Le Québec a une capacité maximale de 1374 lits de soins intensifs dotés d’un respirateur… en poussant la machine à son maximum, c’est-à-dire au-delà des capacités normales.

Au moment où j’écris ces lignes, 954 Québécois sont dans ces lits, ce qui représente la capacité normale. De ces 954, 82 sont des patients infectés au coronavirus. La situation des soins intensifs est donc maîtrisée…

Pour l’instant.

Ça ne signifie cependant pas que le Québec a « de l’espace » pour 420 patients qui développeraient des complications d’une infection au coronavirus. Plus on s’approche de 1374, plus on s’approche d’une médecine de brousse, plus on annule des opérations non urgentes.

Parce que les Québécois qui ont des accidents de voiture, qui tombent d’une échelle, qui font un infarctus ou un AVC peuvent eux aussi – pandémie ou pas – avoir besoin d’un lit de soins intensifs.

Au moment où j’écris ces lignes, la deuxième vague de coronavirus prend de l’ampleur au Québec, dans le reste du Canada, aux États-Unis et en Europe. Les chiffres donnent le vertige. Les hospitalisations au Canada sont en hausse constante : on se dirigerait vers le cap des 10 000 nouvelles infections quotidiennes. Nous sommes sous la barre des 5000, actuellement.

Aux États-Unis, on note une hausse spectaculaire des nouveaux cas dans 49 des 50 États. En France, on a recensé 33 000 nouveaux cas vendredi : 4855 Français sont aux soins intensifs. En Suède, pays chouchou des libertariens sanitaires, rien n’est jojo : on note une hausse des hospitalisations de 60 % en une semaine.

Bref, la pandémie reprend du poil de la bête un peu partout… même s’il y a deux bonnes nouvelles sur le front de la longue lutte contre le SRAS-CoV-2.

La première, c’est que le taux de mortalité du virus a baissé, si on compare à la première vague, principalement parce que les strates démographiques touchées seraient plus jeunes et moins vulnérables qu’au printemps. Et la médecine a évolué : des traitements (avec certains stéroïdes, par exemple) sont entrepris plus tôt dans le spectre des complications, ce qui sauverait des vies.

La deuxième bonne nouvelle, c’est qu’un espoir de vaccin nous est arrivé cette semaine. L’optimisme est de mise… mais l’optimisme ne soigne personne ici, maintenant. Le vaccin, actuellement, n’est que cela : un espoir.

J’insiste encore sur le baromètre des soins intensifs. La capacité des services de soins intensifs est LE paramètre qui inquiète les autorités de la santé partout dans le monde. Dépêche du journal Le Parisien, à propos des soins intensifs : « Cet indicateur est particulièrement observé par les autorités, qui redoutent un afflux de patients qui engorgeraient les services d’urgence et de soins intensifs. »

Je répète : le Québec a une capacité de 1374 lits de soins intensifs. Ils sont occupés à 70 %. Quel sera ce taux d’occupation si le nombre d’infections quotidiennes double au Québec, d’ici quelques semaines ? Nul ne le sait.

On peut acheter des lits et des respirateurs. Mais on ne peut pas inventer du personnel formé pour soigner le patient dans ledit lit. Avant la pandémie, le réseau manquait déjà de bras. Et juste pour la grande région de Montréal, au moins 1100 infirmières et 510 préposés aux bénéficiaires ont quitté le réseau entre mars et juillet.

Et plus on aura de gens infectés qui exigent une hospitalisation – aux soins intensifs ou ailleurs –, plus on risquera d’infecter les soignants, dans un cercle vicieux infernal qui paralysera encore plus les activités hospitalières. Rappel : 130 000 opérations sont déjà en attente de plus de six mois au Québec.

Bref, où m’en allais-je avec mon masque ? Ah oui : tout le monde a une opinion sur ce que devrait faire le gouvernement du Québec pour endiguer le nombre d’infections quotidiennes…

Ou ne pas faire.

Nous sommes tous devenus des épidémiologistes amateurs armés du moteur de recherche Google.

Je propose ceci : chaque personne qui dit que le gouvernement « va trop loin » – je pense par exemple à la militante libertarienne Joanne Marcotte dans nos pages l’autre jour – devrait nous dire quelle est sa solution pour que le Québec ne se rende pas à 1374 Québécois qui auraient besoin de soins intensifs sous respirateur.

Parce que la capacité est de 1374, le nombre maléfique (j’allais dire « magique »), c’est ça : 1374. Ce n’est pas le pourcentage de gens qui meurent de la COVID-19, ce n’est pas le pourcentage de personnes âgées qui seraient mortes de toute façon sur un échéancier plus ou moins long.

Au-delà de 1374, nos soignants vont avoir des choix pas mal plus difficiles à faire que d’écrire des lettres aux journaux avec des titres facétieux. Au-delà de 1374, on dansera sur le point de rupture du réseau de la santé, où il faudra choisir qui doit être soigné et qui ne pourra pas l’être.