Les années 2010 ont marqué une libération de la parole sur les agressions sexuelles avec les mouvements #agressionsnondénoncées puis #metoo.

Plus d’intouchables

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Harvey Weinstein

Le mouvement #agressionsnondénoncées, en 2014, avait comme objectif de libérer la parole des victimes d’agression sexuelle. Trois ans plus tard, le tsunami #metoo a suivi, secouant complètement l’Amérique du Nord. Le changement de paradigme à Hollywood s’est d’abord opéré avec « l’affaire Weinstein », où beaucoup de femmes ont dénoncé publiquement les comportements de harcèlement et d’agression sexuelle du producteur influent Harvey Weinstein, dont le procès est en cours. Dans la foulée de ce scandale, d’autres personnalités du milieu des arts ont été accusées et ont perdu des contrats, dont l’acteur Kevin Spacey et le réalisateur Brett Ratner. Au Québec, des vedettes ont aussi été dénoncées comme Gilbert Rozon et Éric Salvail. Cette prise de parole a été sentie dans tous les milieux de vie, du sport à la politique. La nomination du juge Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis par Donald Trump a aussi fait les manchettes, puisqu’il a été visé par des accusations d’abus sexuels par quelques femmes. Dans ce cas comme dans bien d’autres, les dénonciations ont peut-être entaché sa réputation, mais n’ont pas mis un terme à sa carrière professionnelle. Nous pouvons notamment penser à Woody Allen, Roman Polanski et Louis C.K.

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Le juge Brett Kavanaugh en compagnie du président Trump

L’origine de #metoo

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Tarana Burke

Contrairement à ce qu’on peut croire, la campagne #metoo n’est pas née en 2017, dans la foulée des allégations contre le producteur Harvey Weinstein. Le mouvement a été lancé en 2007 par Tarana Burke, une travailleuse sociale et militante de New York qui voulait créer une communauté de soutien aux victimes d’agressions sexuelles. Reste que c’est le 15 octobre 2017 que le mot-clic est devenu viral. Uniquement sur Facebook, le réseau social a enregistré plus de 12 millions de messages, commentaires et réactions en 24 heures. Et pourquoi ? Parce que l’actrice Alyssa Milano a suggéré sur Twitter à « toutes les femmes qui ont été agressées ou harcelées sexuellement d’écrire Me Too ».

Les changements

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Les impacts des mouvements #agressionsnondénoncées et #metoo sont nombreux et importants, notamment au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui a enregistré une hausse marquée des plaintes pour agressions sexuelles. En 2014, il y en a eu 1110. Ce chiffre a bondi à 1879 en 2018. Les gouvernements aussi ont réagi à cette prise de parole. À Québec, deux mois après « l’affaire Weinstein », les élus ont adopté la loi 151 « visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements supérieurs ». Chaque institution a dû adopter des règles précises pour offrir un environnement plus sécuritaire, entre autres lors des activités d’accueil des étudiants. Au printemps dernier, ce même gouvernement a formé un comité d’experts pour étudier les questions d’agressions sexuelles et de violence conjugale. Son rapport est attendu en 2020. En décembre, 2,6 millions ont été débloqués pour offrir des conseils juridiques gratuits aux victimes d’agressions sexuelles. Dans le milieu des arts, toujours en réponse au mouvement #moiaussi, l’Aparté a été créé pour offrir une assistance et du soutien aux personnes qui ont été victimes ou témoins de harcèlement ou de violence.

Le grand réveil

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Pascale Navarro, auteure et journaliste

Le mouvement #metoo (et avant lui l’affaire Gomeshi) a sonné le grand réveil. « Des actrices, des journalistes, des gens en vue ont dénoncé et ils ont rappelé à chacun que les agresseurs ne sont pas que des monstres dans des ruelles, mais que ce sont souvent des membres de la famille, des collègues », fait observer Pascale Navarro, auteure et journaliste. Oui, bon nombre d’hommes ont été assommés d’entendre ce flot de révélations. Autant de femmes auraient été agressées ou s’en seraient tirées de peu ? Vraiment ? « “ Mais pourquoi n’en as-tu pas parlé avant ? ”, ont-ils demandé autour d’eux », poursuit Mme Navarro. Parce que ce sont des choses difficiles à dire et encore plus quand nous sommes seules à le faire, signale-t-elle. Et aussi, parce que pendant trop longtemps, « dénoncer signifiait presque automatiquement perdre son métier, sa place ». Quand la députée Christine Labrie s’est levée à l’Assemblée nationale en novembre pour lire un florilège de courriels reçus par elle et ses consœurs de Québec solidaire – « ostie de plotte sale criminelle et corrompue », « allez vous rhabiller ou suicidez-vous » –, « des commentateurs à la télévision ont encore été sidérés », fait observer Mme Navarro. Tout est loin d’être réglé, mais elle estime que des progrès considérables ont été faits.

Les retombées judiciaires

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Me Sylvie Lemieux, procureure de la Couronne

Dans la foulée de #metoo, un groupe de travail a été mis en place réunissant notamment le Barreau, la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal. Un dossier du Globe and Mail, qui démontrait que le taux de plaintes pour agressions sexuelles jugées non fondées par la police était extrêmement variable d’un bout à l’autre du Canada (avec des sommets de plaintes jugées non fondées à Iqaluit et à Yellowknife), a aussi apporté beaucoup d’eau au moulin. Dans la foulée de #metoo, le SPVM a mis une douzaine d’enquêteurs supplémentaires aux dossiers d’agressions sexuelles. Mais d’un point de vue judiciaire, étant donné que le Code criminel est resté le même, tout comme les définitions d’agressions sexuelles et de notion de consentement, il n’y a pas eu révolution. Au quotidien, Me Sylvie Lemieux, procureure de la Couronne, relève que sa tâche est donc restée la même, d’autant que pour condamner quelqu’un, il faut toujours une preuve hors de tout doute. Elle signale par contre que le mouvement #metoo a mis en lumière le fait « que la population demeure mal informée sur ce que constitue une agression sexuelle au sens du Code criminel » et qu’en ce sens, un travail d’éducation reste à faire.