Il y a plein de bonnes choses dans la Stratégie de réconciliation avec les peuples autochtones 2020-2025 présentée par la mairesse Valérie Plante mercredi dernier. Le lancement de ce document important a malheureusement été noyé dans la mer médiatique des élections américaines.

On ne peut que saluer les mesures qui visent le rapprochement et la favorisation d’une meilleure connaissance des réalités autochtones. Les chantiers proposés sont solides et ratissent large : culture, visibilité, sécurité, réalité urbaine, développement économique, etc.

Une partie du plan aborde le caractère systémique du racisme et de la discrimination, ainsi que la question des profilages racial et social. « Historiquement, ces tensions se sont avérées particulièrement manifestes au niveau des services coercitifs et judiciaires de la Ville, peut-on lire. La Ville de Montréal prend ces défis systémiques très au sérieux. »

Les mots « dialogue » et « relation » apparaissent souvent dans le document. C’est bien. C’est le but de cette opération.

Car ce plan portera ses fruits uniquement s’il a des répercussions sur les Montréalais non autochtones. Ça serait dommage d’appliquer la centaine de mesures de cette stratégie et que le résultat prenne la forme d’un isolement encore plus grand.

Après des décennies de tentatives de rapprochement, d’initiatives plus ou moins concluantes, il faudrait enfin qu’on fasse tomber l’immuable vase clos qui nous empêche d’avancer.

Je vous dis cela parce que j’ai eu une réaction mitigée en apprenant que le Centre d’amitié autochtone de Lanaudière (CAAL) a lancé il y a quelques jours une clinique où les Atikamekw de Manawan peuvent recevoir des soins de santé.

Deux fois par mois, un médecin se rend au CAAL et accueille quelques patients. Cette clinique a été créée avec les moyens du bord : une table de massage sert de table d’examen. Une première série de visites médicales a eu lieu le 27 octobre. La prochaine est fixée au 10 novembre.

Ça faisait plusieurs mois que Jennifer Brazeau, directrice générale du CAAL, souhaitait mettre sur pied cette clinique. La mort de Joyce Echaquan a précipité les choses.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Veillée à la bougie devant l’hôpital de Joliette à la mémoire de Joyce Echaquan, le 29 septembre

Deux médecins, sensibilisés aux réalités des Atikamekw, assurent les services en alternance. Durant la demi-journée que durent ces cliniques, peu de patients sont reçus. On veut prendre le temps de parler avec eux.

Je comprends tout à fait ce choix et les besoins qui justifient ce concept. Mais en même temps, je ne peux m’empêcher d’y voir une forme d’échec. Un échec collectif. Un échec de notre société.

La solution qui va régler notre incapacité à vivre avec les autochtones se trouverait dans la création d’un système parallèle ?

Le remède à la discrimination envers les peuples autochtones serait de les sortir de notre réalité, de les cacher, de leur dire d’aller se faire soigner ailleurs que dans « nos » hôpitaux sur une table de massage ?

J’éprouve un profond malaise avec cette approche.

J’en ai fait part à Jennifer Brazeau. Elle comprend ma réaction, mais pour elle, il était urgent d’agir en attendant de travailler plus en profondeur sur la confiance qui est à bâtir.

« J’ai vu tellement de gens attendre et attendre avant d’être soignés que je me suis dit qu’il fallait trouver une façon de mieux les accueillir, dit-elle. Ici, les intervenants leur parlent en atikamekw. Ils se sentent chez eux. »

Dans le reportage de ma collègue Suzanne Colpron, des autochtones disent qu’ils remarquent un changement positif dans l’attitude des non-autochtones à leur égard. De son côté, Jennifer Brazeau observe une plus grande méfiance chez les membres de la communauté de Manawan.

Les Atikamekw de la région de Lanaudière ont peur d’aller dans le système de santé traditionnel. Ils ont peur d’être jugés, d’être méprisés comme l’a été Joyce Echaquan.

« Il y a des parents qui craignent que le personnel ne fasse un signalement à la DPJ », reprend Jennifer Brazeau.

Ce n’est pas normal. Et pourtant, c’est le terrible constat auquel nous arrivons après 400 ans de cohabitation.

On n’arrive pas à se comprendre et à s’entendre ? Bang ! On crée des services éloignés des nôtres, et le problème est réglé.

Ce cloisonnement (que l’on retrouve dans d’autres sphères) fait peur. Il rappelle la création des premières cliniques pour soigner les victimes du sida il y a maintenant 35 ans. Ces endroits sont nés parce que cette maladie exigeait des soins particuliers, mais aussi parce qu’une tonne de préjugés entouraient ceux qui en étaient frappés.

Parlez-en à Réjean Thomas.

Les Atikamekw de Manawan ont maintenant la « chance » de pouvoir rencontrer des médecins ouverts d’esprit sans avoir peur. Sans craindre de mourir comme Joyce Echaquan.

Jennifer Brazeau se défend de vouloir se substituer au système de santé. Elle a mis sur pied cette clinique pour offrir un « corridor sur d’autres services » aux patients d’origine autochtone.

Un corridor… L’expression est jolie. Mais il serait préférable que l’on parle de ponts. Et qu’on se mette à les bâtir.