À l’occasion de la période des Fêtes, nos chroniqueurs tracent un bilan de 2020 avec des personnalités qui ont fait l’actualité, ou dont le destin – chamboulé par la COVID-19 – les a particulièrement marqués. Aujourd’hui, Rima Elkouri revient sur l’année d'Olivier Nguyen.

C’était le rêve de son père : qu’un de ses enfants puisse étudier en médecine.

En franchissant les portes de la faculté de médecine de l’Université de Montréal pour la première fois cet automne, Olivier Nguyen, 19 ans, était ému de l’avoir réalisé. Et triste que son père, préposé aux bénéficiaires emporté par la COVID-19, n’ait pu l’accompagner lors de cette rentrée qui l’aurait rendu si fier.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

De son père, Olivier Nguyen garde le souvenir d’un homme aimant, passionné par le côté humain de son travail et qui ne ménageait aucun effort pour le bien de ses enfants.

Normalement, son père, qui travaillait aux urgences de nuit pour être le plus présent possible auprès de ses enfants le jour, aurait proposé de le conduire, même s’il avait sa nuit de travail dans le corps. Mais là, non. Il s’est retrouvé seul, le cœur serré, sur le seuil du rêve de son père.

« C’était bizarre. En y allant, je sentais qu’il me manquait quelque chose pour continuer. Mais je continuais quand même à marcher pas à pas vers l’université. »

De son père, Olivier Nguyen garde le souvenir d’un homme aimant, passionné par le côté humain de son travail et qui ne ménageait aucun effort pour le bien de ses enfants. « Il a travaillé tellement fort pour nous donner une bonne éducation, à ma sœur et moi. Mais il n’a pas pu voir le résultat de ce qu’il a semé. Je veux juste lui faire savoir que ses efforts n’ont pas été en vain. Même s’il n’est pas là, je veux qu’il sache : ‘J’ai accompli ton rêve. Tout ce que t’as fait, ça a porté fruit.’ »

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Réfugié vietnamien, Thong Nguyen, 48 ans, travaillait depuis 17 ans comme préposé aux bénéficiaires à l’hôpital Jean-Talon lorsque la pandémie a frappé.

« Il avouait que ça lui faisait peur d’aller au travail. Mais il y allait quand même en se disant que, si d’autres personnes jetaient l’éponge, il était essentiel qu’il y aille pour prêter main-forte à ses collègues. »

Même si le préposé était en forme, respectait les mesures de prévention à la lettre et n’avait aucun antécédent médical connu, il a été emporté par la COVID-19 le 11 juin, après plus d’un mois aux soins intensifs. Son hospitalisation est survenue quelques semaines avant qu’Olivier ne reçoive ses réponses de demandes d’admission en médecine à l’Université Laval et à l’Université de Montréal.

« Ce qui m’a le plus déçu, c’est qu’on était vraiment proches de pouvoir lui dire que j’ai pu rentrer… Mais là, il était pris aux soins intensifs, malheureusement. »

Olivier a envoyé à son père ses courriels d’admission. « En espérant que lorsqu’il allait se réveiller, il pourrait prendre son téléphone et les lire. Malheureusement, il ne s’est pas réveillé. »

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Réfugié vietnamien, Thong Nguyen, 48 ans, travaillait depuis 17 ans comme préposé aux bénéficiaires à l’hôpital Jean-Talon.

Lorsque tous les espoirs de guérison se sont évanouis, la famille a été autorisée à passer du temps à son chevet pour lui faire ses adieux. « Les médecins du CHUM nous ont permis de le voir pendant deux heures dans sa chambre avant qu’ils ne le débranchent, parce que les dégâts étaient trop importants. C'est le seul moment où j'ai pu le lui annoncer en face-à-face et le serrer une dernière fois dans mes bras. »

Il sait que son père était déjà très fier de savoir que son fils avait été admis en pharmacie, peu de temps avant qu’il ne soit infecté par la COVID-19. « Ses collègues m’ont dit qu’il parlait juste de ça pendant ses shifts de nuit ! »

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Son père lui disait toujours : « Donne le meilleur de toi-même malgré l’adversité. »

Des mots qui ont résonné fort ces derniers mois. Car de l’adversité, Olivier et sa famille n’en ont pas manqué, alors que la COVID-19 a chamboulé leur vie de façon tragique. Au moment même où Thong Nguyen était hospitalisé, la grand-mère maternelle d’Olivier, qui habitait le même duplex, a été emportée par un infarctus du myocarde qui aurait été causé par la COVID-19.

Sa sœur, Aurélie, 17 ans, qui a aussi été atteinte par la COVID-19, a dû être hospitalisée durant une semaine à l’hôpital Sainte-Justine, souffrant de graves problèmes respiratoires. Quant à Olivier, il a aussi été atteint, mais n’a eu que des symptômes mineurs – une perte subite de l’odorat et du goût.

Pour la mère d’Olivier, infirmière au CHUM, c’était une situation particulièrement douloureuse. Elle a perdu sa mère alors que son mari était aux soins intensifs et que sa fille était hospitalisée. Même s’il avait le soutien de sa famille élargie, Olivier, en isolement obligatoire, s’est soudainement senti bien seul dans l’ouragan COVID. « J’essayais de rester fort pour soutenir ma mère… Je ne souhaite à personne de vivre des moments comme ceux-là. »

Après la mort de son père que l’on surnommait Toutou, ses collègues ont tenu une cérémonie en son honneur dans un parc près de l’hôpital Jean-Talon. Ils ont dit à Olivier à quel point son père était un homme dévoué, apprécié de tous. « Ça m’a beaucoup touché. Le fait qu’il y ait tant de monde qui soit venu, c’était une belle façon de l’honorer. Ça m’a beaucoup aidé à vivre mon deuil. »

Le décès a finalement été reconnu comme un accident de travail par la CNESST, indique la Dre Lan C. Nguyen, cousine de Thong Nguyen, qui, tout comme le syndicat le représentant, avait fait des démarches en ce sens l’été dernier.

(RE) LISEZ l’article :

https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-07-24/mort-d-un-prepose-aux-beneficiaires-la-famille-critique-un-rapport-de-la-cnesst.php

Six mois plus tard, Olivier s’ennuie particulièrement des moments passés avec son père à discuter et à regarder des séries télé. « On avait beaucoup de points en commun. C’était comme mon meilleur ami. Perdre cette personne avec qui je pouvais discuter de tout et de rien… C’est l’une des seules personnes à qui je pouvais tout raconter et il comprenait ce que je voulais dire. »

Même si tout lui rappelle l’absence de son père, il aime penser qu’il est toujours là.

« Je me dis que mon père n’est pas vraiment mort. Il a encore une aura qui est là. Je veux parler encore de lui comme s’il était encore vivant. Car il est encore à mes côtés. »

Et sûrement le plus fier des pères.

(RE)LISEZ l’article de Caroline Touzin :

https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-06-17/covid-19-le-sacrifice-de-mon-pere-ne-doit-pas-etre-oublie