« Je ne veux pas un sou des contribuables au Canada », avait juré Hassan Diab en conférence de presse, le 17 janvier 2018, trois jours après son retour au pays.

Soupçonné d’avoir commis un attentat terroriste à Paris, ce résidant d’Ottawa venait de passer trois ans dans une cellule française, dans l’attente d’un procès qui n’a jamais eu lieu. Avant cela, il avait âprement contesté son extradition, en vain.

Ces trois longues années d’emprisonnement n’ont pas été faciles, on s’en doute. Hassan Diab assurait pourtant n’entretenir aucun désir de vengeance à l’égard du Canada, qui l’a mis dans un avion d’Air France, menottes aux poings.

Il vient de changer d’idée.

PHOTO BERTRAND GUAY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Hassan Diab

Le 10 janvier, Hassan Diab a déposé une poursuite de 90 millions contre le gouvernement fédéral et des avocats du ministère de la Justice. Il les accuse de négligence, de spoliation de preuves, d’abus de procédure et de tromperie, en plus de lui avoir intentionnellement infligé une détresse émotionnelle. Entre autres.

Un nouveau front vient donc de s’ouvrir dans la bataille judiciaire qui oppose Ottawa et le Libano-Canadien depuis son arrestation par la GRC, à la demande de la France, en novembre 2008.

Dans son combat, Hassan Diab pourra sans doute compter sur l’indéfectible soutien que lui témoignent depuis 10 ans ses nombreux défenseurs canadiens, médias compris, qui ont résolument pris fait et cause pour cet homme.

Ils ont peut-être raison. Vous me pardonnerez toutefois d’être une fausse note dans le concert d’indignation envers la « parodie de justice » (dixit Amnistie internationale) dont Hassan Diab, le « Dreyfus de ce siècle » (dixit son avocat), aurait été victime.

Vous me pardonnerez de ne pas coiffer cette chronique d’un retentissant : « J’accuse… ! »

J’ai beau me forcer, l’indignation ne me vient pas.

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La bombe explose à 18 h 38, le 3 octobre 1980.

Quelques minutes plus tard, elle aurait fait un carnage : les fidèles réunis pour la fête de Sim’hat Torah s’apprêtaient à quitter la synagogue de la rue Copernic, à Paris.

Ce soir-là, un massacre est évité de justesse, mais la bombe fauche tout de même quatre vies, en plus de faire une quarantaine de blessés.

En France, le choc est immense. C’est la première fois, depuis la Seconde Guerre mondiale, qu’un attentat terroriste vise la communauté juive du pays. Ce ne sera malheureusement pas la dernière.

Pendant des années, l’enquête piétine. En 1989, elle prend un nouveau souffle lors de la chute du mur de Berlin et de l’ouverture des archives de la Stasi, la police secrète est-allemande.

On confirme alors que c’est le Front populaire de libération de la Palestine – Opérations spéciales (FPLP-OS) qui a commandé l’attentat.

Au fil des ans, d’autres infos cruciales sont récoltées par les services de renseignements français.

Peu à peu, la piste remonte jusqu’à un respectable professeur de sociologie de l’Université Carleton, à Ottawa.

Hassan Diab.

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Le père de famille clame son innocence. Il se dit victime d’une erreur d’identité ; c’est un autre Hassan Diab qui a commis l’attentat de la rue Copernic, soutient-il.

Les preuves amassées contre lui sont circonstancielles.

Un passeport marqué de tampons d’entrée et de sortie d’Espagne, ce qui prouve sa présence en Europe au moment de l’attentat ; des portraits-robots de l’époque qui lui ressemblent ; des expertises graphologiques comparant son écriture à une fiche d’hôtel remplie par le terroriste ; le témoignage d’un ex-militant du FPLP disant l’avoir côtoyé, ainsi que son ancienne épouse palestinienne, Nawal Copty, au sein du groupe terroriste.

Ces éléments réunis persuadent un juge ontarien d’autoriser l’extradition d’Hassan Diab vers la France. Dans sa décision, le juge se permet toutefois de souligner la faiblesse de la preuve française – trop faible, sans doute, pour mener à une condamnation.

Mais voilà, ce n’est pas à lui d’en juger.

La Cour d’appel maintient la décision. La Cour suprême refuse d’entendre la cause. Et c’est ainsi que, le 14 novembre 2014, Hassan Diab est extradé en France.

Là-bas, il est maintenu en détention provisoire pendant les 34 mois de son enquête judiciaire. Enfin, le juge d’instruction renonce à le citer à procès. Les charges qui pèsent sur lui ne sont « pas suffisamment probantes ».

Tout ça pour ça.

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En mai 2018, quatre mois après le retour d’Hassan Diab au pays, le réseau CBC diffuse un reportage sur « le rôle du Canada dans l’emprisonnement d’un homme innocent ».

Il y a eu un « processus secret » pour s’assurer qu’Hassan Diab soit extradé en France, révèle la société d’État. Un avocat du ministère de la Justice, Claude LeFrançois, avait fait de « grands efforts » pour renforcer la cause de la France, sur le point de s’effondrer.

Les défenseurs du Libano-Canadien crient au scandale. Ils parlent de mensonges et de dissimulation de preuves. Comme si le gouvernement du Canada avait sournoisement manigancé pour priver l’un de ses citoyens de ses droits fondamentaux.

