Trente policiers retirés de la patrouille et des enquêtes pendant cinq semaines pour plonger dans des réalités qu’ils connaissent peu ou mal. Privés de leur uniforme et de leur arme de service, ils sont déstabilisés dès le départ. Et ils n’ont encore rien vu. La Presse a eu un accès exclusif à cette expérience totalement inédite.

« La société est malade »

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Les policiers de Longueuil Louis Bérubé et Mathieu Reid dans leur véhicule de patrouille après le stage Immersion.

« Un policier avec un gun, je n’aime pas ça. Tu peux tuer du monde avec si tu es dans une escalade de peur. Sans gun, ça désamorce les crises. »

Invité à s’adresser aux 30 policiers choisis pour participer à un stage de formation totalement inédit, le chanteur Dan Bigras lance cette bombe.

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Dan Bigras a été invité à s’adresser aux 30 policiers participant au stage.

« Seriez-vous prêts à patrouiller sans gun comme en Angleterre ? »

Déjà déstabilisés d’être privés de leur uniforme et de leur arme de service le temps du stage, les policiers se braquent.

« Jamais », répondent-ils de manière quasi unanime, alors qu’ils sont tous réunis dans une salle de formation du Complexe aquatique de Boucherville pour le début du stage.

En huit ans de patrouille, je ne me suis jamais autant tiraillée que cette année. Juste cette année, j’ai trouvé deux fois des guns dans des voitures.

Marie-Pier Laverdière, policière

« La société est malade », insiste la jeune policière.

En Angleterre et au pays de Galles, autour de 10 % des policiers sont autorisés à porter une arme à feu. « Oui, mais là-bas, il y a des caméras partout, réplique un policier plus âgé au chanteur populaire. C’est Big Brother. Je ne pense pas que ce soit mieux. »

Les caméras, elles, ne tuent pas, fait remarquer l’artiste très impliqué auprès des jeunes de la rue depuis 30 ans.

« Et si vous n’en portiez pas pour certaines interventions ? », demande Dan Bigras.

« Il peut s’en passer des choses en 30 secondes si tu n’as pas ton gun puis que ton back-up armé est au coin de la rue », dit le patrouilleur Mathieu Reid, qui a lui-même survécu à une violente agression au couteau.

« La misère, ça rend enragé »

« Je ne suis pas ici pour vous donner des leçons », les rassure le chanteur populaire. Il veut surtout que les policiers retiennent la chose suivante : les jeunes de la rue – « même quand ils vous envoient chier » –, ce sont des humains.

« La misère, ça rend enragé. Tu n’es pas cute quand tu es enragé, poursuit l’artiste. Ne pas les regarder, c’est leur refuser le droit d’exister. Le regard que vous allez porter sur eux est important. Ça peut désamorcer des affaires plates. »

Le discours de Dan Bigras les ébranle. Le lendemain, ils en parlent encore.

Au point où les organisateurs du stage sentent le besoin de les rassurer.

Ne vous inquiétez pas, il n’est pas question qu’on vous enlève votre gun.

Martin Valiquette, lieutenant-détective

Déjà qu’au sein du corps policier, les adeptes d’une police plus répressive qualifient les policiers préventionnistes – l’équivalent des policiers communautaires à Montréal – de « donneux de toutous ».

« On veut des policiers avec un filon de travailleur social. On ne veut pas des travailleurs sociaux avec un filon de policier », ajoute la policière d’expérience Cindy Walford, aussi organisatrice de la formation.

Le stage vient à peine de commencer. Ils n’ont pas fini d’être déstabilisés.

Des crises de toutes sortes

Tout commence un an plus tôt, à l’automne 2018, alors que le chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) Fady Dagher réfléchit à un enjeu qui l’inquiète au plus haut point en se rendant au travail à pied.

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Fabrice Leroy et Gabriela Coman, conseillers en relations et mobilisation des communautés, ont été embauchés par le chef de police Fady Dagher.

