Depuis son accident survenu il y a un an et demi, Mateo Corrales inspire tous ceux qui le côtoient. Oubliez les clichés sur la paresse et l’ingratitude des ados.

« Je suis conscient que mon corps est en train de brûler. »

Mateo Corrales n’a rien oublié du 26 août 2018. Chaque seconde de cette soirée d’horreur est gravée dans sa mémoire.

Ce soir-là, l’ado de 15 ans et sept de ses amis se donnent rendez-vous sur le site d’une usine désaffectée de Candiac.

Mateo n’a jamais grimpé sur le toit. La vue sur le Saint-Laurent est magnifique, paraît-il. La gang décide d’y aller.

Alors que Mateo et plusieurs sont déjà en haut, un des jeunes resté en bas les avertit que « quelqu’un s’en vient » par téléphone. La panique s’empare du groupe. Un agent de sécurité ? La police ? Les ados se dispersent en courant.

C’est à cet instant que la vie de Mateo bascule.

Une décharge de 25 000 volts

Plutôt que de descendre par l’échelle par laquelle il est monté, il suit d’autres jeunes qui fuient vers le côté de l’usine. Il fait noir. Le site n’est pas éclairé. Mateo ne voit pas la zone de haute tension. Quand Mateo descend à son tour, il subit une décharge électrique de 25 000 volts. La violence de la décharge le propulse à l’intérieur du périmètre de haute tension. Il chute d’environ 18 pieds.

Son corps prend feu sous les yeux de ses amis. L’un d’eux compose le 911. Défiant l’ordre du répartiteur d’attendre les secours, ce même jeune saute du toit pour venir en aide à Mateo.

« Je ne sens plus mes jambes », hurle Mateo. Ses jambes sont en train de flamber.

Cet ami réussit à les éteindre avec son sac à dos.

Il ne reste plus rien de ses vêtements. Ils ont fondu sur son corps.

Je crie ma vie. J’ai tellement mal.

Mateo Corrales

L’heure suivante sera la plus longue de son existence. Quand les secours arrivent, ils doivent interrompre le courant sur le site avant de s’aventurer dans la zone de haute tension.

Tout ce temps-là, Mateo restera conscient.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

À la fin de ses cours au Collège Durocher Saint-Lambert, Mateo s’entraîne pour se libérer des séquelles laissées par son accident.

Une quinzaine de minutes après l’accident, la police rejoint ses parents au téléphone. « Votre fils a eu un accident mais il est conscient », leur dira l’agent.

Les parents accourent sur les lieux. Les familles des huit jeunes sont sur place. Un périmètre de sécurité leur bloque l’accès au côté de l’usine où se trouve leur fils, toujours prisonnier de la zone de haute tension.

C’est là que le papa de Mateo, Gustavo Corrales, voit un ami de son fils, celui qui vient d’éteindre les flammes. Cet ami est sous le choc. « Les cheveux de Mateo ont pogné en feu », réussit-il à dire.

Le papa de Mateo s’éloigne du garçon pour le laisser reprendre ses esprits. Une quinzaine de minutes plus tard, il revient doucement à la charge puisque la police les tient toujours dans l’ignorance. « C’est là qu’il me dit : “ Mateo ne sent plus son corps ” », raconte le père, qui s’imagine alors que son fils est paralysé.

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Mateo Corrales, en août 2017, avant son accident

Mateo a toujours été très sportif. Il joue au soccer dans un calibre compétitif (AA). Il est aussi excellent au futsal. Il vient de remporter le titre d’athlète de l’année à son école secondaire.

C’est à tout cela que ses parents pensent durant la longue attente.

On leur interdit d’accompagner leur fils dans l’ambulance, pour éviter de nuire au travail des ambulanciers.

Des heures critiques

« J’ai été con, maman. Je m’excuse. »

C’est la première chose que Mateo dit à ses parents à leur arrivée au CHU Sainte-Justine.

L’ado est enveloppé d’une couverture à l’aspect métallique qui sert à prévenir l’hypothermie. Il a un masque à oxygène sur le visage. Mais il est vivant.

Ses parents sont soulagés.

Son état vient d’être stabilisé à l’unité de traumatologie. Un peu plus de 50 % de son corps est brûlé. Il s’agit d’un des trois cas les plus graves traités à l’hôpital pédiatrique montréalais depuis 10 ans.

La bonne nouvelle : il n’est pas paralysé.

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Mateo est encore suivi par des spécialistes au Centre montérégien de réadaptation.

L’ado souffre de brûlures électriques – les plus dévastatrices car elles causent des brûlures internes – et de brûlures thermiques. Les médecins soupçonnent qu’il a été exposé à un arc électrique. Cet arc, qui libère des chaleurs de plusieurs milliers de degrés, expliquerait pourquoi ses vêtements ont pris feu aussi rapidement.

