Nous étions nombreux, dimanche soir, à nous reconnaître dans le cri du cœur lancé par Adib Alkhalidey, sur le plateau de Tout le monde en parle. Nombreux à nous identifier à cette réalité d’apatride qu’il décrivait si bien. Nombreux à penser, peu importe nos origines, que l’on peut, tous ensemble, rêver mieux, si l’on aspire à une société réellement inclusive et égalitaire.

Invité à commenter la décision (vite révoquée) de Radio-Canada de retirer un épisode de La petite vie qui présentait un personnage africain caricatural, l’artiste a su, de façon brillante, ramener à l’essentiel un débat qui déraille complètement ces jours-ci, dans la foulée des controverses sur la liberté d’expression, le racisme systémique et la représentation des minorités.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

De nombreuses personnes se sont reconnues dans le cri du cœur lancé par l’humoriste et chanteur Adib Alkhalidey sur le plateau de Tout le monde en parle dimanche.

Si des gens sont blessés par la représentation que l’on fait d’eux à l’écran, c’est parce qu’on a négligé des débats importants, a-t-il souligné. Les personnes racisées, les autochtones, les immigrants attendent depuis des années des mesures concrètes pour enrayer le racisme systémique qui, trop souvent, mine leur vie. Et puis ? Et puis… Rien. Entre la réalité d’un Adib Alkhalidey de 30 ans qui a grandi dans l’arrondissement multiethnique de Saint-Laurent, a subi du racisme au quotidien et se sentait apatride en allumant la télé et celle d’un enfant de 10 ans qui grandit dans ce même quartier aujourd’hui, rien n’a véritablement changé.

Ces jeunes ne se voient pas dans le miroir du pays qu’on leur tend. « En ce moment, on est en train de priver une génération au complet du droit d’appartenir au Québec, du droit de s’identifier à la culture québécoise. C’est des apatrides même s’ils sont nés ici. Parce qu’ils ne se voient nulle part. »

Lorsqu’ils se voient, ils sont trop souvent humiliés. Lorsqu’ils osent se dire blessés, on leur dit : « Oui, mais j’ai le droit… La liberté d’expression, c’est important. »

Lorsqu’ils dénoncent à leur tour le racisme systémique qui, pour eux, n’est pas une « théorie » importée des États-Unis mais une réalité, on leur dit : « Oh ! Ça, par contre, tu n’as le droit de dire ça… Ça heurte les sensibilités de la majorité. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La chroniqueuse crie Maïtée Labrecque-Saganash a été inondée d’insultes après avoir participé à une vidéo pédagogique sur le racisme systémique.

Bref, leurs voix sont le plus souvent inaudibles. Et lorsque, par chance, on les entend, elles n’ont que peu de poids ou sont sommées de se taire, parfois violemment. On en a eu un exemple affligeant la semaine dernière à la suite d’une enfilade de tweets de Jean-François Lisée. L’ex-chef du Parti québécois critiquait le fait qu’une vidéo pédagogique de Télé-Québec sur le racisme systémique, à laquelle a participé la chroniqueuse crie Maïtée Labrecque-Saganash, soit recommandée aux enseignants du secondaire. Bien que la vidéo soit posée et nuancée et qu’elle s’appuie sur des faits et des statistiques, cela a valu à Maïtée Labrecque-Saganash, tête d’affiche de la vidéo, d’être inondée d’insultes. Tout comme l’ont été aussi d’autres artisans de cette série de capsules pédagogiques réalisée dans le cadre du projet Briser le code.

Même si je m’en désole, je ne peux malheureusement pas dire que je suis étonnée. Après près de 20 ans de chroniques où j’ai eu à me pencher sur des enjeux controversés liés au racisme, je sais trop bien ce qu’il en coûte de s’exprimer lorsqu’on a une voix minoritaire ou que l’on est apatride dans son propre pays. Chaque fois que je le fais, je reçois aussi une avalanche d’insultes racistes et sexistes. Il m’est arrivé de devoir signaler certaines menaces à la police. Le but est d’intimider et de faire taire. Et je dois avouer, à regret, que parfois, ce genre de choses finit par instiller dans mon esprit une forme pernicieuse d’autocensure.

Bien que minoritaires, ces réactions violentes, de plus en plus décomplexées avec le temps, n’en sont pas moins inquiétantes. Cela finit par peser. Parfois, on se dit : est-ce que ça vaut les coups ? Est-ce que ça vaut le coût ?

Tout ça pour dire que lorsque j’entends la complainte « on ne peut plus rien dire », c’est d’abord à cette autocensure ainsi qu’aux structures du pouvoir qui rendent certaines voix inaudibles et invisibles que je pense. Je croirai au mythe du pauvre homme blanc muselé par les vilains antiracistes-multiculturalistes-féministes-gauchistes le jour où on pourra faire la preuve qu’il est, lui aussi, de manière systémique, victime de discrimination en raison de la couleur de sa peau, de ses origines ou de son sexe. Si la tendance se maintient, ça ne semble pas être exactement le cas.

En attendant, au lieu de s’entredéchirer sur la tyrannie que nous imposeraient des minorités qui, le plus souvent, n’ont même pas voix au chapitre, il me semble que l’on aurait tout intérêt à écouter les sages paroles d’Adib Alkhalidey. On aurait tout intérêt à reconnaître les problèmes de racisme systémique et de sous-représentation bien présents dans toutes les sphères de la société, y compris dans les médias qui façonnent notre image du monde. On aurait tout intérêt à mettre en place des mesures concrètes pour en arriver à une réelle égalité. Et peut-être ainsi, un jour, pourra-t-on rapatrier les apatrides.

Voyez l’entrevue d’Adib Alkhalidey à TLMEP.

Regardez la capsule de Briser le code.