiel, qu’un gros centre commercial.

Comme dirait l’autre, en a-t-on vraiment besoin ?

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La mairesse Valérie Plante ne veut pas davantage de ce projet immobilier « totalement déconnecté » des enjeux auxquels Montréal fait face en 2020.

« Je suis très déçue… ce n’est pas un développement qui devrait se réaliser en ce moment à Montréal », regrettait-elle encore, le 10 janvier, au micro de la CBC.

Ça commence à faire pas mal de monde qui prévient qu’on se dirige vers un énorme gâchis.

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L’un des rares qui semblent trouver ce projet excellent, c’est Philippe Roy, maire de la Ville de Mont-Royal.

On le comprend, Royalmount générera plus de 25 millions en revenus fonciers. De quoi faire déborder les coffres de cette cité-dortoir de 20 000 habitants.

Et de quoi imposer un projet, aussi démesuré soit-il, à des millions de Montréalais. Quitte à le leur enfoncer dans la gorge. Quitte à briser le fragile équilibre commercial et culturel de la métropole du Québec.

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Le 24 janvier, des citoyens opposés à Royalmount rencontreront Chantal Rouleau, ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, pour lui demander d’imposer un moratoire.

Les chances que cela se produise sont minces.

De son côté, la Ville de Montréal a les mains liées. Elle n’a aucun pouvoir sur la Ville de Mont-Royal, ni sur le promoteur, qui agit de plein droit.

Pour nous, ce qui est prioritaire, c’est de s’assurer que la Ville ne se retrouve plus jamais dans cette situation-là.

Youssef Amane, directeur des communications au cabinet de Valérie Plante

La Ville demande au gouvernement du Québec de modifier la loi, afin d’éviter que d’autres projets monstrueux ne soient imposés à toute la région métropolitaine.

La ministre Rouleau y réfléchit, m’a écrit son attachée de presse.

Mais pour Royalmount, c’est trop tard.

On n’arrête pas le progrès, semble-t-il, même quand personne n’en veut.

L’indécence de Richard Martineau

La semaine dernière, La Presse et Urbania ont toutes deux publié un portrait de Xavier Camus, un blogueur dont la spécialité est d’exposer les militants d’extrême droite qui pataugent dans les bas-fonds du web.

Ses dénonciations publiques ont mené à l’arrestation de sinistres individus, accusés (entre autres) d’incitation à la haine. Xavier Camus a aussi provoqué la chute de candidats aux élections après avoir déterré leurs propos racistes sur les réseaux sociaux.

Il se trouve également que le blogueur a souvent été très critique, pour ne pas dire cinglant, à l’endroit de certains chroniqueurs de Québecor.

Ce prof de philo est, sans nul doute, un personnage controversé. On peut apprécier son style ou le détester. Là n’est pas mon propos.

Ce que je trouve inadmissible, c’est la réaction outragée du chroniqueur Richard Martineau, vendredi, sur les ondes de QUB, la radio de Québecor.

Pardon pour la vulgarité, je le cite : les journalistes qui ont écrit ces articles ont fait « deux gros blow jobs sloppy avec beaucoup, beaucoup de salive ».

Et puis, ceci : « La job des journalistes, c’est d’être critique, pas de faire des blow jobs sloppy, si tu veux faire des blow jobs sloppy, tu fais autre chose, tu deviens escorte… »

Si j’ai bien compris son propos, difficile à saisir à travers ses insultes de cour d’école, le chroniqueur du Journal de Montréal reproche aux deux articles leur complaisance à l’égard de Xavier Camus.

Pourtant, le portrait de ma collègue Caroline Touzin est un modèle de neutralité journalistique. Elle a énuméré les critiques à l’endroit du blogueur. Elle a recueilli des témoignages, dont celui de Lise Ravary, ex-chroniqueuse du Journal de Montréal, qui a croisé le fer avec Xavier Camus dans le passé.

Elle a écrit à quel point le doxxing – une méthode de dénonciation qui consiste à diffuser les infos personnelles d’un individu sans son consentement – était controversé.

Mais voilà, Richard Martineau déteste Xavier Camus. Alors, il s’en prend au messager. Il accuse une journaliste de faire des pipes. Il l’invite à se prostituer. En ondes.

Il y a des limites à l’indécence. Vendredi, Richard Martineau les a allègrement franchies.

> Lisez le portrait de Xavier Camus