Lorsque vous lirez ces lignes, Biden aura peut-être gagné aisément. Peut-être pas. J’écris cette chronique mardi, peu après 22 h. CNN déballe ses résultats au compte-gouttes. J’écris et j’ignore qui va gagner. Mais je suis sûr d’une chose : Trump a gagné.

Non, mes deux dernières phrases ne se contredisent pas. Trump a gagné. Même s’il perd.

Trump a gagné parce qu’il a prouvé que faire de la politique en se comportant comme un troll sur l’internet, ce n’est pas incompatible avec le chemin des victoires. Même s’il perd, il laissera le trumpisme.

C’est là que Trump a gagné, pour une génération, peut-être. Il a façonné le Parti républicain pour les années à venir, gagne ou perd. Il a expulsé ce que ce parti a déjà compté de modéré.

PHOTO EVAN VUCCI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Donald Trump

Déjà, Trump inspire des hordes de candidats et de candidates partout aux États-Unis. Je parle tant du fond que de la forme. Ces élus – et ceux qui voudront l’être – vont imiter Trump et raffiner ses méthodes.

J’écris cette chronique, je ne sais pas qui va gagner. Il est très exactement 22 h 18. Mais je sais ceci : Trump n’est pas en train de mordre la poussière, il n’est pas en train de se ramasser une dégelée.

Après les quatre dernières années de freak show, d’indignité et de cruauté, c’est plus qu’un miracle : c’est une énorme victoire.

Après quatre années à flatter les racistes dans le sens du poil, à réduire encore plus les impôts des riches et à leur donner des déductions fiscales pour leurs jets privés, à gouverner par Twitter, à manœuvrer pour torpiller le mince filet social qui protège les plus vulnérables, à mettre des enfants migrants en cage après les avoir séparés à dessein de leurs parents, à faire des massages de pieds à tout ce que la planète compte de dictateurs et d’autocrates, à cracher au visage des alliés traditionnels canadien, européens, asiatiques, à insulter ses adversaires politiques avec la même vulgarité qu’un troll anonyme sur l’internet, à tenter de saper la confiance des Américains dans toutes les institutions démocratiques susceptibles de le contredire, à relayer des faussetés, des nouvelles inventées et des théories du complot, à favoriser la loyauté par opposition à la compétence dans ses nominations, à mettre de l’huile sur le feu de toutes les divisions possibles, pourvu que ça serve son parti (et fuck la patrie)…

Eh bien, après tout ça, Trump était, mardi soir à 22 h 28, encore très « compétitif ».

Que Trump soit encore vivant politiquement à 22 h 48 un soir d’élection présidentielle, après quatre années à se comporter comme aucun autre président avant lui, comme votre voisin fils de riche qui n’a jamais goûté aux conséquences de ses singeries, tout cela est en soi une immense victoire. Le mal est fait.

Ses méthodes et ses politiques me donnent la nausée. Mais une chose est certaine : Trump connaît ce pays, il connaît les Américains, il lui donne ce que des millions d’entre eux aiment. Ce pays est mille autres choses que les villes progressistes que nous visitons pendant quelques jours sur les côtes tout aussi progressistes…

Même si Trump perd, je ne vois pas comment son parti, le Parti républicain, pourra faire un examen de conscience et se dire qu’il doit changer, qu’il doit en finir avec le trumpisme.

La défaite n’est pas assez douloureuse. Et je ne parle même pas du Sénat, lieu du véritable pouvoir américain à plusieurs égards.

On disait dans les derniers jours de la campagne que le Parti républicain allait lâcher Trump dès que sa défaite serait en vue. Je n’en suis pas si sûr : le Parti républicain a compris – comme après la guerre d’Irak lancée sous de faux prétextes par un autre président républicain – qu’il n’y a pas de grandes conséquences aux grandes inconduites si on présente des mensonges comme des vérités avec assez d’aplomb.

Il est 23 h. Attendez, je vais aller sur le site de CNN…

Biden, 118.

Trump, 105.

Le nombre magique : 270.

Oui, Trump a gagné, même s’il perd…

Depuis quatre ans, il a imposé un style et libéré une parole cruelle qui ne coûte rien aux urnes, loin de là. Donald Trump a tracé le sillon : le freak show comme philosophie politique, ça marche. C’est effrayant, mais ça marche.