Fin août 2020. Sur la scène du Centre Bell, les membres des Cowboys Fringants viennent de terminer leur entrevue avec l’animatrice et productrice Julie Snyder. On enregistre La fête de la rentrée, grand show musical qui sera diffusé le soir de la fête du Travail sur les ondes de Noovo. Je suis dans ma régie, avec ma précieuse adjointe, Camille. Soudain, ça frappe à la porte. C’est l’imprésario des Cowboys, Claude Larivée. Il a une grosse boîte dans les mains :

— Avant de partir, j’ai quelque chose pour toi…

— Ben voyons !

— Hier, à la répétition, tu me disais à quel point tu aimais les Beatles, et je me suis souvenu que j’avais ça, à la maison. Je suis un grand collectionneur de tous les objets liés à l’histoire du rock and roll. Et ça, c’est un de mes employés qui me l’avait trouvé, dans une boutique de la rue Sainte-Catherine, près de chez Sam The Record Man, dans les années 90. Je me suis dit que ça te ferait plaisir… »

J’ouvre la boîte. Je découvre des figurines des Beatles, dans le complet gris de leurs débuts, leurs instruments de musique à la main. Il y a John, Paul, George…

Claude enchaîne : « Je sais, il manque Ringo. Désolé, je ne l’ai jamais eu. Quand mon ami les a achetés, il y avait juste ces trois-là, au magasin. »

Les larmes me montent aux yeux : « Claude, je sais où est Ringo. » Il me regarde, étonné. Des trémolos dans la voix, je lui explique ce qui suit…

Un jour de mai 1993, je me dirige vers l’hôpital Saint-Luc. Je m’en vais au chevet du batteur du band qui accompagne l’imitateur André-Philippe Gagnon, mon ami Denis Farmer. Il a eu une rupture d'anévrisme au cerveau. Il a subi une intervention chirurgicale. Il doit en subir une deuxième, le lendemain.

PHOTO PIERRE CÔTÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Farmer, batteur du groupe Harmonium, en 1977

Je ne veux pas arriver à l’hôpital les mains vides. Des fleurs ? Ce n’est pas le genre de Denis. Je m'arrête dans une boutique de souvenirs de la rue Sainte-Catherine, voisine de chez Sam the Record Man. Il y a, au-dessus de la caisse, quatre figurines des Beatles, dans leur complet gris. J’appelle toujours Denis Ringo ! J’achète le Ringo et sa batterie. Je le lui offre en entrant dans sa chambre. L’ex-batteur d’Harmonium est content. On jase, on rit, on pleure. Farmer est une force de la nature. Un trop bon vivant pour ne pas s’en remettre, c’est sûr. Je lui souhaite bonne chance pour le lendemain. En promettant de revenir le voir avant sa sortie.

Je l’ai revu, mais lui ne m’a pas revu. Il est mort sur la table d’opération. Le géant de Gatineau est tombé.

Aux funérailles, tous ses amis sont anéantis. On défile devant sa conjointe et sa jeune fille. Le cœur brisé. Entre deux sanglots, sa veuve, Lyne, me dit : « Si tu savais combien Denis était heureux que tu passes le voir à l’hôpital. Et heureux du Ringo. Tellement qu’il est avec lui, dans le cercueil. »

Denis a été enterré avec le Ringo manquant.

Six pieds sous terre, ils battent, ensemble, le temps.

Et voilà que presque 30 ans plus tard, le destin me ramène les trois autres Beatles que j’avais laissés de côté, dans la boutique, parce que pour moi, ce jour-là, il n’y avait que Ringo d’important. Il n’y avait que le batteur qui comptait.

Claude Larivée est presque aussi ému que moi. Nous ne sommes ni des proches ni des amis. On se croise quelquefois, au gré des évènements. Mais pas souvent. J’ai un énorme respect pour lui. Ce qu’il a réussi, avec sa boîte La Tribu, est grand. Notre relation est purement circonstancielle. Et les circonstances sont rares. Pourquoi a-t-il eu envie de m’offrir ces articles, qui traînaient quelque part, dans le fouillis de sa très nombreuse collection ? Aucune idée. Un élan de gentillesse. Comme si, inconsciemment, il savait que ces personnages en plastique se devaient de retrouver la personne pour qui ils avaient le plus de sens.

La perte de Denis Farmer fut une énorme peine d’amour et d’amitié, dans ma vie. La première personne qui faisait partie de mon quotidien à disparaître. Ça marque. J’ai longtemps pensé à lui. Mais avec le temps, va, tout s’en va. Même ça.

Ça faisait longtemps que sa mémoire ne m’était pas revenue au cœur. La vie et les vivants nous occupent tellement l’esprit.

J’ai placé John, Paul et George sur la bibliothèque à côté de mon bureau. Bien en vue.

Quand je les regarde, les trois, je pense à Claude, bien sûr, et au moment surréaliste vécu dans la régie du Centre Bell grâce à lui.

Je pense aussi, surtout, à celui qui n’est pas là. Au Ringo. À Denis. Sorti de l’oubli.

J’ai reçu en cadeau le souvenir d’un ami.

Il n’y a rien de plus gros.

Noël, ce n’est pas juste le 25 décembre. Noël, ça peut aussi être en août. Ça peut être n’importe quand, n’importe où. Il suffit d’un être sensible, à l’écoute de vous. Et d’un peu beaucoup de magie.

Je vous souhaite d’aussi beaux cadeaux.