Trois mois après le départ de son président-fondateur Éric Pineault, dans la foulée d’allégations d’inconduites sexuelles, Fierté Montréal veut tourner la page sur un climat de travail « déplacé » qui se traduisait notamment par des blagues ou des gestes à caractère sexuel. D’anciens membres et bénévoles attendent toutefois des résultats concrets, dénonçant une « loi du silence » à l’interne.

« Les évènements ont fait en sorte qu’il fallait agir », lâche Marie-Ève Baron, présidente de cet organisme qui représente les droits et les intérêts de la communauté LGBTQ+ depuis 2007.

En août, le groupe a suspendu son fondateur Éric Pineault, le temps d’examiner des dénonciations d’inconduites sexuelles reçues contre lui. Une enquête sur le climat de travail a alors été déclenchée par une firme externe, afin de déterminer les « irritants » principaux. Selon nos informations, trois enjeux ont été ciblés : le manque de communication, l’absence de mécanismes de résolution de problèmes ainsi qu’un climat nocif, allant de propos à des inconduites de nature sexuelle en passant par du harcèlement.

« Il y avait ce climat de blagues à caractère sexuel qui étaient déplacées, et qui n’ont pas leur place dans un environnement de travail. Essentiellement, ça venait des gens qui ne sont plus là aujourd’hui. L’enquête fait une photo du passé », affirme Mme Baron, qui a occupé diverses fonctions au conseil d’administration et qui évolue dans l’organisation depuis plus de 10 ans.

Les langues se sont déliées. […] Pour nous, la première action, c’est de croire le monde. On entend ce qu’ils disent. La grande retombée de tout ça, c’est que maintenant, on en est conscients.

Marie-Ève Baron, présidente de Fierté Montréal

Fierté Montréal dit aujourd’hui s’apprêter à faire de « gros changements » à l’interne, avec la mise sur pied d’un « code de vie » mieux défini. « On traverse une crise et des moments difficiles. Mais on ne se met pas la tête dans le sable. On compte apprendre de ça et se former davantage sur l’oppression en milieu de travail », avance la présidente à ce sujet. Pour l’avenir, l’une de ses priorités est de « mieux séparer les rôles » de la gouvernance, entre le C. A., la direction générale et le personnel.

Un système à déconstruire

Représentant pour la communauté fétiche de Montréal pendant un an et demi, Guillaume Dupuis a été impliqué dans l’organisation de plusieurs évènements avec Fierté Montréal. Pour lui, le cas d’Éric Pineault n’est que la pointe de l’iceberg. « Personne ne veut parler, tout le monde a peur des répercussions. La direction sait tout et entend tout », lâche-t-il.

Il y a une espèce de loi du silence chez Fierté Montréal. C’est insensé de penser que des gens se sont fait harceler par une haute direction, sans qu’il n’y ait de véritable conséquence.

Guillaume Dupuis, représentant communautaire

Selon lui, il faudrait revoir la manière de voir l’organisation interne de Fierté Montréal. « J’aimerais que ça devienne un groupe communautaire où on nomme des personnes en qui on peut avoir confiance, dit M. Dupuis. C’est eux qui nous représentent au bout du compte. »

Joint à ce sujet, l’ex-vice-président Jean-Sébastien Boudreault reconnaît qu’il a une « part du blâme » à prendre, mais déplore que toute l’ancienne administration soit utilisée comme bouc émissaire. « Lorsque j’étais vice-président, Fierté a toujours été une équipe tissée serré avec une culture familiale. J’aurais dû être plus vigilant et je regrette de ne pas avoir pu agir pour prévenir la situation », dit celui qui a quitté ses fonctions en mars, en soutenant avoir « offert sa collaboration » lors de l’enquête interne, mais en vain.

Si on avait su qu’il y avait ces allégations [contre Éric Pineault], les choses auraient été excessivement différentes.

Jean-Sébastien Boudreault, ancien vice-président de Fierté Montréal

Employé contractuel pour l’organisme, Kevin Baldassarre parle lui aussi d’un système à défaire. À ses yeux, le problème de climat de travail est profondément ancré dans la culture de l’organisation. « C’est une omerta. Si tu parles, tu te fais barrer partout. Pour moi, c’est une loi du pouvoir. Il y a beaucoup d’abus qui existe à l’interne », martèle le Montréalais.

« En bout de ligne, Fierté Montréal, c’est beaucoup : faites ce qu’on dit, mais pas ce qu’on fait. Tout le monde le sait, tout le monde le voit, mais personne ne parle. Ça prendrait plus de sérieux dans l’organisation », renchérit M. Baldassarre.

« Absence » de lieux pour dénoncer

Fierté Montréal, de son côté, affirme que c’est surtout « l’absence » de lieux pour dénoncer ou parler librement qui a pu donner cette impression de « loi du silence » à ses membres. « Ça va être mis en place », promet Marie-Ève Baron à ce sujet.

Deux autres sources qui ont gravité dans l’organisation dans les dernières années ont confirmé à La Presse l’existence de cette culture d’entreprise « malsaine ». « C’est malheureux, parce qu’il y a des gens investis dans le Village qui ne veulent plus se faire représenter par Fierté Montréal maintenant. On doit changer cette culture », affirme une première personne, qui préfère demeurer anonyme.

« C’était une culture toxique. Ils avaient une façon bien à eux de rendre les gens inconfortables. Le pire, c’est que si tu n’étais pas en ligne avec ça, tu étais rapidement exclu de leur gang », témoigne une seconde source à ce sujet, en disant espérer des changements au cours des prochaines années.

Les finances passées au peigne fin

Le conseil d’administration a aussi décidé d’embaucher un expert pour faire une vérification juricomptable des finances de l’organisme, qui fonctionne bon an, mal an avec un budget avoisinant les 6 millions de dollars. Selon nos informations, environ 40 % de cette somme provient de subventions publiques des différents ordres de gouvernement.

Trois sources qui ont demandé à demeurer confidentielles en raison de leurs fonctions professionnelles ont déclaré à La Presse que la gouvernance financière sous l’ancienne direction était parfois brouillonne et manquait de transparence. Une source a fait état de gestion déficiente des fonds.

« Tout était géré par un petit groupe de personnes, et ils n’avaient de compte à rendre à personne. Je ne me souviens pas d’avoir vu les états financiers ou les rapports de dépenses », explique une source qui a été très impliquée au sein de Fierté Montréal pendant des années.

« Ce sont des rumeurs, mais nous avons entendu les mêmes choses », a réagi la présidente Marie-Ève Baron, qui dit d’abord vouloir valider certaines informations.

Nos tentatives pour joindre Éric Pineault dans le cadre de ce reportage sont restées infructueuses.