D’un côté, il y a X, cet enfant de Granby si mal en point qu’on l’aurait dit sorti d’un camp de concentration. Un enfant martyr sauvé par hasard, après la fermeture inexplicable de son dossier par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

D’un autre côté, il y a Louis, 8 ans, élevé depuis qu’il est bébé par ses grands-parents à Mani-Utenam, sur la Côte-Nord. Des grands-parents aimants, capables. La DPJ hésite pourtant à leur confier la garde de Louis en raison de vieux antécédents criminels.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Enfant innu de la communauté de Uashat mak Mani-Utenam, sur la Côte-Nord, qui se soulève contre la Direction de la protection de la jeunesse.

Cherchez l’erreur.

Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, croit l’avoir trouvée. « La DPJ doit remplir des indicateurs de performance pour montrer qu’elle remplit son mandat, donc il y a fort à parier qu’elle va vers des cas moins lourds », a-t-elle dit à La Presse, vendredi.

J’ai peine à croire que la DPJ puisse laisser une mère torturer son enfant, comme à Granby, pour remplir des quotas. Si c’est le cas, c’est proprement scandaleux. Espérons que la commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse fasse la lumière sur ce sujet.

En attendant, une chose paraît claire. Documentée depuis des années, des décennies même, par nombre d’experts et de commissions d’enquête. Le modèle de protection de la jeunesse que l’on s’acharne à imposer aux peuples autochtones ne fonctionne pas.

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Le 16 novembre, une centaine d’Innus se sont rassemblés devant la maison de la tante de Louis pour protester contre une intervention de la DPJ, écrit ma collègue Fanny Lévesque dans son reportage ce lundi.

Un soulèvement semblable s’était produit en septembre, pour empêcher que des enfants soient retirés à une autre grand-mère innue et placés hors de la communauté.

Évidemment, tout le monde s’entend sur l’importance de protéger les enfants vulnérables. Le problème, c’est la façon de s’y prendre.

« Le système actuel de protection de la jeunesse est imposé de l’extérieur aux peuples autochtones et ne tient pas compte de leurs conceptions de la famille ni de leurs cultures », a conclu le commissaire Jacques Viens dans son rapport sur la relation entre les autochtones et certains services publics.

Le système ne tient pas compte, non plus, du contexte socioéconomique des réserves ni des ravages causés par l’épisode dévastateur des pensionnats.

Oui, il y a eu l’alcool. Il y a des casiers judiciaires. Mais beaucoup d’autochtones se sont repris en mains. C’est le cas des grands-parents de Louis, qui élèvent cet enfant comme leur propre fils et qui ne devraient pas être repoussés de façon automatique par la DPJ.

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Au cabinet du ministre des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, on dit « être à la recherche de solutions », rapporte Fanny Lévesque dans son reportage.

La solution, pourtant, on la connaît. Le rapport Viens recommande à l’État québécois de « soutenir financièrement et [d’]accompagner sans délai et sans restriction les communautés qui souhaitent prendre en charge les services de protection de la jeunesse ».

On connaît la solution, donc. Mais loin de la mettre en œuvre, le gouvernement Legault a décidé… de la contester devant les tribunaux !

Le conseil de bande de Mani-Utenam réclame sa pleine autonomie en matière de protection de la jeunesse. Il s’appuie sur la loi fédérale C-92, adoptée en janvier, qui confirme le droit des autochtones de prendre en charge leur propre système de protection de l’enfance.

Or, le gouvernement Legault conteste la constitutionnalité de la loi, sous prétexte que cette solution tant attendue… empiète sur un champ de compétence exclusif du Québec.

Autrement dit, Québec préfère défendre son autonomie par rapport à Ottawa plutôt que de reconnaître celle des peuples autochtones qui habitent sur son territoire.

Et pendant que Québec et Ottawa s’embrouillent dans une autre de ces chicanes constitutionnelles dont ils ont le secret, des enfants autochtones continuent d’être arrachés à leur famille, à leur communauté.

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Les enfants de Mani-Utenam sont quatre fois plus susceptibles d’être placés en famille d’accueil que les enfants de la Côte-Nord. Au sein d’autres communautés, le taux est huit fois plus élevé que la moyenne québécoise.

Des enfants inuits se retrouvent loin, très loin de leurs villages, parfois jusqu’à Montréal. Ils sont brutalement coupés de leur langue et de leurs traditions.

En déracinant ces enfants de leur communauté, « le système de protection de la jeunesse perpétue – du point de vue de plusieurs – les effets délétères de la politique des pensionnats », écrit Jacques Viens dans son rapport.

On a renoncé à « tuer l’Indien dans l’enfant », comme nos ancêtres ont cherché à le faire en forçant des générations d’autochtones à fréquenter des pensionnats.

Mais on pratique toujours une forme d’assimilation moderne en confiant ces enfants à des familles québécoises. Même si c’est involontaire. Même si on fait ça « pour leur bien ».

Il y a longtemps que les autochtones disent que ces méthodes font plus de mal que de bien. Ils en sont même rendus à descendre dans la rue pour bloquer des interventions de la DPJ. Il serait à peu près temps qu’on les écoute.

En commençant par renoncer à cette contestation judiciaire, qui revient à dire que seul l’État est compétent pour prendre soin des enfants autochtones. Comme au temps des pensionnats.

(RE)LISEZ notre article « Une nouvelle histoire d’horreur à Granby »

(RE)LISEZ notre entrevue avec Jade Bourdages