Il a le temps de cogiter. La distance qui sépare sa maison du QG du SPAL est de… 24 km. Il fait l’aller-retour deux fois par mois; quand il a des dilemmes à résoudre.

« Si un jeune autiste ou encore un jeune Arabe se fait tirer par un de mes policiers, je l’aurai sur la conscience pour le reste de ma vie, songe-t-il. Je ne peux pas rester à rien faire. »

Le policier de 51 ans, qui a fait toute sa carrière à Montréal, a été choisi pour diriger le SPAL il y a trois ans. Au sein de l’état-major du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), il a piloté des dossiers chauds comme la gestion du dossier de la santé mentale lors des interventions policières, la lutte contre la radicalisation et le profilage racial.

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Fady Dagher, chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil

Cela fait 15 ans que je cherche à diminuer les préjugés des policiers envers les populations vulnérables, mais aussi les préjugés des populations vulnérables envers la police. J’ai essayé les formations magistrales, ça ne marche pas

Fady Dagher, chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil

Ses patrouilleurs se plaignent de manquer de temps pour répondre à des appels de plus en plus complexes. Et surtout, de ne pas être outillés pour y faire face.

Le chef Dagher leur donne raison. Les chiffres ne mentent pas.

En 2018, 70 % des appels qui ont nécessité le déplacement d’un patrouilleur du SPAL n’étaient pas de nature criminelle. Il y a bien sûr des fausses alarmes et des accidents de la route, mais aussi beaucoup, beaucoup d’appels liés à la santé mentale et à la détresse.

Depuis trois ans, le corps policier a vu une augmentation de 20 % de ce type d’appels. Des appels qui prennent en moyenne 2 h 10 min à régler.

Les crises sont de toutes sortes. Un enfant autiste en fugue de son école spécialisée vient de se lancer au milieu de la circulation.

Une femme transgenre hurle et se déshabille devant le refuge pour sans-abri qui vient de l’expulser par manque de place.

Une femme « armée » d’une bonbonne Lysol refuse de quitter le CLSC sans avoir vu sa travailleuse sociale.

En d’autres termes, les patrouilleurs consacrent seulement 30 % de leur temps à la répression, alors que l’essentiel de leur formation est basé là-dessus.

Manque de diversité

Autre souci du chef de police : ses agents ne représentent pas la diversité de la population de l’agglomération de Longueuil, dont le tiers est désormais issu de l’immigration.

Dans la plus grosse commission scolaire du territoire (Marie-Victorin), cette proportion est encore plus grande, soit un enfant sur deux.

Or, seulement 22 policiers sont issus d’une minorité visible et 18 d’une minorité ethnique sur… 633.

D’ailleurs, un rapport sur les « biais systémiques liés à l’appartenance raciale » des policiers de Montréal viendra confirmer ses inquiétudes quelques mois plus tard.

Les Noirs courent quatre fois plus de risques d’être interpellés par la police, et cette surreprésentation ne s’explique pas par leur poids dans la criminalité ou les incivilités, révèle ce rapport réalisé par des chercheurs indépendants mandatés par la Ville de Montréal. Les jeunes Arabes âgés de 15 à 24 ans ont quant à eux quatre fois plus de risques que les jeunes Blancs d’être interpellés.

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Un policier fait une démonstration d’une nouvelle arme acquise par le Service de police de l’agglomération de Longueuil.

Le chef Dagher ne voit pas pourquoi la situation serait différente à Longueuil puisque les policiers suivent tous la même formation.

C’est à tout ça que pense le chef de police dans sa longue marche vers le QG du SPAL à l’automne 2018.

Expérience unique

« J’ai une idée », texte le chef Dagher à son inspecteur responsable des communications et des relations avec les communautés Simon Crépeau.

Une formation atypique, ancrée dans l’action.

Des agents sortis de la patrouille assez longtemps pour « vivre » les réalités qu’ils connaissent peu ou mal.

