Elles peuvent être à la fois tendres et exaspérantes, sages et colorées, tordues et banales. Mais elles se transmettent aussi de génération en génération, portées par des descendants à la mémoire de leurs aïeux. À la suite d’un appel à tous, de nombreux lecteurs nous ont fait part de leurs expressions favorites entendues de leurs parents et qui résonnent encore à leurs oreilles. Aujourd’hui, des paroles truculentes qui font rigoler (ou rager) leurs enfants.

Il n’y a rien de plus inoubliable, pour un enfant, que d’entendre quelque chose qui n’aurait pas dû être entendu. Surtout, semble-t-il, quand il s’agit d’un vocabulaire imagé, rustre, voire proscrit en public…

Par exemple ? « Donne à manger à un cochon et il viendra chier sur ton perron. »

« Désolée pour le vocabulaire ! », nous écrit Linda St-Michel, en souvenir de son père. Marguerite Greene, elle, a préféré écrire « ch… » au lieu du mot complet. Dans leur message, comme dans ceux des autres lecteurs qui nous ont envoyé cette expression, on pouvait déceler quelque chose comme des gloussements d’enfants encore surpris d’entendre leurs aînés utiliser un vocabulaire qui n’entre certainement pas dans la catégorie des « bonnes manières ».

Un peu comme la maman de cette autre lectrice, Christine, qui répétait de ne pas oublier de mettre le bouchon sur le tube de pâte à dents. « C’est pas comme un trou de c…, ça ne se ferme pas tout seul », disait-elle, sans jamais dire le mot. « En fin de compte, je n’ai jamais entendu la phrase au complet ! », écrit notre lectrice.

Apparemment, la comparaison s’applique aussi à d’autres choses qui gagnent à être fermées, comme le souligne Lucie de Montigny. Mais dans sa famille, point de sous-entendus, et tant pis pour les oreilles fragiles. « Les portes d’armoires, c’est pas comme des trous de cul de poules, ça ne se ferme pas tout seul ! »

Force est donc de constater que tout ce vocabulaire réservé normalement au petit coin trouve sa place dans le répertoire des expressions favorites. Il peut faire rire à travers les larmes, comme le « Pleure, tu pisseras moins ! » évoqué par Michel Ménard. Il sert aussi à balayer le conditionnel et tous ses « si, si, si… » « Si les chiens pissaient des “scies”, y aurait pu de poteaux ! », écrit Esther Paré.

Et même sans le dire, il veut tout dire, comme l’évoquait le grand-père nonagénaire d’Isabelle L’Heureux, au moment d’aller aux toilettes. « Je vais aller voir si je suis toujours un p’tit gars… »

Au travail, les enfants gâtés

« Une famille avec des enfants, ce n’est pas une démocratie », rappelle André Lavoie.

N’empêche que parfois, le chef de famille doit « lâcher du lousse » pour cesser de se faire bâdrer. « Fais à ta tête, c’est à toi les oreilles ! », se sont fait dire plusieurs lecteurs, dont Lorraine Yacovelli et Cathy Trépanier Gauthier. Pas de pitié pour les paresseux. « T’as des organes ? Organise-toi ! », dit Alain Baillargeon. « Je ne t’ai pas fait une tête pour faire une collection de crottes de nez ! », lançait Ginette Bertrand à sa fille, pour l’inciter à réfléchir. Chez Cécile Migneault, l’effort à fournir se mesurait en rimes. « Es-tu vivant ? Sue ! Si t’es mort, pue ! »

« J’ai pas été élevé le trèfle aux genoux », disait pour sa part André, le conjoint de la mère d’Anne Paquette, aux adolescentes un peu trop gâtées. Raynald Vaillancourt non plus, n’a probablement pas vécu dans l’abondance, lui dont la mère disait, lorsqu’il héritait des vêtements de ses frères : « Quand c’est petit, on met ce qu’on peut. Quand c’est trop grand, on met ce qu’on veut. »

« C’est pas ce qu’on mange qui coûte cher, c’est ce qu’on gaspille », entend-on chez Bruno Grondin. Ce à quoi Marie Vignola pourrait ajouter, en parlant de l’avantage de garder un objet qui peut encore servir, que « ça ne mange pas d’pain ». Attention toutefois à ne pas tomber dans l’autre extrême : Laurette Noël-Guillemette, nous écrit sa fille Francine, disait d’un « gratteux » qu’il « tond un œuf ».

Chose certaine, mieux vaut apprécier ce qu’on a, même si « c’est toujours plus vert sur le terrain des voisins », dit le père d’Alexandra Papineau. « Et on peut pas être joli pis chanceux », se consolait le grand-père de Marc Benoît quand la pêche était mauvaise, expression qui pourrait s’appliquer tout aussi bien à une partie de cartes, une file d’attente à l’épicerie, à mille maux de la vie.