La réalité est moins dramatique : il n’y a pas de scandale. Juste une incompréhension de ce qu’est une audience d’extradition. Et surtout, de ce que ce n’est pas : un procès criminel.

De « grands efforts » pour soutenir la France ? En tant qu’avocat du procureur général, le rôle de Me LeFrançois consistait précisément à plaider la cause de l’État requérant. Le Canada s’attendrait à recevoir le même type d’assistance s’il demandait l’extradition d’un suspect réfugié en France.

Autrement dit, Me LeFrançois a juste fait son job.

Comme il ne s’agissait pas d’un procès criminel, rien ne l’obligeait à communiquer tous les éléments de preuve à la défense. Il n’avait qu’à divulguer ceux sur lesquels la France se fondait pour demander l’extradition.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais Murray Segal, ancien sous-procureur général de l’Ontario, dans un rapport de 130 pages. Me Segal a été chargé par le gouvernement fédéral de mener une enquête indépendante sur cette affaire.

Son mandat : vérifier si les procédures d’extradition d’Hassan Diab ont été menées dans les règles de l’art.

Sa réponse : oui. À tous points de vue.

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On ne peut que regretter qu’Hassan Diab ait été incarcéré pendant une si longue période sans que la moindre accusation formelle soit déposée contre lui.

Ça ne veut pas dire pour autant que le Canada a eu tort de l’extrader en vertu des traités qui le lient à la France.

Son avocat, Don Bayne, peut bien le comparer à Alfred Dreyfus, cet officier français de confession juive injustement accusé de haute trahison en 1894. Il peut bien le dépeindre comme un « prisonnier politique » dans une « France traumatisée par le terrorisme ». Le Canada ne l’a tout de même pas livré à une dictature sanguinaire…

La durée de son incarcération s’explique en partie par le fait qu’il a longtemps refusé de faire une déclaration. Ce n’est qu’en 2016 qu’il a affirmé au juge d’instruction qu’au moment de l’attentat, il se trouvait à Beyrouth, où il étudiait en sociologie.

Cette nouvelle info a dû être vérifiée. On a fini par retrouver six témoins affirmant qu’en septembre et octobre 1980, Hassan Diab était bien à Beyrouth, en période d’examens.

Ce qui m’étonne pourtant, c’est que des années plus tôt, lors de l’audience d’extradition, Me Bayne a plaidé que son client se trouvait en Espagne au moment de l’attentat, le 3 octobre 1980. Cette défense était « basée sur de l’information incorrecte », m’a écrit l’avocat cette semaine.

Apparemment, Hassan Diab a changé sa version des faits quelque part entre le Canada et la France.

Il y a encore plus troublant.

Les renseignements français sont d’avis que les auteurs de l’attentat de la rue Copernic ont transité par l’Espagne entre Beyrouth et Paris. À l’époque, les terroristes utilisaient souvent de vrais passeports pour sortir du Proche-Orient, puis de faux documents pour circuler en Europe. La stratégie visait à brouiller les pistes.

Au juge d’instruction français, Hassan Diab a déclaré avoir perdu son passeport le 12 septembre 1980, soit six jours avant que ledit passeport ne soit tamponné en Espagne. Une sacoche se serait détachée de sa moto alors qu’il circulait sur une route libanaise.

Selon cette version des faits, un inconnu aurait donc trouvé le passeport d’Hassan Diab et se serait précipité pour se procurer un visa espagnol, sans prendre la peine de changer le nom, ni même la photo figurant sur le passeport. Le 18 septembre, cet inconnu se serait envolé pour Madrid. Il serait rentré à Beyrouth le 7 octobre, soit quatre jours après l’attentat.

Avouez que c’est plutôt rocambolesque.

Le passeport d’Hassan Diab, marqué de tampons d’entrée et de sortie d’Espagne, a été saisi un an plus tard, à Rome, en la possession d’un membre influent du FPLP-OS.

En mai 1983, Hassan Diab a demandé un nouveau passeport. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a signalé aux autorités libanaises la perte de l’ancien. Or, il a déclaré l’avoir perdu… en avril 1981.

Six mois après l’attentat de la rue Copernic.

Bien sûr, ces contradictions ne prouvent rien. Pas plus que tout le reste. « Pas de preuve absolue, mais un faisceau d’indices pesant contre un homme qui affirme qu’il n’a rien à voir avec le Hassan Diab terroriste », a résumé dans Le Figaro le journaliste Jean Chichizola, qui a enquêté sur l’affaire.

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Le 3 octobre 1980, quatre personnes ont été tuées en pleine rue à Paris. Beaucoup d’autres vies ont été brisées. Les victimes et leurs proches n’ont pas obtenu justice, 40 ans plus tard. Certaines ont perdu espoir. Certaines sont mortes. D’autres espèrent encore.

On peut sans doute reprocher des choses au système pénal français – système que l’on comprend mal –, mais certainement pas d’avoir ménagé ses efforts pour retrouver les responsables du massacre.

Aujourd’hui, cependant, les espoirs s’amenuisent.

On n’aura probablement jamais le cœur net sur l’identité de celui qui a posé la bombe meurtrière. Hassan Diab, le prof de socio, se dit victime d’une « regrettable homonymie », son nom de famille étant très commun au Liban. Tout cela, selon lui, n’est qu’un affreux malentendu.

Mais alors, qui est l’autre Hassan Diab, le terroriste ?