Au programme : immersion dans le quotidien de femmes voilées, de gens brisés par des problèmes de santé mentale et de familles avec un enfant autiste.

L’uniforme et l’arme sont des barrières pour entrer en contact avec le citoyen. Ils devront travailler en civil toute la durée de la formation.

C’est la vision du chef. Il doit maintenant vendre son idée aux élus, à son état-major, au syndicat des policiers et aux groupes communautaires.

Une expérience immersive d’une telle ampleur n’a jamais été tentée nulle part.

Bref, c’est loin d’être gagné.

« Je ne peux pas rater mon coup »

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Fady Dagher, chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil (à l’avant-plan), et Martin Valiquette, lieutenant-détective

11 septembre 2019. Nous sommes un an après la marche où l’idée est née. La formation – baptisée Immersion – débute trois semaines plus tard.

Le chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), Fady Dagher, a réuni une douzaine de conseillers – criminologues, médiateurs culturels, travailleurs de rue et même un professeur de management – au quartier général de la police.

« Je ne peux pas rater mon coup. Les policiers n’ont pas de besoin d’exotisme, de folklore. Je veux un rapprochement réel », leur dit-il.

Son homme de confiance pour mener à bien le projet – le lieutenant-détective Martin Valiquette – raconte que la veille, lors de la présentation du projet à un groupe de policiers, la réaction a été mitigée.

« Tu ne me feras pas asseoir avec une femme voilée », lui a lancé l’un d’eux.

Ils ont très peur qu’on leur fasse faire des choses qui vont à l’encontre de leurs valeurs.

Gabriela Coman, une jeune sociologue-anthropologue embauchée par le chef Dagher pour le conseiller

Dire que son profil contraste avec celui des policiers est un euphémisme. Dans son bureau qu’elle partage avec deux autres employés civils au QG de la police, sa bibliothèque regorge de titres sur le profilage racial et la répression policière.

« On souhaite leur faire vivre assez rapidement une expérience déstabilisatrice, productrice de chocs culturels », souligne-t-elle. Les mots « déstabiliser » et « secouer » reviendront souvent dans la bouche des responsables du stage.

Un rapport, des munitions

« Une police peu impliquée, peu en lien avec la communauté ». « Des patrouilleurs qui ne sortent jamais de leur voiture »; qui ont une « attitude hautaine, condescendante, intimidante » et qui, parfois, « manquent carrément de discernement et abusent de leurs pouvoirs », alors que les « policiers communautaires », eux, ont une « attitude impeccable ».

Ces conclusions d’un rapport indépendant réalisé au printemps précédent par l’Institut du Nouveau Monde à la demande du SPAL ont donné des munitions au chef pour réaliser son projet.

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Le lieutenant-détective Martin Valiquette supervise un exercice de communication.

« On se fait dire que nos policiers sont bêtes avec leurs lunettes fumées, leurs tatouages et leur shape de CrossFit, ajoute le lieutenant Valiquette. Nos organismes communautaires, eux, nous disent carrément qu’ils ne les connaissent pas, même s’ils patrouillent dans leur secteur depuis des années. »

Pourtant, précise l’enseignante en techniques policières au collège de Maisonneuve Nina Admo, « depuis une dizaine d’années, nos étudiants sont formés à s’interroger sur soi. Mais quand ils arrivent sur le terrain, ils ne s’interrogent plus ».

« Les formations au cégep et à l’École de police à Nicolet sont très bien, acquiesce le chef Dagher. La cassure se produit lorsqu’ils arrivent au service de police. »

Lorsqu’ils arrivent sur la patrouille, les jeunes se font dire : mets de côté ce que tu as appris à l’école, je vais te montrer c’est quoi de la vraie police.

Martin Valiquette, lieutenant-détective

Le chef affirme que le projet Immersion n’est qu’une étape vers un changement profond de son corps policier. « Si on continue à miser uniquement sur la répression, on fonce dans un mur », lâche-t-il.

