Que devrait faire Justin Trudeau face à l’incertitude électorale aux États-Unis ? Rien.

Mercredi matin, Donald Trump a attaqué les fondements de la démocratie américaine en demandant l’arrêt du dépouillement des votes et en criant à la fraude, sans preuve.

Il aurait été tentant pour M. Trudeau de faire une déclaration en apparence anodine sur l’importance du respect de la démocratie. Mais il a résisté, et on l’en remercie. « Il y a un processus aux États-Unis et évidemment, comme tout le monde, on continue de le suivre et on va continuer de regarder attentivement ce qui se passe », s’est sagement contenté de dire le premier ministre.

Même si Joe Biden est en avance, les votes n’ont pas fini d’être comptés. La seule certitude pour l’instant, c’est que peu importe le résultat, Donald Trump restera président au moins jusqu’au 20 janvier, date prévue de la prestation de serment du vainqueur. Et d’ici là, il sera en position de faire mal au Canada.

M. Trudeau ne doit rien dire qui pourrait être mal interprété. Ce serait inutile, impertinent et dangereux.

Inutile, parce que notre pays n’a aucune influence sur ce processus – et tant mieux, car on ne voudrait pas que l’inverse soit vrai.

Impertinent, parce que ce n’est pas au Canada de se mêler de la démocratie américaine. Et de toute façon, rien ne permet de conclure que les institutions américaines ne joueront pas leur rôle. Des républicains comme Chris Christie ont critiqué M. Trump, les votes continueront d’être comptabilisés et les tribunaux pourront entendre les contestations annoncées.

En 2000, Jean Chrétien avait fait le même raisonnement. Il avait gardé le silence pendant plus d’un mois après l’élection contestée entre George W. Bush et Al Gore. Le premier ministre avait attendu le jugement de la Cour suprême de Floride et la concession de M. Gore avant d’appeler le président désigné Bush, le 14 décembre.

Cette fois, une déclaration du Canada aurait été encore plus dangereuse, car le président actuel est susceptible et imprévisible. Ottawa se souvient du sommet du G7 à Charlevoix, en juin 2018, quand une déclaration anodine de Justin Trudeau avait enragé le président américain, assez pour qu’il menace de taxer les exportations d’automobiles canadiennes.

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Depuis quatre ans, le gouvernement Trudeau a appris à gérer son imprévisible voisin. Les libéraux ont été disciplinés et efficaces. Ils ont élargi leur réseau de contacts avec des sénateurs, des gouverneurs ainsi que des chambres de commerce de différents États pour expliquer en quoi la bonne entente entre les deux pays profitait à tous. Ces Américains sont ensuite les mieux placés pour faire pression auprès de la Maison-Blanche.

Avec M. Trump, le pire de la tempête semble maintenant derrière nous. Le nouvel accord de libre-échange est entré en vigueur, les tarifs sur l’aluminium ont été suspendus et la frontière reste fermée pour les voyages non essentiels. Bien sûr, le conflit sur le bois d’œuvre demeure, mais il dure depuis des décennies, peu importe le parti au pouvoir.

De toute façon, M. Trump a peu de temps pour penser à son voisin du Nord. Il s’en fout pas mal depuis le début de sa campagne… Il a attendu plusieurs mois l’année dernière avant de nommer une nouvelle ambassadrice au Canada, Aldona Wos, qui n’a pas été confirmée par le Sénat.

Mais il est encore tôt pour baisser la garde. Ottawa garde la même approche avec le président : espérer le meilleur, mais se préparer au pire.

À la fin d’octobre, M. Trudeau a organisé une conférence téléphonique avec son ambassadrice à Washington ainsi que tous les consuls, pour être mis au courant des enjeux dans les différentes régions du pays. Il a aussi échangé avec l’ancien premier ministre Brian Mulroney, qui l’a conseillé dans les conflits commerciaux.

On me confirme que mercredi, M. Trudeau a parlé à nouveau avec l’ambassadrice. Il veut en savoir le plus possible, mais en dire le moins possible.

Les chefs de gouvernement des autres pays du G7 s’en sont tenus à la même prudence. Au moment d’écrire ces lignes, Angela Merkel, Emmanuel Macron et Boris Johnson n’avaient rien tweeté.

Le plus difficile pour les prochains jours sera de contrôler ses troupes. Si Jean Chrétien avait évité toute ingérence après l’élection, il avait été embarrassé plus tard par sa députée Carolyn Parrish. À la suite de l’invasion de l’Irak, elle avait lancé : « Damn Americans, I hate those bastards ! » Elle avait aussi traité le président Bush d’« idiot ».

Plusieurs députés libéraux pensent sans doute la même chose de M. Trump, mais ils ont la décence de se taire. Il n’y a rien à gagner à tester la susceptibilité du président ou de ses partisans. Un coup de griffe est si vite arrivé.