Voilà, on y est. Santé Canada vient d’autoriser le vaccin anti-COVID de Pfizer. Les Britanniques ont déjà commencé à être vaccinés (nom du deuxième Britannique vacciné : William Shakespeare !). Les Canadiens, ça s’en vient. La vaccination va commencer bientôt.

J’ai des frissons.

Je le dis sans cynisme, j’ai des frissons pour vrai.

Ce que les scientifiques ont accompli est sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Déjà, les vaccins sont un miracle en soi, qui a évité des millions de morts, des millions d’éclopés. Mais on mettait généralement cinq ans à développer un vaccin, au minimum (1).

PHOTO JACOB KING, REUTERS

Au Royaume-Uni, Margaret Keenan, 90 ans, a été la première à recevoir le vaccin mis au point par Pfizer et BioNTech.

Pour le vaccin qui va contrer les complications de la COVID-19, la maladie causée par le coronavirus ?

Neuf mois.

NEUF MOIS !

C’est comme si on venait de faire se poser une machine roulante pour explorer la planète Mars… Oh, attendez, l’humanité fait ça, mais même là-dessus, nous sommes un tantinet blasés !

J’étais sceptique à propos de l’arrivée rapide d’un vaccin pour casser la pandémie justement parce que le passé n’était pas exactement réjouissant en matière de vitesse de développement d’un vaccin. Et parce qu’il y a des virus qui continuent de déjouer les scientifiques, comme le VIH. Il n’existe pas de vaccin contre le VIH : un cocktail de médicaments a permis aux malades de mieux vivre, après des années de ravages partout dans le monde.

Mais le vaccin contre la COVID-19 est là. Et bientôt, les vaccins : Pfizer coiffe les autres compagnies au fil d’arrivée, mais d’autres sociétés — comme Moderna et AstraZeneca — ont des vaccins dans leur pipeline. N’oublions pas non plus la québécoise Medicago.

J’ai des frissons parce que ce vaccin est un accomplissement scientifique incroyable, un véritable monument au génie humain.

Y a-t-il, ces dernières années, ces dernières poignées de décennies, un exploit scientifique plus important qui va toucher autant de vies humaines en même temps ? Je suis ouvert aux suggestions. Mais s’il y en a, j’ai dû les rater.

Je répète : d’habitude, un vaccin, c’est cinq ans. Minimum. Des fois, c’est huit ans ; des fois, c’est neuf ans. Des fois, c’est… jamais. Et là, en moins d’un an, la vaccination commence. Je suis soufflé.

Ce triomphe nous rappelle l’importance de la science, l’importance du travail des hommes et des femmes en blouse blanche qui explorent l’infiniment petit dans leurs microscopes, loin des projecteurs.

La connaissance est un processus évolutif. Chaque chercheur bâtit sur ce que des milliers de chercheurs ont découvert depuis des décennies, depuis des siècles. Les chercheurs des compagnies pharmaceutiques ont découvert ces vaccins parce qu’ils ont pu escalader le monticule de la connaissance, de ce qui a été découvert avant eux.

Les scientifiques de Pfizer, d’AstraZeneca et de Moderna méritent des confettis et des remerciements. Mais il ne faut pas oublier les autres scientifiques, partout dans le monde, qui ont étudié le coronavirus depuis le mois de février, qui ont publié leurs observations, qui ont collaboré entre eux : ils ont créé un corpus de connaissances qui a aidé à comprendre la nature de ce mal invisible.

C’est bien sûr l’urgence qui a présidé à l’effort colossal de recherche et de développement de ces vaccins, à la vitesse grand V. La pandémie a mis sur pause la vie de millions d’individus, mis à mal l’idée qu’on se fait de la vie en société et fait des trous dans le trésor public.

Mais quand on voit le succès ahurissant de ces scientifiques — NEUF MOIS ! —, on se prend à rêver de ce que l’humanité pourrait accomplir si on attaquait d’autres maux avec la même urgence, avec la même détermination et avec les mêmes ressources.

J’ai des frissons aussi parce que c’est une mise en échec de la lumière sur les ténèbres : à l’heure où les désinformateurs sèment le doute sur la science, voici que les scientifiques armés de leurs doctorats arrivent avec la meilleure solution pour endiguer la pandémie, se fichant des lubies des « sceptiques » : un bon vieux vaccin…

Mais la pandémie n’est pas terminée. Hier, 1700 cas au Québec. Nous ne serons pas tous vaccinés demain. Le coronavirus peut encore faire des ravages dans nos corps, dans nos familles. Et dans nos hôpitaux, qui sont de plus en plus débordés. Disons-le, répétons-le.

Mais en ces premiers jours de décembre 2020, neuf mois très exactement après la mise sur pause des activités normales dans ce pays, il y a de quoi célébrer. La cavalerie est arrivée, et ceux qui arrivent à la rescousse portent une blouse blanche. On les salue bien bas.