À l’occasion de la période des Fêtes, nos chroniqueurs tracent un bilan de 2020 avec des personnalités qui ont fait l’actualité, ou dont le destin – chamboulé par la COVID-19 – les a particulièrement marqués.
Aujourd’hui, Patrick Lagacé revient sur l’année de la Dre Nadine Larente.

Fin mars, ça faisait quelques semaines que le Québec était fermé. On savait que c’était l’hécatombe dans les CHSLD. Puis on a su, pour le CHSLD privé Herron, dans l’Ouest : une couche d’horreur supplémentaire.

Les résidants du CHSLD Herron avaient été laissés à eux-mêmes, chaperonnés par une poignée d’employés débordés. La Montreal Gazette avait documenté l’état pitoyable dans lequel les résidants avaient été trouvés quand le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal était débarqué.

> Lisez l’article de la Montreal Gazette

Tout le Québec avait été ému et scandalisé par la débâcle du CHSLD Herron.

Et le 14 avril, j’ai pu raconter dans La Presse l’histoire surréaliste d’une médecin qui a été parmi les premières personnes du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal à débarquer au CHSLD Herron, la Dre Nadine Larente.

> (Re)lisez la chronique « Au front, avec la famille »

En constatant à quel point on manquait de bras au CHSLD Herron pour nourrir les résidants – là, tout de suite –, pour les laver et les rassurer, la Dre Larente avait appelé sa famille en renfort. Son conjoint était débarqué à Herron avec leurs trois adolescents, qui avaient distribué des plateaux-repas aux résidants…

L’heure était à ce point grave, en pleine pandémie, en plein exode de personnel, qu’une médecin avait fait appel à sa famille pour secourir des patients. Disons que l’image était forte, très forte.

L’histoire de la Dre Larente publiée ce jour-là a touché beaucoup, beaucoup de gens. Le premier ministre Legault l’a saluée et l’a remerciée publiquement dans sa conférence de presse de 13 h.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La Dre Nadine Larente, directrice des soins professionnels au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal

Huit mois plus tard, la Dre Nadine Larente, directrice des soins professionnels au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île, n’a rien oublié de ces jours frénétiques.

« Tout cela a amené des émotions ambivalentes, me dit-elle, au bout du fil. Le premier ministre, ce jour-là, me salue. Je l’ai pris comme un remerciement à tous ceux qui sont sur le terrain. Mais, en même temps, j’étais aussi une gestionnaire qui n’avait pas su prévenir ce genre de situation… »

Être célébrée comme une sorte d’héroïne lui semblait bizarre et déplacé. Nadine Larente n’avait ni le temps ni la sérénité pour accepter des accolades : l’incendie faisait rage partout. Et elle était émotivement secouée.

La Dre Larente n’a pas l’habitude des entrevues et n’est pas à l’aise. Je la sens très réservée. Elle pèse chacun de ses mots, comme elle pesait chacun de ses mots quand je l’ai interviewée, le 13 avril en soirée.

Comme gériatre, la Dre Larente a toujours voulu aider les personnes âgées. Comment est-elle devenue gestionnaire ? Un peu par accident. Elle a longuement hésité avant d’accepter de quitter les soins directs aux patients. Elle a accepté en se disant qu’aider à organiser les soins, sortir le système des petites cases de formulaires bureaucratiques forcément incompatibles avec les populations vulnérables, c’est aussi une façon de soigner…

Et là, en mars, le virus a frappé.

Et le virus a particulièrement frappé les personnes âgées, cette partie de la population à laquelle Nadine Larente avait choisi de consacrer ses talents.

En mettant le pied au CHSLD Herron, la Dre Larente a constaté de visu un angle mort du système, très centré sur l’hôpital. Contrairement aux hôpitaux, les CHSLD n’avaient pas été transformés en bunkers à l’épreuve du coronavirus.

Il y avait une cassure pour moi, ce jour-là, quand le premier ministre m’a félicitée. Je vivais une déconnexion. J’ai aidé, oui, ma famille aussi. Mais à Herron, j’avais vécu un angle mort du système…

La Dre Nadine Larente

Et toute cette attention lui tombait dessus alors que le feu brûlait toujours, partout dans le réseau.

« Vous n’étiez pas moins occupée parce qu’on vous encensait, ce jour-là ?

— En effet. Ça ne s’est calmé que cet été, un peu. »

La Dre Larente n’aura pas de vacances pendant les Fêtes, comme tant d’autres acteurs dans le système de santé. À quelques jours de Noël, quand je l’ai interviewée, elle se préparait au pic de la deuxième vague, comme tout le monde dans le réseau.

« On n’a pas le choix, constate-t-elle, inquiète. C’est la dernière ligne droite. Il faut se donner une chance, donner le temps à la vaccination de nous sortir de cette crise… »

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En avril, Nadine Larente m’avait demandé de relayer l’appel à l’aide du gouvernement via le site Je contribue !, porte d’entrée du recrutement pandémique…

En cette période des Fêtes, Dre Larente, avez-vous une autre demande ?

Elle cherche ses mots, il y a un silence comme si souvent, quand je finis de lui poser mes questions.

« J’ai deux demandes, finit-elle par répondre doucement. À la population, je demande de, s’il vous plaît, respecter les consignes, de limiter les contacts, les rassemblements. C’est un sacrifice pour se rendre à l’été avec le moins de pertes de vie possible. Aux travailleurs de la santé : on a besoin de vous plus que jamais, ne vous découragez pas, on va passer au travers ensemble… »