« Rien, dans la preuve, ne justifierait une quelconque condamnation à des dommages punitifs, que ce soit contre l’employée en cause ou contre son employeur, la PGQ, tous deux n’ayant fait que leur travail, la demanderesse étant responsable des conséquences que sa fuite de l’Arabie saoudite avec son fils, ont générées… »

J’ai sursauté.

Ai-je bien lu ce passage ?

C’était il y a plus d’une semaine. La Presse fouillait alors cette histoire que nous avons révélée samedi, celle de la traque illégale menée par une fonctionnaire québécoise au profit d’un Saoudien qui cherchait à retracer son ex-femme reçue au Canada comme réfugiée, justement parce qu’elle craignait que son ex ne les tue, elle et son fils.

C’est une saga qui frappe l’imaginaire : utilisant tous ses pouvoirs d’enquête, une fonctionnaire a déniché tout un tas d’indices pour permettre à ce Saoudien de retrouver son ex-femme qui se cachait de lui au Québec.

Une juge de la Cour supérieure a éviscéré la fonctionnaire dans sa décision, rendue publique le 16 octobre. Elle parle de gestes illégaux et d’abus de pouvoir, pour condamner la fonctionnaire France Rémillard à des dommages.

Son employeur, le ministère de la Justice du Québec, est aussi blâmé : il a permis que Mme Rémillard fasse des gestes illégaux. En plus, note la juge Claude Dallaire, le ministère de la Justice estime que son employée a bien agi, « de A à Z ».

Samedi, après les révélations de La Presse, on dirait bien que la conduite de Mme Rémillard va faire l’objet d’une enquête interne. C’est ce qu’a déclaré le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

Mais malgré tout ce qui a été présenté au tribunal, jamais le ministère de la Justice n’a cherché à passer la conduite de France Rémillard – et de ses supérieurs – aux rayons X d’une enquête interne sérieuse. Jamais. Jusqu’à ce que La Presse en parle, samedi.

> Lisez le dossier de La Presse de samedi

Je cite la juge : « Il est surprenant de constater que personne ne lui a même demandé de s’expliquer, depuis l’institution du recours, en juillet 2016, et que l’employeur ne lui tienne rigueur d’absolument rien, ce dernier ratifiant au contraire l’ensemble de son œuvre… »

Jusqu’à samedi, le ministère de la Justice n’a jamais eu le moindre doute sur la conduite de sa fonctionnaire, pas plus que sur celle du Ministère. Mme Rémillard est toujours en poste, même pas tablettée. C’est colossal d’aveuglement volontaire, quand on lit la décision.

On parle ici d’une Saoudienne en danger de mort qui se réfugie ici pour se protéger d’un ex-mari violent, riche et influent en Arabie saoudite, qui envoie de par le monde des enquêteurs privés pour retrouver son ex. Disons que la confidentialité avait un caractère « existentiel » pour cette femme.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’État québécois s’est défendu avec des gants de boxe dans cette affaire, en attaquant carrément la Saoudienne.

Des informations fournies par Mme Rémillard au camp saoudien ont mené à une plainte sans fondement qui l’ont fait atterrir en prison pendant quatre jours ?

Son enfant, sur la base d’un signalement entièrement faux à la DPJ, a été confié à une famille d’accueil pendant 11 jours ?

Elle a craint pour sa vie ?

Pour les avocats de l’État, la Saoudienne a un peu couru après tous ces désagréments.

Pas de farces. Elle a couru après. C’est ici que je vous ramène à la citation qui coiffe cette chronique…

Je cite les avocats du ministère de la Justice, dans un débat parallèle à la poursuite, les majuscules sont le reflet de mon indignation : « Rien, dans la preuve, ne justifierait une quelconque condamnation à des dommages punitifs, que ce soit contre l’employée en cause ou contre son employeur, la PGQ, tous deux n’ayant fait que leur travail, LA DEMANDERESSE ÉTANT RESPONSABLE DES CONSÉQUENCES QUE SA FUITE DE L’ARABIE SAOUDITE AVEC SON FILS, ONT GÉNÉRÉES. »

Ah, Votre Honneur, si seulement cette femme n’avait pas fui la théocratie misogyne de l’Arabie saoudite où son ex menaçait de la tuer, jamais la police de Montréal ne l’aurait arrêtée sous de faux motifs ! Et jamais la DPJ n’aurait pris son enfant en vertu d’un signalement bidon !

C’est le genre d’argument d’une mauvaise foi puante qu’on s’attendrait à lire de la part d’avocats d’un fabricant de cigarettes qui refuse de voir un lien entre son produit et le cancer du poumon. Pas des avocats du ministère de la « Justice ».

Alors on peut lancer des tomates aux avocats Manuel Klein et Bruno Deschênes, qui ont blâmé la victime dans cette affaire, devant la juge Dallaire. On peut.

Mais on peut aussi et surtout se demander qui, au ministère de la Justice, a permis cette impunité de A à Z de la conduite illégale de France Rémillard pour aider quelqu’un qui n’avait pas droit à son aide jusqu’aux arguments épouvantables de ses propres avocats en cour.

On peut se demander, aussi, qui va mener cette enquête annoncée par Simon Jolin-Barrette…

Si c’est le ministère de la Justice lui-même, j’ai déjà des doutes : il a prouvé dans ce dossier qu’il était très créatif pour protéger son arrière-train.

Je ne vois pas pourquoi il s’arrêterait en si bon chemin.

> Lisez la décision de 81 pages de la juge Dallaire.

> Lisez la décision de la juge Dallaire sur l’inclusion de France Rémillard dans le recours en dommages contre le ministère de la Justice.