Dans une prochaine étape, dès le recrutement, le chef compte choisir ses policiers en fonction de leur intelligence émotionnelle. En plus de leurs habiletés techniques développées au cégep et à Nicolet, ont-ils un certificat en dépendance ? Ont-ils fait du bénévolat à la Maison du Père ?

Appui et résistance

Le chef a gagné l’appui – et le soutien financier indispensable au projet – des élus de l’agglomération. « Toutes les villes devraient adopter cette vision du service de police : de passer d’un service géographique à un service humain », dira d’ailleurs la mairesse de Longueuil, Sylvie Parent, aux 30 premiers policiers à avoir complété Immersion lors d’une cérémonie soulignant la fin du stage.

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Les 30 policiers en stage de formation participent à des simulations pour mieux intervenir après des appels liés à la santé mentale.

Mais au départ, le chef a rencontré beaucoup de résistance. Plusieurs lui ont dit qu’il n’aurait pas de volontaires. Un sergent a même ridiculisé l’exercice sur les réseaux sociaux en faisant un montage d’images insinuant que les policières allaient revenir du stage voilées ou encore affaiblies, publiant des photos de femmes en pleurs et de chatons.

Des policiers intéressés à poser leur candidature ont eu de la pression de certains de leurs pairs pour ne pas postuler. D’autres auraient préféré que le budget consacré à Immersion aille plutôt à améliorer leur système informatique jugé problématique.

Finalement, 104 policiers se sont portés volontaires. Une première bonne nouvelle pour le chef : « Il y a un proverbe libanais qui dit : “Arrête d’écouter les chiens qui aboient et continue d’avancer.” »

Les cicatrices invisibles

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Une agression a valu au policier Mathieu Reid une profonde coupure au bras et un choc post-traumatique.

Mathieu Reid a une longue cicatrice sur le bras. Elle est dissimulée en partie par un tatouage.

Mais aucun tatouage ne peut masquer la blessure psychologique causée par l’agression dont le patrouilleur de Longueuil a été victime.

« Au début, quand j’en parlais, j’avais le souffle court; des sueurs comme après un gros entraînement au gym », décrit l’agent, qui a 12 ans d’expérience.

Le patrouilleur voulait sauver une mère de famille menacée par son fils en état de psychose. Sauf que l’homme intoxiqué attendait la police de pied ferme avec un couteau dans chaque main.

Dès que Mathieu a défoncé la porte du logement pour porter secours à la maman qui avait composé le 9-1-1, le fils a foncé vers lui.

À l’aide de sa matraque, le policier a eu le temps de faire tomber l’un des couteaux. Sauf qu’il restait un couteau dans l’autre main.

L’agression lui a valu une profonde coupure et un choc post-traumatique.

Fils de policier, Mathieu est rentré dans la police pour protéger la société.

Je le savais que ça allait être exigeant, mais pas à ce point-là, dit le colosse. On voit des affaires que monsieur et madame Tout-le-Monde ne s’imaginent pas. Mon père, quand il rentrait du travail, il ne parlait pas de ce qu’il vivait.

Mathieu Reid, patrouilleur du Service de police de l’agglomération de Longueuil

Aux premières loges des drames

Les policiers volontaires dans le projet Immersion ont tous été témoins de scènes troublantes, voire dramatiques.

Des histoires qui vont jusqu’à ébranler – parfois – leur conception de l’humanité.

Ils ont tous – sans exception – de petites et grosses cicatrices invisibles.

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La policière Julie Boulet distribue des denrées alimentaires à la Maison internationale de la Rive-Sud.

Julie Boulet est débarquée chez un père qui s’était pendu au milieu de sa cuisine pendant que sa fille de 7 ans dormait à l’étage. Le père et sa fille vivaient seuls, si bien que c’est l’enfant qui le trouva en allant déjeuner le lendemain matin. Julie a décroché le corps puis consolé l’enfant durant plus d’une heure, le temps que la DPJ arrive.

