« Maman Dion n’est plus. » C’est ainsi que les médias ont fait l’annonce, vendredi après-midi, du décès de la mère de la plus célèbre chanteuse québécoise. Pauvre Thérèse Dion, me suis-je dit. Elle aura été toute sa vie uniquement reconnue pour son rôle de mère.

Car si ce bouillant personnage, cette femme d’affaires éclairée, cette frondeuse qui a guidé les premiers pas de sa benjamine surdouée a tout fait pour se tailler une vie bien à elle, elle fut durant toute son existence une sorte de maman universelle pour le Québec.

Avant elle, il y avait eu Maman Plouffe, puis Maman Simard et Maman Taillefer. Toutes des femmes attachées aux bons sentiments autant qu’à leur tablier. On l’a souvent répété, le Québec est une société où le matriarcat occupe une place prépondérante. Nous en avons la preuve avec cette recherche absolue de figures maternelles stéréotypées, mais ô combien réconfortantes.

Thérèse Tanguay Dion s’est fort bien acquittée de ce rôle. Elle représentait un symbole maternel apaisant, rassurant. Un symbole d’un autre temps. Qui accepterait aujourd’hui qu’on l’affuble du titre de Maman quelque chose ? Maman Blanchette ? Maman Petrowski ? Maman Bombardier ? Essayez-vous une minute et vous allez recevoir un rouleau à pâte par la tête !

Jeune adolescente, la Gaspésienne qu’était Thérèse Tanguay a suivi sa famille jusqu’à La Tuque. Pour ses parents, elle a mis de côté ses études, quittant l’école après la quatrième année. Une fille, c’est plus utile dans une grande maisonnée, pensait-on à l’époque. Violoneuse à ses heures, elle a rencontré Adhémar, un joueur d’accordéon. Après avoir accordé leurs instruments, les deux tourtereaux se sont mariés à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Adhémar n’avait pas connu une vie familiale heureuse. Il ne voulait pas d’enfants. Thérèse lui en a fait quatorze. Mais surtout, elle lui a fait découvrir l’incomparable joie d’avoir un enfant qui gazouille sur ses genoux.

Thérèse ne s’en est jamais cachée : l’arrivée de sa petite dernière n’était pas voulue ni souhaitée. Mais cette enfant s’imposera en changeant littéralement la vie de sa mère. Ce n’était qu’un rêve, la première chanson de Céline, a été écrite par Thérèse, une femme qui, je le répète, avait sans doute du mal à accorder ses participes passés lorsqu’elle rédigeait des lettres.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Céline et Thérèse Dion en 1983

Maman Dion est devenue star malgré elle. L’immense notoriété de Céline a fini par rejaillir sur elle. Après avoir consacré un pan entier de sa vie à élever sa marmaille, elle a profité de la gloire qui s’abattait sur elle. Faiseuse de petits pâtés, animatrice d’émissions de télé, auteure de livres de recettes, une nouvelle star était née.

Maman Thérèse a quitté sa cuisine de Charlemagne et Maman Dion est entrée dans celles de milliers de Québécois. Avec sa bonhomie et son bagout légendaires, elle a séduit tout le monde.

J’aimais son assurance, son côté pratico-pratique, son gros bon sens et sa façon de bardasser Éric Salvail. « J’ai été élevée avec des chandelles et des fanaux à gaz, on va trouver une solution », dit-elle avec aplomb à son coanimateur lors d’une panne d’électricité (simulée) au cours d’une émission. Salvail lui demande ensuite comment on chauffait les maisons dans les années 40. « Y est-tu bon, lui ! Les poêles à bois, ça chauffait jour et nuitte. »

Alors que la carrière de sa fille, devenue star internationale, était réglée au quart de tour et bénéficiait de mille et un feux d’artifice, celle de Thérèse n’était liée qu’à un seul ingrédient : l’authenticité. Elle rejoignait les gens avec son franc-parler. En entrevue, elle ne cherchait pas à impressionner la galerie. Elle butait sur les mots, elle cherchait ses idées. C’est pour cela que le public l’aimait.

Thérèse Dion représentait un certain Québec, celui qui, hier encore, était terriblement pauvre, n’avait pas d’instruction et devait trimer dur pour joindre les deux bouts. Ce Québec n’a mis que deux ou trois générations à devenir un grand monsieur. Il est passé à autre chose et a glissé sous le tapis ce passé difficile et honteux.

Thérèse Dion n’a jamais oublié la misère et les moments difficiles. Elle en parlait souvent. Mais cette femme résiliente n’avait pas beaucoup de temps à consacrer aux mauvais souvenirs. Vous me direz que lorsque vous élevez 14 enfants, vous n’avez pas le temps de faire grand-chose.

Pour elle, le bonheur était une chose à consommer sur place et sur-le-champ. Saisir l’instant présent, tel fut le secret de Thérèse Dion. 

Elle aimait les moments de joie mais ne craignait pas les autres plus sombres. J’avais été touché de l’entendre raconter que 20 minutes avant que son Adhémar ne meure, elle lui avait dit qu’il avait le droit de partir. « C’est comme cela que je veux aussi mourir », avait-elle confié à Michel Jasmin.

Je n’ai jamais rencontré Thérèse Dion. Je l’ai croisée une fois à la première d’un film. Elle était là parmi les plus grandes vedettes québécoises. Des gens du public venaient la voir pour se faire photographier en sa compagnie. Je me souviens de m’être demandé si on venait la voir elle, ou si on venait voir celle qui avait engendré Céline Dion.

Mère de 14 enfants, Thérèse Dion était la grand-mère de 32 petits-enfants. Elle était aussi arrière-grand-mère 48 fois et arrière-arrière-grand-mère 6 fois. Quand, de ton vivant, tu as du mal à faire l’inventaire de ta descendance, je pense que tu peux être fière de toi.

Mais malgré tous ces exploits, je persiste à croire que l’histoire de Thérèse Dion n’est pas plus extraordinaire que bien d’autres. On connaît la sienne parce qu’elle était la maman superstar d’une mégastar. Mais des histoires comme celle-là, il en existe des milliers au Québec.

C’est à cela que le départ de Thérèse Dion nous ramène. C’est cela qui nous remue et nous émeut.

Thérèse Dion incarnait un Québec qui n’existe plus. Le départ de cette femme nous rappelle que ce Québec n’est pas loin. Et qu’on ne doit jamais l’effacer de notre mémoire.