Ses parents ont juste le temps de lui dire combien ils l’aiment. L’ado doit subir d’urgence une première opération.

On doit induire un coma artificiel parce qu’on sait que, chez les grands brûlés, passé la première heure suivant l’accident, la pression artérielle va se mettre à chuter de façon dramatique. On doit surveiller leur état aux soins intensifs.

La Dre Isabelle Perreault, du CHU Sainte-Justine

« La douleur induite par les brûlures étendues et les multiples opérations serait insupportable autrement », poursuit la médecin.

Les grands brûlés vont alors perdre leurs liquides corporels parce que leurs vaisseaux sanguins n’ont plus la capacité d’être imperméables.

Mateo court le risque de faire un arrêt cardiaque.

Les 24 à 48 prochaines heures sont critiques.

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Comme l’arc électrique est passé près du cœur, il est aussi à risque de faire des arythmies malignes qui peuvent entraîner la mort.

Son thorax, son cou et le haut de son dos sont grièvement brûlés. Tout comme ses bras et ses jambes.

Neuf opérations en deux mois

Et ce n’est pas tout. Il est aussi à risque de développer le syndrome du compartiment. L’arc électrique a entraîné des lésions musculaires aux bras et aux jambes. Les muscles se mettent alors à enfler. Si les enveloppes musculaires ne sont pas incisées, au fur et à mesure que la pression monte dans les tissus, la circulation artérielle est entravée. Lorsqu’il n’y a plus d’apport sanguin au niveau des bras et des jambes, les membres risquent d’être amputés.

« On a six heures pour décomprimer les muscles (fasciotomies), sinon le patient reste avec des séquelles », indique la Dre Perreault, chirurgienne plasticienne spécialisée dans le traitement des grands brûlés.

La chirurgienne de garde cette nuit-là opère les jambes de l’ado.

Puis quelques heures plus tard, les mains et les bras du jeune patient montrent aussi des signes inquiétants.

Mateo retourne sous le bistouri.

Le jeune patient doit être plongé dans un coma artificiel pour au moins trois semaines, expliquent les médecins aux parents.

Ses premières paroles m’ont hantée parce qu’on ne savait pas, quand il est parti en chirurgie, qu’il passerait les prochaines semaines dans le coma.

Tina Massarelli, mère de Mateo

Au total, l’ado subira neuf opérations en deux mois. La plus longue durera 14 heures.

Chaque fois, la Dre Perreault, enceinte « jusqu’aux oreilles », fera un bilan de l’opération à la famille inquiète. « Même quand elle finissait à 1 h du matin, la Dre Perreault venait nous voir et répondait à toutes nos questions », raconte le papa, Gustavo Corrales.

En plus, la chirurgienne plasticienne opérait « dans un sauna ». Comme les grands brûlés tombent rapidement en hypothermie car leur peau n’est plus là pour les protéger, la température de la salle d’opération doit être très, très élevée.

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Avec sa détermination hors du commun et l’aide des spécialistes, Mateo a pu reprendre tranquillement le soccer.

Malgré cette chaleur accablante, la Dre Perreault a dû interrompre l’intervention à plusieurs reprises car Mateo se « refroidissait trop ». D’où les neuf opérations.

Lors de ces interventions, la chirurgienne a débridé les tissus brûlés et posé une peau temporaire, ce qu’on appelle une allogreffe. « Cette peau temporaire protège le grand brûlé contre les infections, et ça nous permet de vérifier si le débridement est complet. En d’autres mots, si on a totalement enlevé les tissus brûlés », explique la Dre Perreault. 

Une fois cette étape franchie, Mateo subira d’autres opérations durant lesquelles on prélèvera de la peau sur une surface non brûlée pour couvrir les zones brûlées. Prélever une zone donneuse, c’est comme causer une brûlure au deuxième degré supplémentaire, décrit la chirurgienne plasticienne.

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Au réveil, Mateo est attaché à son lit pour favoriser la guérison des greffes. Il a une trachéotomie qui l’empêche de communiquer.

« Mateo est un garçon brillant. Il a réalisé ce qui lui était arrivé juste en regardant l’étendue de ses pansements », se souvient la Dre Perreault.

Son parcours de combattant ne fait que commencer.

Un exemple de détermination

« Oh, my God, je vais pleurer. »

La physiothérapeute Lucie Farmer n’en revient pas de ce que Mateo vient de réaliser.

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Mateo Corrales et sa physiothérapeute, Lucie Farmer, au CHU Sainte-Justine

Au lendemain de son réveil du coma, branché de partout, l’ado réussit déjà à s’asseoir dans son lit et à se lever – avec de l’aide – pour se rendre jusqu’à son fauteuil.

Intubé, il communique avec ses yeux.

La veille, ça avait pris un « lift » pour le soulever.

