Le journaliste spécialiste des affaires criminelles Michel Auger est mort à l’âge de 76 ans dimanche. Auteur de nombreuses révélations fracassantes pendant sa carrière, il était devenu un symbole de la liberté de la presse en refusant de se taire après une tentative d’assassinat, il y a 20 ans.

M. Auger est mort à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal de complications d’une pancréatite aiguë. Alors qu’il était plongé dans un coma artificiel, ses proches lui ont lu les manchettes des journaux du matin, avant de le laisser partir doucement.

« Il est décédé sans souffrance, rapidement, quand ils l’ont débranché », a expliqué sa fille Guylaine Auger.

« C’était un gars tough. Il avait mal au ventre, mais un mal de ventre, ce n’était pas grand-chose pour lui. Le gars a reçu six balles… » a rappelé son gendre Carl Bourcier.

Michel Auger avait été victime d’une tentative de meurtre dans le stationnement du Journal de Montréal, le 13 septembre 2000. Sa voisine de bureau, la jeune journaliste Maude Goyer, s’était précipitée vers l’extérieur après l’attaque.

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Auger récupère sur son lit d’hôpital en septembre 2000.

« Je me souviens de courir vers la porte, et de me faire dire de ne pas sortir. Rapidement, j’ai appris que Michel avait reçu des balles dans le dos et que c’était moi qui allais devoir faire le texte principal. Je ca-po-tais. J’avais trois ans d’expérience aux faits divers, mon mentor se fait tirer et je dois écrire l’article. Je pensais à sa famille qui allait lire ça », a-t-elle raconté.

« On a pensé qu’il était mort. Mais c’est un gars résilient », a souligné Paule Beaugrand-Champagne, qui était alors rédactrice en chef du journal.

L’attentat avait été commandé par le chef guerrier des Hells Angels, Maurice « Mom » Boucher, qui n’appréciait pas les reportages du journaliste sur le crime organisé. Mais Michel Auger avait survécu et avait repris le travail. Il racontait souvent en riant qu’il faisait sonner les détecteurs de métal à l’aéroport, parce qu’il lui restait des fragments de plomb dans le corps.

« Quand il est revenu, c’était tellement émouvant ! Je pense que la moitié de la salle pleurait. Il avait un large sourire : ‟Personne ne va m’empêcher de faire ma job” », se souvient Mme Beaugrand-Champagne. Elle évoque un scribe « tellement bien branché », tant chez les policiers que parmi les criminels, qui faisait preuve d’une grande rigueur dans la validation des informations.

« Le courage et le refus du silence »

Après l’attentat, le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, avait loué « le courage et le refus du silence » du journaliste. « En traquant la vérité, M. Auger n’a fait que son travail », avait déclaré M. Bouchard. Le chef de l’opposition de l’époque, Jean Charest, avait parlé d’un « héros, qui a eu le courage de dire les choses, de les écrire, de les dénoncer ».

Mille journalistes avaient manifesté sur l’avenue du Mont-Royal derrière une bannière où on lisait en grosses lettres : « Non à l’intimidation ».

Sa famille avait dû vivre temporairement sous la protection de gardes du corps. « Tout le monde voulait qu’il aille s’occuper de la chronique ‟Plantes et jardins” après ça, mais il ne voulait rien savoir », se souvient en riant sa fille, qui était enceinte de huit mois lors de l’attentat.

« Quel courage ! Il voulait démontrer que la liberté de la presse, c’était important. Il a même été plus fougueux par la suite », a affirmé l’ex-journaliste de La Presse André Cédilot, qui a fait ses débuts avec Michel Auger.

« Il s’est tenu debout devant les motards. Il avait du courage et il mérite le respect », a dit Clément Rose, ancien commandant de la section des Crimes majeurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

L’homme de plusieurs scoops

M. Auger a pris sa retraite en 2006 après une carrière de plus de 40 ans. Il avait travaillé entre autres au Nouvelliste de Trois-Rivières, à la station de radio CKVL, au quotidien Montréal-Matin, à La Presse, à CBC et au Journal de Montréal. Il a enquêté sur la mafia, les motards criminels, l’infiltration du mouvement syndical par la pègre ou le trafic de matériel servant à fabriquer des bombes nucléaires pour le Pakistan.

En 1973, il avait révélé dans La Presse que la police avait installé des micros cachés dans un local de la permanence du Parti québécois à Shawinigan, avant les élections de 1970. En 1987, il avait dévoilé dans le Journal de Montréal le fait qu’un employé de la CSN arrêté pour avoir posé des bombes pendant un conflit de travail était en fait un informateur des services secrets canadiens.

« C’était quelqu’un de très érudit. Il traînait toujours avec lui des journaux du reste du Canada comme le Globe and Mail et le Toronto Star, ou même des journaux américains. Il suivait tout », a raconté le journaliste spécialiste du crime organisé Daniel Renaud, de La Presse.

« Il n’était jamais paternaliste ou condescendant. C’était un gentleman, il avait un regard bienveillant et il prenait ses collègues au sérieux, peu importe leur âge ou leur genre », a ajouté Maude Goyer.

« Il n’avait pas peur d’exprimer ses opinions. C’était un bon vivant, il avait un bon sens de l’humour », a souligné Richard Dupuis, ancien commandant au SPVM. « Il nous critiquait parfois, mais cela ne m’a jamais choqué. C’était toujours constructif », a renchéri André Bouchard, autre ancien commandant du même corps policier.

Fier de ses petits-enfants

Grand lecteur, grand golfeur et grand voyageur, Michel Auger avait eu longtemps une terre à bois qu’il aimait sillonner avec son VTT et sa scie à chaîne. Il possédait une vaste collection d’appareils photo antiques et continuait d’entretenir son réseau de contacts.

Il était particulièrement fier de ses petits-enfants, Nicolas Bourcier, qui a suivi ses traces en devenant journaliste au quotidien La Voix de l’Est, et Amélie Bourcier, étudiante en droit. Il laisse dans le deuil sa conjointe Rina Lupien, avec qui il avait profité pleinement de la retraite, multipliant notamment les séjours en Floride.

– Avec la collaboration de Daniel Renaud