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Le policier Martin Vézina participe à un stage de formation dans une famille composée d’enfants autistes.

Martin Vézina, lui, s’est lancé à la poursuite d’une femme suicidaire qui courait sur l’autoroute 10 en direction du pont Champlain. Il s’est fait frôler par les voitures en tentant de la rattraper. Il a réussi à lui éviter le pire mais il en a été quitte, lui aussi, pour un choc post-traumatique.

En répondant à un appel pour un enfant en détresse, un autre patrouilleur, lui, a interrompu un rapport sexuel entre un enfant de 9 ans et sa mère déficiente intellectuelle. Cette dernière lui avait attaché un godemiché à la taille pour assouvir ses pulsions.

Marie-Ève Cloutier et Annabel Roy-Demers, elles, se sont fait tirer dessus par un homme qui venait d’attaquer une prostituée.

Marie-Ève a reçu une balle dans la jambe alors qu’Annabel, elle, a répliqué pour sauver sa vie et celle de sa partenaire.

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Les policières Annabel Roy-Demers et Marie-Ève Cloutier

Tout de suite après la fusillade, Annabel a été séparée de sa collègue et placée à l’arrière d’un véhicule de police. Elle s’est sentie traitée comme une criminelle alors qu’elle avait juste fait son travail. Elle aussi a subi un choc post-traumatique.

« Après six mois de police, on cesse de compter le nombre de pendus qu’on a décrochés », raconte le patrouilleur d’expérience Louis Bérubé.

Condensé de détresse humaine

Les patrouilleurs se retrouvent jour après jour sur la ligne de front de la santé mentale, témoins des failles du système.

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Le policier Mathieu Reid (au centre) participe aux recherches d’un suspect de vol qualifié à Brossard.

Ils interviennent plusieurs fois par semaine, voire par jour, auprès de patients aux prises avec des problèmes de santé mentale que les hôpitaux refusent de garder. Ou encore de patients libérés tellement vite qu’ils sont déjà de retour dans la rue avant même que le policier ait complété son rapport d’intervention.

Mais lorsque ces mêmes policiers sont au bout du rouleau, ils sentent que personne n’est là pour les soutenir.

Mathieu a été référé à un coach de vie par le programme d’aide aux employés. L’intervenant ne comprenait rien à la réalité policière. Mathieu a fini par dénicher un psychologue qualifié en faisant ses propres recherches et l’a payé de sa poche.

L’homme en psychose qui l’a attaqué s’en est tiré avec des travaux communautaires et une probation en raison de ses problèmes de consommation et son « enfance difficile ».

Son enfance difficile ne change rien au fait qu’il a voulu me tuer.

Mathieu Reid

À force de se faire frapper en pleine face, jour après jour, par un condensé de détresse humaine, certains développent une « fatigue de compassion ».

« On est formés pour intervenir auprès des pas fins, mais on est surtout confrontés à de la misère humaine, décrit la policière au Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) depuis 34 ans, Cindy Walford. Ça tire du jus. Chez les policiers, il y a des mécanismes de défense qui s’installent, et ce ne sont pas toujours les meilleurs. »

Sentiment d’impuissance

Certains se coupent de leurs émotions lors de leurs interventions. Ils deviennent froids, agressifs. D’autres choisissent carrément un médecin toxique du nom de Jack Daniel’s, illustre-t-elle.

Épuisés, les patrouilleurs craignent d’intervenir dans les « zones grises », de peur d’être « battés » dans les médias ou en déontologie policière, poursuit la policière Walford.

Ils n’ont aucun problème à intervenir avec les outils qu’ils maîtrisent – le Code criminel et la loi P-38 qui s’applique lorsque l’état mental de la personne présente un danger grave et imminent pour elle-même ou pour autrui –, mais pour le reste, ils se sentent souvent impuissants.

Dans les semaines suivantes, les patrouilleurs apprendront donc à mieux naviguer à travers « 50 nuances de gris ».