L’ex-animateur Éric Salvail a été acquitté vendredi des trois chefs d’accusation qui pesaient contre lui, soit ceux d’agression sexuelle, de harcèlement criminel et de séquestration à l’égard de Donald Duguay, dont le témoignage n’a pas convaincu la Cour.

« L’ensemble des facteurs analysés permet d’inférer que le plaignant prend de sérieuses libertés avec la vérité, qu’il fabrique peut-être même des portions de son témoignage, a conclu le juge Alexandre Dalmau. Les problèmes de crédibilité et de fiabilité sont suffisamment inquiétants pour contaminer l’ensemble du témoignage. Ils embrouillent le portrait. Il est impossible d’avoir confiance en son témoignage. »

Dans son verdict, le juge Dalmau de la Cour du Québec a ajouté que ce manque de confiance dans le témoignage du plaignant mine sa crédibilité et sa fiabilité, ce qui peut créer un doute raisonnable.

Il a aussi été question de l’incapacité du plaignant à admettre des faiblesses dans son témoignage, la tendance du plaignant à exagérer et dramatiser les faits et les contradictions dans son récit, notamment à propos des événements qui auraient eu lieu dans une salle de toilettes de Radio-Canada en 1993.

Le juge Dalmau a souligné que la victime peut ressentir un poids énorme sur ses épaules de convaincre le Tribunal, surtout quand l’accusé est une personnalité connue. « Cependant, il doit être rappelé que c’est l’État qui décide de déposer des accusations et c’est à lui que revient la responsabilité de démontrer la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Ce n’est pas le fardeau de la victime. »

À la sortie de la salle de cour, la procureure de la Couronne, Me Amélie Rivard, a voulu lancer un message clair : « On a eu deux dossiers très médiatisés cette semaine, qui se sont soldés par des acquittements. Je souhaite du plus profond de mon cœur que ces acquittements-là ne découragent pas les victimes à porter plainte à la police », a dit l’avocate.

La « capacité du système » remise en doute

Joint par La Presse en après-midi vendredi, Donald Duguay a indiqué qu’il prendra quelques jours avant de faire une déclaration publique dans ce dossier. « Je suis en pleine réflexion », a-t-il dit, sans vouloir réagir davantage pour le moment.

À la clinique Juripop, qui est spécialisée en crimes sexuels, la directrice générale Sophie Gagnon reconnaît que l’acquittement d’Éric Salvail suscitera beaucoup d’indignation, surtout qu’il survient quelques jours à peine après celui de Gilbert Rozon. « C’est frustrant, parce que le système de justice n’a pas le choix de rendre des décisions en fonction de l’ensemble des faits circonscrits », soutient-elle.

Or, le fait est que « des dizaines de témoignages sont sortis contre ces deux hommes », déplore Me Gagnon. « Ils ont franchi les limites, eu des comportements inacceptables dans leur entourage pendant des dizaines d’années, mais jusqu’à présent, aucune de ces histoires n’a permis une condamnation. Ça soulève la capacité du système de justice à le faire », soulève-t-elle, disant toutefois garder espoir.

Ce ne sont que deux dossiers parmi plusieurs. Dans le cas d’Éric Salvail, trois personnes se sont manifestées pour témoigner en contre-preuve. On comprend qu’elles ne souhaitent pas nécessairement porter plainte, mais peut-être que d’autres se manifesteront dans le futur.

Sophie Gagnon, de la clinique Juripop

Son groupe rappelle par ailleurs que les cas d’Éric Salvail et de Gilbert Rozon sont différents. « Le dossier Rozon a engendré du découragement parce qu’il y a un paradoxe quand on dit qu’on peut croire la plaignante et prononcer un acquittement. Dans le cas d’Éric Salvail, le juge a eu des propos très sévères à l’endroit de Donald Duguay, comme quoi il aurait carrément fabriqué son témoignage. On est complètement ailleurs », illustre la directrice générale.

Un rapport à prendre en compte

Mardi dernier, à Québec, la ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, ainsi que les députées Véronique Hivon, Isabelle Melançon et Christine Labrie ont déposé le rapport du Comité d’expertes et d’experts pour l’accompagnement des victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale, qui contient 190 recommandations. « L’un des éléments les plus forts, c’est la création d’un tribunal spécialisé en agressions sexuelles », avance Geneviève Morand, du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS).

Maintenant, ça prend de la volonté politique. Les élus ont les outils en main pour faire les changements structurants qui s’imposent. Le travail a été fait.

Geneviève Morand, du RQCALACS

L’organisme insiste sur le fait que les CALACS mènent le combat pour la prise de parole des survivantes dans le système de justice depuis des années. « On n’en est pas à notre première vague », illustre Mme Morand, en demandant aux autorités d’agir le plus rapidement possible, afin d’éviter que la situation ne s’empire pour les victimes.

Sophie Gagnon, elle, abonde dans le même sens. « L’idée de ce rapport est de placer la survivante au centre du système de justice, en amenant des changements concrets comme de l’accompagnement du début à la fin. Ça pourrait vraiment faire une différence, non seulement sur les verdicts, mais aussi sur le bien-être des personnes qui portent plainte », conclut-elle à ce sujet.

Québec encourage la dénonciation

Appelé à réagir, le cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, indique de son côté qu'il prendra connaissance du jugement avant d'émettre des commentaires sur ce dernier.

« Dans un premier temps, nous tenons à souligner le courage dont font preuve les personnes victimes d’agression sexuelle en dénonçant. Nous les encourageons à continuer à dénoncer », souligne néanmoins son attachée de presse, Elizabeth Gosselin, dans une courte déclaration.

– Avec La Presse Canadienne