Car c’est l’évidence même : les parents ont souvent réponse à tout, avec rien du tout. « 8esata ! », s’exclamera-t-on en atikamekw (en prononçant « wèsada ») chez Cyndy Wylde, à Pikogan, comme pour dire « eh ben ! ». « Dans sa peau mourra le crapaud », ajouterait France Gauthier, comme pour se résigner à l’inévitable. « Rien qu’à voir, on voit ben qu’à noirceur, on voit rien ! », pourrait renchérir Sylvie Arpin, tellement elle l’a entendu dans son enfance.

Et peu importe, rappelle Claude Latendresse. « Le vent du Nord, qu’il vienne de n’importe quel bord, est toujours frette. »

Bien dit

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Béatrice Levasseur

« Que voulez-vous qu’on fasse ! On ne peut pas s’arracher la face et y mettre nos deux fesses à place ! »

Ma grand-mère, Béatrice Levasseur, est née en 1901 à Gentilly, sur la rive sud de Trois-Rivières. Les terres de sa famille ont été expropriées lorsque le projet de la centrale nucléaire de Gentilly a commencé à prendre forme. Elle a élevé sa famille de cinq enfants à Shawinigan, où son mari Albert Toutant travaillait pour la compagnie papetière Belgo. D’origine modeste, ayant vécu la grande crise de 1929, ma grand-mère fabriquait des vêtements pour sa famille en récupérant les couvertures de laine qui servaient à la Belgo pour isoler les rouleaux de papier. Féministe et avant-gardiste, elle a souvent eu maille à partir avec le clergé ! Elle est décédée en 1965. Bisous à toi, grand-maman.

Marie-Esther La Rue Barriere

***

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Armand Mbatika

« Mettre son pantalon dans les 80 »

Mon père, Armand, a immigré au Québec en provenance du Congo en 1970, pour faire ses études. Il a rencontré ma mère, une Québécoise de souche, et ils se sont mariés en 1973. Mon père a enseigné à l’école secondaire de Coaticook, puis à l’Université de Sherbrooke. Il revenait au moins une fois par semaine avec une expression québécoise tirée de conversations avec ses étudiants. Il fallait lui traduire pour qu’il comprenne bien (qu’est-ce qu’une bacaisse dans “Swinger la bacaisse dans l’fond de la boîte à bois” ? ), ou le laisser rire aux larmes (avec son rire typique qui sonne comme “kiek kiek kiek”). Il n’a jamais été en mesure de nous expliquer clairement d’où venait l’expression “mettre son pantalon dans les 80” (qui signifie les remonter en haut de la taille), il semble que c’était “quelque chose” au Congo dans les années 60…

Nancy Mbatika

***

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Marie-Reine Marcotte

« T’aurais l’air fin s’il passait une gelée ! »

Ma grand-mère s’appelait Marie-Reine Marcotte et elle est née à Notre-Dame-du-Bon-Conseil. Elle est malheureusement décédée en 1993. J’avais seulement 12 ans. Mon père Jacques, à qui j’ai rappelé cette expression qu’il utilisait aussi quand un enfant faisait une grimace ou une drôle de face, l’avait un peu oubliée. C’est drôle comment on retient des détails de notre enfance que nos parents ne soupçonnent pas… Comme le fait que je savais qu’une photo avait été prise dans le salon de ma grand-mère. Pourtant, nous ne la voyions pas très souvent. J’ai déjà parlé de cette expression à ma fille et mon fils et, après que je leur ai expliqué ce qu’est une “gelée”, ils la trouvaient bien drôle !

Marie-Ève Grenier

***

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Bernard Dionne et Claire Dumas

« Et sling dans la porte de screen, et vlan dans la porte d’en avant ! »

C’est ce que disait ma mère, Claire Dumas, quand quelqu’un s’était fait “boucher un coin” ! Elle est née en 1938 à Baie-Trinité, sur la Côte-Nord, un village qui n’était accessible que par bateau jusque dans les années 1950. Son père, Lucien Dumas, originaire de Jupitagon sur la Basse-Côte-Nord, était mécanicien pour la compagnie forestière et trappeur. Sa mère, Marianna Mansour (Dumas), tenait le bureau de poste du village dans une annexe de la maison familiale. Claire et sa sœur Madeleine aidaient au bureau de poste et adoraient lire les journaux et les revues qui passaient par le bureau de poste. Un moyen merveilleux de parcourir le monde même loin de tout. Après son mariage avec mon père, Bernard Dionne, elle a eu trois enfants et a vécu à Port-Cartier, où elle a consacré sa vie au bénévolat.

Bruno Dionne