« Mateo est comme moi, il aime les défis », décrit la physiothérapeute qui a suivi l’ado – et qui le suit encore – depuis le premier jour de son hospitalisation.

« Il a relevé chacun des défis que je lui ai donnés, ajoute-t-elle avec de l’admiration dans la voix. Il n’a jamais craqué, même s’il aurait eu plusieurs raisons de se décourager en cours de route. »

Mateo est très courageux, résilient, tellement déterminé. Il est à l’image de sa famille; une famille exceptionnelle.

La Dre Isabelle Perreault, chirurgienne de Mateo

Ses parents seront à ses côtés jour et nuit durant les quatre mois d’hospitalisation. Ils vivront avec lui ses épisodes de fièvre, ses signes vitaux en montagnes russes, des changements de pansement douloureux et deux codes bleus durant lesquels ils ont craint le pire.

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En octobre 2019, Mateo Corrales et sa famille : sa mère, Tina Massarelli, son frère, Lucas Corrales, sa sœur, Mia Corrales, et son père, Gustavo Corrales

La veille de sa neuvième et dernière opération, l’athlète fait un mini-jogging aux soins intensifs. Sa réadaptation va bon train.

C’est là que la chirurgienne lui annonce la mauvaise nouvelle : il sera replongé dans le coma pour cinq jours, le temps de laisser la dernière greffe « prendre ».

« Ça l’a quasiment achevé, se souvient sa maman. Tant de progrès, puis là, on lui dit qu’il va régresser. »

Une fois sorti des soins intensifs, hospitalisé à l’étage des grands brûlés, Mateo doit réapprendre à tout faire : se brosser les dents, tenir un verre, marcher, courir.

Chaque jour, en guise de rituel, sa physiothérapeute fait jouer la chanson Goodbye de Russ. « Encore aujourd’hui, quand j’entends cette chanson, j’ai les larmes aux yeux. Je pense à Mateo », raconte sa physio.

Retour à la maison, puis à l’école

Après quatre mois à l’hôpital, l’ado rentre à la maison. Mais son combat est loin d’être terminé. Plusieurs brûlures, dont celles derrière la tête, ne guérissent pas.

Ainsi, tous les matins de la semaine, pendant les quatre mois suivants, ses parents et lui quittent le domicile familial de Candiac aux aurores. Destination : l’hôpital du Sacré-Cœur, à Montréal, où il reçoit un traitement dans une chambre hyperbare pour accélérer la guérison des plaies.

Après son traitement à Sacré-Cœur, l’ado se rend à Sainte-Justine ou dans un centre de réadaptation externe pour des séances de physiothérapie ou encore des changements de pansements.

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La physiothérapeute Lucie Farmer a été une personne-clé dans la réadaptation de Mateo.

Durant ces quatre longs mois, ses parents, sa tante et son grand frère se relaient pour le conduire à ses rendez-vous quotidiens. L’ado rentre rarement chez lui avant 18 h. Exténué.

De plus, trois fois par semaine, Mateo rattrape son retard scolaire avec des enseignants qui viennent lui faire l’école à la maison.

« Mon but, c’était de retrouver mes amis en cinquième secondaire en septembre », raconte l’ado.

Et il remporte son pari. L’ado réussit sa quatrième secondaire et rejoint ses copains en septembre au Collège Durocher Saint-Lambert.

À son retour à l’école, les parents craignent que Mateo puisse être blessé par le regard des autres.

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Une fois qu’il a été hors de danger, j’ai eu peur qu’il ait de la difficulté à faire son deuil de son corps d’athlète. Mais il m’a surpris par la vitesse à laquelle il a accepté sa nouvelle apparence.

Gustavo Corrales, père de Mateo

Maintenant qu’il va mieux, Mateo veut redonner à l’hôpital qui l’a soigné. Il compte s’impliquer dans le Défi-Jeunesse Sainte-Justine des écoles privées auquel son école – le Collège Durocher – participe depuis plusieurs années. Lors de sa longue hospitalisation, il a bénéficié d’équipements hautement spécialisés achetés grâce à ce défi sportif et caritatif.

Sa physiothérapeute ne tarit pas d’éloges envers Mateo et sa famille. « Si tu n’as pas une famille forte, je ne pense pas que tu peux passer au travers d’une épreuve comme celle-là », décrit celle qui a une trentaine d’années d’expérience à traiter des grands brûlés.

Cette admiration est mutuelle. Mateo, qui se destinait à l’administration avant son accident, veut maintenant devenir physiothérapeute.

« Quand il m’a dit ça, j’avais les larmes aux yeux, lance Mme Farmer. Je me suis dit : “ Oh, my God, il va devenir le meilleur physiothérapeute. Il part de tellement loin. ” »

> Voyez une vidéo réalisée par Mateo sur sa réadaptation